En septembre 2015, Fleur Pellerin, ministre la Culture et de la Communication, entendait avec l’art «bouleverser les hiérarchies d’un ordre social immuable». Ce bouleversement est en cours. La preuve, le 16 décembre dernier, elle lançait en grande pompe le programme «1 immeuble, 1 oeuvre», sorte de 1% artistique pour le privé dont elle compte sur les bonnes œuvres afin d’élévation «de la qualité de vie des occupants et des visiteurs des bâtiments». Grand bien nous fasse, ce que laisse d’ailleurs entendre le communiqué de presse hallucinant* de cet évènement.
Le 16 décembre 2015 donc, «en présence et sous le haut patronage de Fleur Pellerin» – le patronage, voilà un mot qui fleure bon l’enfer pavé de bonnes intentions – «treize grands acteurs du secteur de l’immobilier ont signé la charte 1 immeuble, 1 oeuvre. Ces entreprises s’engagent à commander ou acquérir une oeuvre d’art auprès d’un artiste pour tout programme d’immeuble à construire ou à rénover». Ils n’ont pas peur d’être treize à table les saints patron(age)s** ? Mais bon, pourquoi pas, ça ne mange pas de pain…
«Avec ce programme inédit…» poursuit le texte. Inédit, vraiment ? Le 1% artistique n’existe que depuis 1951 mais ne s’applique en effet réglementairement qu’aux bâtiments publics. Il est donc notable que les signataires, tous privés, de la charte «marquent [ainsi] leur volonté de donner au plus grand nombre la possibilité de vivre ou de travailler au contact d’une oeuvre d’art». N’est-ce pas merveilleux et touchant ? Ce n’est qu’une charte notez bien. Combien de chartes ces grands groupes peuvent-ils signer ? BNP Paribas par exemple, en sus de cette nouvelle charte, a déjà ces derniers mois signé rien moins que la charte de la diversité et la charte LGTB. Nous en oublions sans doute.
De fait, le communiqué n’en a pas fini de pontifier. «Les oeuvres d’art favorisent les échanges entre les personnes, sans distinction d’âge, de niveau d’éducation ou de milieu social, et contribuent à l’amélioration de la qualité de vie des occupants et des visiteurs des bâtiments». Pour du patronage, c’est du patronage. Et surtout ne pas oublier de manger cinq fruits et légumes par jour.
Les signataires nous veulent tellement de bien que «c’est pourquoi, [ils] souhaitent inscrire ce projet au coeur de leur démarche qualité». Notez qu’il ne s’agit pour eux que d’un vœu, pieux sans doute, et qu’il est permis de douter de la bonne volonté de ces géants de l’immobilier de n’avoir d’autre ‘cœur’ qu’une œuvre d’art pour leur démarche qualité. De toute façon, puisqu’il n’est fait état ni de montant ni de pourcentage des travaux, ce budget passera au pire dans le budget communication du Groupe à grands renforts de petits fours Rue de Valois.
«Le programme 1 immeuble, 1 œuvre», poursuit le communiqué de la ministre des architectes, «s’inscrit pleinement dans la politique de soutien que mène la Ministre depuis un an en faveur de l’art, l’art contemporain et plus singulièrement la jeune création. Plus d’un millier d’oeuvres seront ainsi créées ou acquises chaque année et exposées dans tous les territoires». Dans tous les territoires ? Des T.I.M, territoires d’intra-mer ? Passons.
Dans le 1% artistique, la proposition émane de l’artiste et du maître d’œuvre. Mais pour ces œuvres «créées ou acquises», les signataires auront-ils l’obligation de travailler avec les architectes ? Où pourront-ils acheter, s’ils le souhaitent, ce que bon leur semble à qui ils veulent ? Pas un mot à ce sujet. Bonjour la croûte de la copine du fiston qui a besoin d’un coup de pouce et qui est si gentille dans l’entrée minimaliste de l’architecte… Au fait, un mot sur la jeune création architecturale aurait été gentil pour les hommes de l’art, surtout en regard de l’éloquent discours*** prononcé par la ministre le 28 septembre 2015.
Question bon goût, aucune crainte pourtant puisque le ministère de la Culture etc. «accompagnera les signataires de la charte dans cette démarche par son expertise artistique et juridique.» Accompagner ??? Le plus poliment du monde sans doute. Pour rappel, dans le cadre du 1% artistique, les créations sont selon leur coût issues de diverses consultations et commissions et «l’expertise artistique et juridique» est contraignante. Là c’est le maître d’ouvrage qui décide tout seul ? Mais bon l’accompagnement donnera aux fonctionnaires experts du ministère de quoi faire semblant et donner le change.
Sans doute puisque la carotte est déjà prévue : «Ce programme donnera lieu à l’octroi du label ‘1 immeuble, 1 œuvre’ dont les constructeurs, propriétaires et occupants pourront se prévaloir». Trop forte l’idée, inédite elle aussi ! Chouette, un nouveau label ‘fait à la maison’ ! Qu’est-ce qu’on va se prévaloir !
La preuve, pour conclure, les derniers mots du communiqué : «Chaque année seront décernés le Grand prix, le prix de l’émergence et le prix du public permettant à cette démarche d’être connue et reconnue».
Bref un nouveau machin et nous voilà sauvés.
Christophe Leray
*Le communiqué, daté du 16 décembre 2015 est cité in extenso dans cet article entre guillemets.
**Ces entreprises au grand coeur sont (par ordre alphabétique) : Accor ; Ardian ; BNP Paribas Real Estate ; Bouygues Bâtiment Île-de-France/Sodearif ; Bpd Marignan ; Compagnie de Phalsbourg ; Eiffage Immobilier ; Emerige ; Gecina ; Hines France ; OGIC ;Pitch Promotion ; VINCI immobilier
***http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Discours/Presentation-du-projet-de-loi-Liberte-de-creation-architecture-et-patrimoine septembre 2015