
Peut-être le temps est-il venu de reconsidérer la question du logement en général, des ‘grands ensembles’ en particulier. C’est le projet des logements d’Auteuil – 177 logements sociaux (Paris Habitat), 200 logements en accession (Cogedim) – dans le chic XVIe arrondissement de Paris qui remet radicalement en cause l’idée selon laquelle les ‘grands ensembles de logements sociaux c’est mal’ ainsi qu’une certaine vision étriquée de la mixité sociale.
Reprenons. Le 21 avril 2016, la justice autorisait enfin, après huit ans de procédure, la construction de 177 logements sociaux boulevard Suchet, à deux pas du bois de Boulogne et de la super chic Villa Montmorency, home des Rich & Famous, un projet contre lequel s’opposaient 600 copropriétaires du quartier. Très bien. Sauf qu’à cette date, les deux bâtiments de 8 et 9 étages, signés Francis Soler et Rudy Ricciotti étaient déjà construits – ils seront livrés à la fin de l’été 2016.
De fait, cette décision permet enfin le début des travaux pour les deux autres bâtiments prévus au programme, – 201 logements, signés Anne Demians et Finn Geipel, puisque la vente en VEFA ne peut commencer que lorsque tous les recours ont été purgés. Il est ironique d’ailleurs que les logements sociaux soient au final construits plus rapidement que les logements privés. A contrario, qu’il faille tant de temps, huit ans, pour purger les recours en dit long sur l’efficacité du droit français…

En 2008, la ville de Paris, propriétaire de la parcelle lance un concours pour 400 logements, dont la moitié sociaux, avec un slogan : ‘trois jeunes architectes et une star’. Avant même la crise de 2008 et ses lendemains qui déchantent, il était déjà question de faire travailler les ‘jeunes architectes’ et la mairie de Paris s’y employait audacieusement. Elles sont nombreuses depuis les jeunes agences à se féliciter à juste titre de leur premier contrat avec la SIEMP.
‘Trois jeunes et une star’ ? Facétieux, Francis Soler, Rudy Ricciotti et Finn Geipel s’amusent à retourner le concept : pourquoi pas ‘trois stars et un jeune’ ? Pour le jeune architecte, ils s’adressent à Anne Demians, encore peu connue mais qui travaille déjà très bien dans son atelier de Montreuil. «Du coup on l’a mise mandataire comme ça Rudy, Finn et moi ne risquions pas de nous fâcher», raconte Francis Soler. Lors du concours, leur projet offre la plus grande surface de plancher : trois stars et une jeune sont plus costauds que trois jeunes et une star. Bref ils gagnent. C’est Paris-Habitat qui est titulaire du lot.
Les architectes avaient décidé de s’appuyer sur l’effet de masse du programme et pour ces quatre bâtiments – un chacun – de mutualiser le système constructif quelle qu’en soit la destination, publique ou privée, en s’appuyant sur l’idée d’une coopérative de matériaux génériques (pas plus de 3 ou 4) : même entreprise générale (Léon Grosse), mêmes façades en aluminium et verre mais différenciées par leur montage et leur apport industriel, même traitement paysager, dans un parc dessiné par Louis Benech, servant de lien fédérateur à ces logements tous pourvus de balcons.

Une seule boîte à outils, quatre immeubles différents. «A la différence d’autres opérations composites, où chacune cherche à forcer sa différence, celles-là sont liées par un sort commun (même terrain, mêmes missions d’architectes, même plan, mêmes composants, mêmes tonalités, mêmes sonorités). Il n’y a pas d’ostentation car il s’agit ici d’une communauté de pensée et de gestes», raconte Francis Soler pour expliquer leur complicité. Il ne s’agit donc pas d’une addition sur un même bâtiment mais bien de quatre architectures côte à côte. «Chaque bâtiment est signé mais ils sont cousins, frères, ils n’ont pas le même ADN mais ils ont les mêmes gènes», dit-il. Un cas unique ? «Ce qui est magnifique est que nous nous sommes choisis», s’émerveille encore Francis Soler. Ah, si on laissait aux architectes le choix des équipes…
Quatre bâtiments, une trame : l’entreprise de travaux a bien évidemment écouté les hommes de l’art et l’effet de masse a permis d’inscrire l’unité globale du projet dans une économie de moyens et de savoir-faire qui, sans interdire la diversité, fait la part belle à des prestations de qualité comparable quel que soit le type d’habitat, public ou privé. «Le premier vrai projet communiste de l’architecture», remarque Rudy Ricciotti. De fait, les ouvrages livrés sont ceux qui furent dessinés il y a huit ans, l’écriture fabriquée par la technicité et non par le style ne vieillissant pas.

Maintenant constatons que, autour de la notion de diversité, plus la commande est saucissonnée, le plus souvent autour d’opérations de 40 ou 50 logements, plus les processus de sélection des architectes et de conception de la ville deviennent flous. S’il faut huit architectes pour 400 logements, alors compter au moins deux étrangers, quelques jeunes agences, des femmes et puis untel à qui on doit une faveur, et puis tel autre, etc. avec le risque d’obtenir huit bâtiments plus ou moins bien finis en fonction des capacités des entreprises à amortir leurs frais. Et si au final l’ensemble ne fonctionne pas, chacun ne se sent ni concerné ni responsable.
«Avec le budget global d’Auteuil, 2 x 34M€, on peut discuter correctement d’un urbanisme et d’une architecture qui tiennent la route», soutient Soler. Dit autrement, pour 100 logements par exemple, en grossissant le trait, faut-il cinq architectes avec 20 logements chacun ou un seul avec 100 ? A qui l’effet de masse bénéficie-t-il ?

Bien sûr que les projets ‘dents creuses’ sont nécessaires et utiles et doivent permettre aux jeunes agences de travailler et d’innover mais force est de constater que ce n’est pas avec l’éparpillement que sera résolue la crise du logement. Chaque gouvernement promet chaque année des chiffres de constructions de logements jamais atteints sans pour autant jamais proposer une politique de logements de masse, seule à même de contribuer efficacement à résorber le déficit.
Pourtant, quand Anne Demians et Finn Geipel auront livré leurs immeubles – et cela devrait aller vite maintenant, livraison prévue en 2018 – ce ne sont pas moins de 400 logements qui auront été financés, construits et insérés d’un coup, sur une parcelle étroite, dans un quartier pourtant a priori irréductible aux ‘grands ensembles’. Et sans doute que les commerces de la porte d’Auteuil ne seront pas malheureux de ces 400 nouveaux foyers, deux cent d’entre eux fussent-ils sociaux. C’est la fleuriste qui va être contente.

Dernière ironie de ce programme exceptionnel, COGEDIM a reçu le grand prix régional du concours ‘La pyramide d’argent 2016’ organisée par la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI), alors même que ses bâtiments ne sont pas encore construits et que c’est un bailleur social qui est à l’origine du projet !
Il n’est pas question ici que Paris devienne Hong Kong mais ce que démontrent les réalisations de la porte d’Auteuil est que l’idée du grand projet urbain et son effet de masse, tant au bénéfice de l’habitat social que privé, doivent légitimement être repris en compte sans tabou lors de l’élaboration de la ville.
Christophe Leray
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