S’il est une profession pleinement concernée par la notion in solidum, c’est bien celle d’architecte. Généralement mandataire de son groupement de maîtrise d’œuvre, il est très souvent in solidum avec l’ensemble de ses cotraitants dont il devra assumer les éventuelles défaillances de gré ou de force. Il est donc assez surprenant pour une profession si souvent soumise à des clauses de solidarité de faire montre de si peu de solidarité entre ses membres.
Pourtant, dans le domaine de la construction, les architectes sont les seuls à bénéficier d’un ordre censé les représenter, les fédérer et défendre leurs intérêts. Il est donc légitime d’imaginer que les architectes bénéficient d’une solidarité professionnelle forte et qui soit force de proposition et d’influence dans le domaine de la construction.
Pour autant, la profession n’a jamais été aussi fragile ; prise en tenaille entre une obligation de constituer des structures de plus en plus importantes pour répondre à des procédures d’appel d’offres complexes et des honoraires en chute libre, rien ne semble être en mesure de nous fédérer, à commencer par notre ordre.
Avec un taux de participation aux dernières élections ordinales inférieur à 30 %, on ne peut pas dire que l’ordre bénéficie d’une réelle représentativité. Il n’est donc pas surprenant que les thèmes qu’il défend et médiatise, s’ils sont bien dans l’air du temps, n’en demeurent pas moins très éloignés des problématiques quotidiennes des agences.
En effet, si l’ensemble de la profession ne peut qu’avoir conscience des thématiques environnementales et de l’impact de la construction sur le changement climatique, ces données sont aujourd’hui nativement dans le fonctionnement de nos structures avec plus ou moins de développement en fonction des projets et des maîtrises d’ouvrages, mais aucune agence ne peut aujourd’hui dire qu’elle se désintéresse de ces thématiques. Mais quand l’ordre des architectes avance que ceux-là sont prêts à ne plus construire au nom du développement durable, est-il vraiment dans son rôle ? Est-il vraiment en train de défendre les intérêts de la profession qu’il représente ?
Ce n’est pas la première fois que l’ordre semble prendre les problématiques à contresens. Il y a deux ans, l’ordre s’était fait sérieusement taper sur les doigts pour avoir voulu organiser un barème d’honoraires opposable ; il s’agissait de pouvoir sanctionner un confrère faisant ouvertement du dumping. Si l’objectif est louable, la méthode est pour le moins curieuse. De fait, le juge a déclaré ce barème anticoncurrentiel.
L’ordre a cherché à dénoncer dans ses propres troupes des brebis galeuses qui auraient contracté avec des honoraires trop bas… Un ordre qui défendrait ses troupes n’aurait-il pas du plutôt attaqué les procédures qui poussent à cette surenchère ? N’aurait-il pas dû aller se battre contre les politiques qui année après année repoussent un peu plus loin les procédures de marchés négociés, les offres financières qui ne sont autre que des machines à paupériser notre profession et dont les autorisations à y recourir sont sans cesse étendues !
Il y a là matière évidente à défendre la profession et la maîtrise d’œuvre en général !
Qui plus est, l’ordre serait bien inspiré de se pencher sur le sujet de ces sournoises conceptions-réalisations qui prolifèrent. Elles aussi sont une autre magnifique machine à paupériser la maîtrise d’œuvre car si les primes affichées sont souvent plus importantes que sur les concours traditionnels, les prérequis et le temps à passer sont sans commune mesure avec ceux d’un concours sur esquisse… procédure que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…
Aujourd’hui pour qu’un maître d’ouvrage puisse se décider, il lui faut un projet au niveau de l’avant-projet sommaire (APS) quand ce n’est pas l’avant-projet définitif (APD), avec simulations thermodynamiques et facteur de lumière du jour calculé et validé, perspectives en nombre quand il ne faut pas en plus une vidéo. Tout cela pour une prime dérisoire dans le cas d’un concours et avec trois, quatre ou cinq tours de négociations dans le cas d’un marché global de conception soit 12 à 14 mois d’études payées… une indemnité ! Difficile à tenir pour les agences d’architecture établies, intenable pour une petite structure !
Au-delà de la problématique des honoraires, les conceptions-réalisations et tous ces dérivés posent aussi des questions d’accès à la commande. Là où pour un concours chaque agence peut tenter sa chance dès lors qu’elle a des références et les jurys de sélection donner leur chance à des jeunes structures, dans le cadre des conceptions-réalisations, seules les agences suffisamment structurées peuvent être choisies par les cinq ou dix entreprises qui vont répondre. Dans le cas de gros marchés que seules les Majors peuvent porter, les places sont donc réduites à trois aussi pour les architectes… sans que le maître d’ouvrage ait le choix des concepteurs qui plancheront sur le sujet puisqu’ils sont choisis par les entreprises selon leurs propres critères. N’y aurait-il pas là aussi pour l’ordre sujet à interrogation ?
Au-delà de l’ordre, il faut reconnaître que déjà entre confrères la solidarité n’est pas toujours de mise. Lorsque l’on se retrouve face à un maître d’ouvrage qui, par manque d’expérience ou de conscience, impose des délais de réponse intenables ou des demandes disproportionnées par rapport au montant des indemnités, il est rare de parvenir à se fédérer entre impétrants pour faire poids et obtenir des avancées de la maîtrise d’ouvrage. À croire que les architectes, trop habitués à s’affronter en concours, en oublient les vertus et l’intérêt de la solidarité.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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