La dernière année avant que ne disparaisse le DPLG, Pier Paolo Bonandrini et Julien Allègre furent diplômés ensemble à Paris Val-de-Seine, il fallait à l’époque une dérogation. Entre le début et la fin de leur atelier, ils avaient vu arriver l’informatique et font donc partie de la dernière génération à savoir dessiner. Architectes à bon droit, passionnés et indépendants, dans la foulée du diplôme, ils créent A+B. Huit ans plus tard, où en sont-ils ?
La première maison, une longère en Maine-et-Loire, était en bois. «Cela s’est fait naturellement, pas d’une volonté particulière de notre part mais plutôt pour des raisons techniques, pour un chantier propre et rapide, des facilités d’accès, etc. Nous n’avons jamais porté ce matériau à l’école. Ce que nous avons par contre est que cette formation en atelier, qui mélangeait les promotions, était un énorme réservoir de créativité et misait sur l’indépendance des étudiants», explique Pier Paolo. Dit autrement, l’intérêt pour l’architecture ne pouvait pas être feint et chacun devait développer sa propre culture architecturale.
Du coup, bientôt maîtres d’œuvre, même si ce fut pour eux un vrai choix que de démarrer sur de petits projets, leurs façons de construire se sont élaborées via une recherche empirique. «A l’école nous n’avions pas appris à faire une facture. Lors de nos premiers projets, nous n’avions même pas de pièces écrites», se souviennent-ils. Bois, béton, métal, il n’y a chez eux aucun fétichisme. C’est juste que «le bois s’est au fil du temps imposé comme un matériau que l’on aime bien», indique Julien. «C’est le bois qui est venu nous chercher», confirme Pier Paolo. A noter que tout au long de l’entretien, ils ne se couperont jamais la parole. Bref, ils démarraient à peine qu’ils étaient déjà sans le faire exprès dans l’air du temps. Et les propriétaires de cette première maison en sont si enchantés cinq ans plus tard qu’ils ont demandé à A+B de dessiner son extension.
J’ai rencontré A+B comme ils sortaient de l’école. J’ai surtout rencontré le B car j’appris très vite que le A était au Mans. J’étais rédac-chef de CyberArchi et ils m’avaient envoyé leur diplôme dont l’idée consistait en la réappropriation d’un vestige inattendu, l’ancienne voie d’essai de l’aérotrain près d’Orléans (45), transformant ce «fossile architectural» de 18km de long en une utopie urbaine de bonne facture : Aérocity. «Lors de mes six années en atelier, j’étais fasciné par la science-fiction», explique Pier Paolo. Tout était encore fait à la main. En 2006, cette période correspondait avec la phase des derniers DPLG et, de fait, Paris Val-de-Seine déménageait. Ils étaient les derniers représentants d’une fin de cycle. J’ai donc publié leur diplôme puis, deux ans plus tard, la longère, leur premier projet réalisé. C’est dans le bureau de Pier Paolo, dans une agence partagée par plusieurs architectes dans une rue calme d’Ivry-sur-Seine, que je les retrouve fin 2015.
Ni l’un ni l’autre ne semblaient prédestinés pourtant. Pier Paolo est né en Australie où il vécut jusqu’à l’âge de 7 ans. «Je me retrouve en CE1 dans le 93. Le choc, climatique et culturel, était intense», se souvient-il. Père cheminot puis conducteur de travaux, mère assistante maternelle. «J’ai tout sauf un esprit cartésien mais j’ai toujours aimé la géométrie, je voyais tout dans l’espace», donne-t-il en guise d’explication. Comme quoi, il fut un temps il n’y a pas si longtemps où l’on pouvait être littéraire, pas très bon en maths et cela n’empêchait pas de devenir architecte.
Avec un père ancien pilote, Julien le Manceau a lui grandi au paradis des voitures de courses. «Je croyais que Le Mans était le centre du monde et dans un premier temps, je faisais de l’archi pour m’acheter une Alpine Renault», explique Julien. «J’aurais pu finir géomètre», se marre-t-il.
Après avoir appris à se connaître dans le même atelier, ils ont pourtant, dès le départ, créé leur agence A+B tout en demeurant géographiquement séparés : Pier Paolo à Ivry, Julien au Mans comme une évidence. «Je suis un animal grégaire, je ne me sentais pas de faire les choses tout seul et ça me rassure de le faire avec quelqu’un, je préfère être entouré», explique pourtant Pier Paolo. «Nous sommes complémentaires dans le travail et de fait, nous avons toujours été deux mais éloignés géographiquement, comme encore aujourd’hui. Mais nous sommes tellement rodés ensemble que l’éloignement n’est pas un souci. Nous travaillons sur les projets parfois en binôme, parfois seul», poursuit-il sans être contredit. Il faut une grande confiance et grande souplesse d’organisation pour gérer ensemble une seule entité tout en conservant chacun une véritable indépendance.
Cette organisation sera d’ailleurs bientôt mise à l’épreuve. En 2011, un promoteur indélicat ne peut plus les payer – une grosse somme à leur échelle – et voilà leur petite entreprise – ils étaient sept – qui, en plus de la crise qu’ils ont toujours connue, connaît la Crise. La question s’est posée : continuer ou pas ? Acculés, ils font pourtant le choix du redressement judiciaire, le paradoxe étant qu’un redressement coûte cher, sans parler de l’impact négatif auprès des clients ; plus de marchés publics, plus de promoteurs, ce furent «deux ans de privations» disent-ils mais la société d’architecture A + B et son histoire étaient sauvées. «Du coup nous nous sommes recentrés sur la base de notre projet, c’est-à-dire nous-mêmes et nous sommes repartis à zéro». A Ivry pour Pier Paolo, au Mans pour Julien bien entendu.
Bref, ils voulaient grandir tout seul, ils ont été servis. Sauf que, mine de rien, ils ont aujourd’hui, en huit ans, réalisé une soixantaine de projets, du balcon au plateau de bureau de 4 500 m². Si des projets alimentaires leur ont permis de traverser une mauvaise passe, ils permettant aujourd’hui à l’agence de financer des projets plus ambitieux, même s’ils rapportent moins. La maison à Montmorency, livrée en 2015, première année après le redressement, est un autre exercice de style sur la maison avec du bois qui montre surtout leur évolution conceptuelle et formelle depuis la longère. Ce qu’ils appellent la «maison de la maturité», ce qui pour Pier Paolo signifie être «capable de dessiner et choisir tout de suite le système constructif le plus adapté au projet, d’avoir une vision simple et rapide».
Des maisons ils en conçoivent aujourd’hui toute une série : «L’échelle domestique nous convient, la petite échelle est un laboratoire», disent-ils. Mais la maturité est aussi désormais la capacité à faire des candidatures communes avec d’autres agences, de gagner d’importants projets de logement collectif, au Mans notamment. La maturité est aujourd’hui de construire un bâtiment industriel – une usine – et, dans le tertiaire, d’aménager des plateaux de bureau. La maturité est pouvoir désormais envisager concourir pour des équipements publics pour diversifier leur horizon. La maturité est de n’avoir jamais perdu de vue pourquoi ils aiment l’architecture. A considérer les projets qu’ils ont en cours, elle le leur rend bien.
Pour vivre heureux, vivons cachés ? A+B, Les Daft punk de l’architecture ? Toujours est-il qu’à seulement 36 (Julien) et 33 ans (Pier Paolo), ils sont encore de jeunes architectes. Ni designers ni artistes, au moins sont-ils désormais dépositaires d’une expérience singulière dont l’esprit pionnier demeure intact. C’est ainsi que l’agence, dont les réalisations expriment une constante recherche de simplicité, se forge son propre vocabulaire. Ce n’est pas la moindre des réussites.
Christophe Leray