Il est possible de lutter contre les progrès de la laideur dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, qui inquiètent légitimement nos concitoyens. Tribune de François de Mazières, maire de Versailles, ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine.
En dénonçant l’enlaidissement de la France, la série d’articles et de tribunes du Figaro et du Figaro Magazine met utilement le doigt sur un sujet majeur. Par ses paysages, son histoire patrimoniale, notre pays bénéficie d’un capital de départ exceptionnel et nous avons tous en tête une multitude d’atteintes à cette beauté, qui nous ulcèrent.
Certes, ce constat d’un enlaidissement global de la France mériterait, à l’évidence, bien des nuances. Il n’est d’ailleurs pas propre à notre seul pays. Mais plutôt que de continuer à nous lamenter, essayons, dans une démarche positive, d’identifier les moyens d’y remédier.
Une perte de prestige
Une des réponses avancées est d’imputer cette dégradation accélérée de l’esthétique de nos villes à la décentralisation. Cette réponse a l’avantage de la simplicité. Elle donne implicitement le remède. Remettre l’Etat au cœur du processus de décision. Elle est hélas trop simpliste. En architecture contemporaine, le pouvoir central n’a pas démontré qu’il était plus vertueux et inspiré que les élus locaux et les villes nouvelles construites par des établissements publics d’Etat ne sont pas toutes, tant s’en faut, des réussites esthétiques, du moins avec le regard que nous portons, aujourd’hui, sur elles.
En outre, il est frappant de constater que les courants et les architectes défendus par l’Etat ont souvent été les mêmes que ceux choisis par les grands élus locaux pour réaliser leurs bâtiments de prestige. Le secteur où l’Etat est en revanche plus pertinent que les collectivités locales est celui de la défense du patrimoine. Le temps a alors joué le rôle d’un filtre et ne demeurent que des bâtiments qui globalement sont de qualité. L’organisation de la défense du patrimoine sous l’égide de l’Etat se justifie dès lors pleinement et la France a longtemps été citée en exemple pour sa politique en ce domaine.
La critique que l’on peut adresser à notre époque est d’avoir progressivement affaibli les instances de contrôle et notamment le corps des architectes des bâtiments de France (ABF). Aujourd’hui, rattachés aux directions régionales de l’architecture, ces architectes déplorent un manque d’effectifs et une perte de prestige. La loi en ouvrant la possibilité d’obtenir le déclassement de monuments, que des élus peu éclairés auraient eux-mêmes contribué à laisser tomber en ruine, a ouvert une brèche qui doit être mise en œuvre avec la plus extrême prudence par le ministère de la Culture. Les élus locaux, trop souvent prompts à dénoncer les interdits des ABF, doivent, à l’inverse, être rassurés par des voies de recours plus efficaces et rapides, si l’un d’entre eux se montrait excessif dans ses décisions.
Dans son brillant ouvrage sur l’architecture du bonheur, le philosophe Alain de Botton montre comment, au cours de l’histoire, la notion d’esthétique a varié d’une époque à une autre. L’architecture a connu la mode de l’antique, du néogothique, de l’art nouveau, de l’art déco, etc. Plus proche de nous, le courant « moderne », héritier de la pensée de Le Corbusier, a fait triompher une esthétique rationaliste et fonctionnelle. Or, que constatons-nous ? L’essentiel des critiques que l’on voit formuler, aujourd’hui, porte sur des bâtiments qui sont les sous-produits du mouvement moderne et dont les grandes cités d’immeubles standardisées et sans âme sont les pires héritiers.
Dès lors, la généralisation d’un nouveau courant dominant d’une architecture tournée vers la prise en compte de la problématique du réchauffement climatique peut devenir, si elle est bien exploitée, une véritable opportunité esthétique. En 2009, la Cité de l’architecture et du patrimoine accueillait une grande exposition intitulée « Habiter écologique ».
Cette exposition, confiée à l’architecte franco-allemande Dominique Gauzin-Muller, mettait en évidence à la fois le retour à des techniques traditionnelles d’économies d’énergie, ce qu’elle désignait comme « l’approche low-tech », avec notamment l’usage massif de matériaux naturels et de proximité et « l’approche high-tech » grâce à l’apport de nouveaux matériaux comme les panneaux photovoltaïques et l’usage du numérique dans la gestion des bâtiments. Le retour en force des matériaux naturels, leur caractère régional, apportent une réponse à la juste dénonciation que l’on peut faire de bâtiments trop « bling-bling », prétentieux et se démodant très vite. Le High-tech ouvre des perspectives nouvelles de créations esthétiques.
Certes, il faut éviter les solutions trop faciles, les réponses uniformes selon les régions. Le bois n’a pas remplacé totalement le béton et il n’est pas partout la meilleure solution. Selon les sites, l’histoire d’une ville, la pierre, la brique, tel type d’enduit sont à recommander en matériaux de façades. De même, il convient d’être prévenu contre le ‘greenwashing’. Les deux tours de Milan de l’architecte Boeri, avec leurs arbres à tous les étages, joliment appelées le bosquet vertical, ne sont évidemment pas à la portée de toutes les bourses.
L’autre opportunité qui s’ouvre à nous est la plus grande attention portée au paysage. La beauté de nos villes ne peut qu’en être renforcée. En ce domaine, on ne compte plus les initiatives heureuses prises par les maires. Un des exemples les plus marquants de ces dernières années, aura été la requalification des rives de la Garonne, sous l’impulsion d’Alain Juppé, menée par deux grands paysagistes français, Michel Corajoud et Michel Desvigne. Cette nouvelle esthétique du végétal, ce souci de la préservation des sites naturels existants, l’attention portée à la requalification de nos friches urbaines et à l’agriculture périurbaine sont des éléments extrêmement positifs. L’école française du paysage, l’une des plus brillantes du monde est un atout pour notre pays.
La critique que l’on entend sur la multiplication des éoliennes dans nos paysages doit également être entendue. La France a la chance d’avoir fait tôt le pari du nucléaire, une source d’énergie infiniment plus productive et moins coûteuse que l’éolien.
En matière esthétique, le nerf de la guerre n’est pas toujours l’argent car des bâtiments très coûteux peuvent être ratés sur le plan esthétique. La sobriété inspirée est souvent la marque du talent. Cependant, il ne faut pas nier que, souvent, la dégradation de l’esthétique urbaine tient à des économies de bouts de chandelle qui font basculer un bâtiment du satisfaisant au médiocre ou du réussi au seulement satisfaisant. En ce domaine, l’Etat doit aider les collectivités.
Dans les opérations d’urbanisme, pour négocier les prix du foncier, les élus locaux n’ont plus en effet à traiter aujourd’hui avec un Etat, mais différents ministères, ou des avatars de la puissance publique, comme la SNCF. Chacune de ses administrations ou démembrement de la puissance publique pense à la valorisation maximale de ses terrains, avant la prise en considération de l’intérêt général. Les services du Domaine dépendant du ministère du Budget entretiennent pour leur propre ministère cette course à la valorisation maximale, refusant même les injonctions faites pour favoriser le logement social. Il s’ensuit une flambée des prix. Or, la survalorisation de certains sites entraîne une surdensité de la construction et l’utilisation de matériaux médiocres.
De même, il est temps de revaloriser, dans les écoles d’architecture, la sensibilisation au patrimoine. Si la France a effectivement subi quelques graves dommages ces dernières décennies, c’est aussi parce que cette prise en compte de l’histoire des lieux, cette sensibilisation à l’entretien et la rénovation de l’existant, n’est faite ni dans le cursus scolaire de nos enfants – ce qui est le cas, par exemple, en Italie – ni, ou du moins très peu, dans nos écoles d’architecture. Là serait une mission utile de l’Etat.
Le vrai équilibre qui préservera la beauté de nos villes, n’est donc pas à chercher dans une nouvelle phase de recentralisation mais dans un équilibre bien compris entre pouvoir laissé aux élus locaux et un contrôle efficace des dérives. Une opportunité s’ouvre aujourd’hui avec la lutte contre le réchauffement climatique pour refondre une esthétique à la fois respectueuse du passé et tournée vers l’avenir, avec une nouvelle esthétique plus sobre et en harmonie avec la nature.
François de Mazières
Maire de Versailles
Président de Versailles Grand Parc