A Toulouse (Haute-Garonne), un collectif d’architectes, associé à un collectif d’habitants du Mirail, s’oppose à la démolition programmée de sept immeubles de logements collectifs réalisés par l’équipe d’architectes Candilis, Josic et Woods dans les années 1960, un ensemble de grande qualité architecturale. Au-delà d’un moratoire sur ces démolitions, qui concernent 1 421 logements sociaux totalement réhabilitables, le collectif demande la tenue d’un concours d’architecture et d’urbanisme pour la requalification urbaine et architecturale du quartier sans démolition. Lettre ouverte.
Toulouse, 16 novembre 2022
Lettre ouverte à Madame Rima Abdul Malak, ministre de la Culture
Objet : Demande urgente de moratoire sur les démolitions de 1 400 logements de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail à Toulouse et de lancement d’un concours d’architecture et d’urbanisme pour une requalification urbaine et architecturale du quartier sans démolition.
Madame la ministre,
À l’occasion de la remise de la médaille d’Or de l’Académie d’Architecture en septembre, vous vous êtes exprimée en évoquant votre histoire personnelle pour illustrer le respect que vous portez à l’architecture.
Alors que vous aviez dix ans, votre pays se retrouve plongé dans la guerre civile. Pour vous, c’est alors « une vision de la perte de l’architecture par les destructions de la guerre, les bombardements et éclats d’obus dans les immeubles ». Puis, vient l’époque de la « reconstruction » où vous observez des immeubles « se relever ». Vous dites : « Chaque nouveau projet architectural, chaque bâtiment, chaque geste dans la ville pensée par un ou une architecte était comme une victoire contre la haine et la mort. Pour moi, votre rôle en tant qu’architecte est aussi celui de nous aider à nous relever après les drames. Vous, architectes, vous savez comment faire durer, réparer, s’adapter, anticiper. Vous avez cette vision du futur. Notre avenir dépend aussi en partie de vous… Nous réfléchissons à la chaîne de valeur de production de l’architecture, à la place des femmes, à la durabilité, à la qualité et à la transition écologique. Nous sommes pleinement confiants dans votre capacité à embrasser cette responsabilité à la fois historique, politique, sociale, environnementale de l’architecture ».
Nous partageons cette vision de la perte de l’architecture par les destructions et nous nous adressons aujourd’hui solennellement à vous concernant les démolitions programmées et infondées de logements de grande qualité architecturale de l’équipe Candilis au Mirail à Toulouse.
Notre courrier fait suite à celui que notre Collectif d’architectes avait adressé le 22 décembre 2021, à votre prédécesseure, Madame Roselyne Bachelot-Narquin, pour l’alerter de la démolition imminente de sept immeubles de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail à Toulouse, soit plus de 1 400 (à la date d’aujourd’hui) logements de grande qualité. Nous vous joignons ce courrier en copie.
Notre collectif demande un moratoire sur les démolitions et le lancement d’un concours d’architecture et d’urbanisme pour la requalification urbaine et architecturale du quartier du Mirail sans démolition. Il a reçu à ce jour le soutien de nombreux architectes dont Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Prix Pritzker 2021, Frédéric Borel, Grand prix national de l’architecture 2010, Richard Klein, président national de l’association Docomomo France, ainsi que celui de l’Ordre des architectes d’Occitanie et de son président Christian Combes, de Christine Leconte, présidente du Conseil National de l’Ordre des architectes, et de Drina et Takis Candilis, fille et fils de Georges Candilis.
Nous sommes également soutenus à ce jour par la présidente de notre région Madame Carole Delga et le député de la circonscription où se trouve le Mirail, Monsieur François Piquemal.
Nous demandons à être reçus par Monsieur le préfet Étienne Guyot et par le Conseil départemental.
À ce jour, la mairie et Toulouse Métropole poursuivent le même projet de démolition avec l’ANRU, pourtant rejeté par le premier rapport du commissaire enquêteur Michel Jones en 2017.
Or, détruire représente :
– un gâchis humain considérable : un collectif d’habitants concernés explique que le projet actuel de démolition détruit toute l’histoire d’une vie sociale très forte ainsi que des liens de solidarité et d’entraide tissés tout au long de dizaines d’années (1) ;
– un gâchis financier : le coût prévisionnel des démolitions prévues s’élève à plus de 87 millions d’euros (2). Or, cela coûte beaucoup plus cher à la collectivité de détruire et reconstruire que de réhabiliter, à plus forte raison aujourd’hui avec l’inflation sur les coûts de matériaux. Nous pouvons citer l’exemple remarquable de la réhabilitation des immeubles GHI Grand Parc à Bordeaux, récompensée du Prix de l’Union européenne Mies van der Rohe : les architectes avaient comparé les coûts de la réhabilitation à ceux de la démolition-reconstruction avec un rapport de 3 à 3,6 fois plus faible (3) ;
– un gâchis écologique et environnemental : l’empreinte carbone d’une destruction-reconstruction est de 2 à 5 fois plus élevée que celle d’une réhabilitation. (4) De plus, le Mirail est un quartier très boisé de Toulouse avec plusieurs centaines de grands arbres dont la plupart sont au moins sexagénaires. De nombreux espaces verts arborés sont voués à la disparition par l’actuel projet de démolition. Ces « îlots de fraîcheur » voulus et maintenus initialement par le projet Candilis représentent pourtant un atout très précieux pour la ville de Toulouse et ses habitants face au réchauffement climatique actuel ;
– un gâchis architectural et patrimonial : les immeubles de logement Candilis étant de très grande qualité, ils constituent des références dans le monde entier et sont étudiés et visités pour cela. Les appartements répondent tous aux recommandations du rapport Girometti-Leclercq 2022 commandité par le ministère du Logement : ils offrent des espaces généreux, traversants, lumineux, sans vis-à-vis, insonorisés, et se prêtent facilement à une rénovation énergétique.
Le rapport du CSTB Recherche ne peut être plus clair : « Les bâtiments existants représentent le premier capital physique, économique, social et culturel de nos sociétés. […] il demeure essentiel de développer, massivement et à grande échelle, la réhabilitation de l’existant, pour atteindre des objectifs environnementaux, comme la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 ». (5)
De plus, l’exposition « Conserver, adapter, transmettre » présentée au Pavillon de l’Arsenal à Paris, démontre très bien « une nouvelle manière de construire qui s’expérimente, précisément en évitant de construire. Car des bâtiments qu’on ne construit pas, « c’est du carbone qu’on n’émet pas » ». (6) C’était aussi le sens de la conférence « Ne pas démolir est une stratégie » (7) qui a eu lieu en septembre 2022 au centre d’architecture Arc en rêve à Bordeaux.
Adapter, faire durer, anticiper, réhabiliter sans détruire pour construire le futur, voilà ce que peut et doit apporter un travail d’architecture intelligent sur l’existant.
En soutien à notre action, Madame Christine Leconte, présidente du CNOA, s’est adressée dans son courrier (8) du 1er avril 2022 à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la Culture :
« Nous voulons à notre tour plaider auprès de vous pour qu’une issue alternative à la destruction soit trouvée… L’importance patrimoniale des immeubles de Georges Candilis offre toutes les conditions pour qu’une opération prestigieuse de rénovation architecturale soit entreprise… Nous vous prions donc de bien vouloir intervenir dès maintenant auprès du président de la Métropole de Toulouse pour suspendre les opérations… ».
En réponse avant son départ, Madame Roselyne Bachelot-Narquin nous a informés qu’elle avait aussitôt transmis ce dossier si important et urgent à la Direction Régionale des Affaires Culturelles en la sollicitant « afin qu’ils l’étudient avec le plus grand soin » ; le projet de démolition des résidences du Mirail est toujours programmé par la Mairie de Toulouse. Nous vous joignons copie de ce courrier.
C’est donc tout naturellement, Madame la Ministre, que nous nous adressons à vous aujourd’hui.
Des relogements de locataires de plusieurs immeubles ayant commencé, la démolition d’un des immeubles – l’immeuble Gluck – peut être imminente puisqu’il fait l’objet d’un permis accordé de démolir. Elle représenterait une catastrophe irréparable sur tous les plans, et le début d’un processus en chaîne que nous voulons arrêter.
Nous vous sollicitons solennellement pour intervenir en urgence afin d’arrêter la destruction des bâtiments de l’équipe Candilis-Josic-Woods par un moratoire et lancer, grâce à une initiative au niveau préfectoral ou régional, une concertation pour le lancement d’un grand concours d’architecture et d’urbanisme pour une requalification urbaine et architecturale sans démolition du quartier du Mirail à Toulouse.
Nous vous invitons à venir visiter ce quartier avec nous pour apprécier par vous-même l’importance de sa préservation et nous nous tenons à votre disposition pour cela.
Enfin, nous vous joignons les liens des prises de position par reportage vidéo en faveur de l’arrêt des démolitions de M. Jean-Philippe Vassal, Prix Prizker 2021, M. Renaud Epstein, spécialiste de la politique de rénovation urbaine, M. Christophe Hutin, architecte et commissaire du Pavillon français de la Biennale d’Architecture de Venise 2021 (9) et de M. Fabrizio Gallanti (10), directeur du centre d’architecture de Bordeaux.
En vous remerciant par avance de l’examen bienveillant que vous porterez à notre démarche,
Veuillez agréer, Madame la ministre, l’expression de notre très haute considération,
Pour le Collectif des architectes en défense du patrimoine architectural de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail soutenu par des centaines d’architectes : Jerôme Darnault, Claire Martin, Gilbert Pedra, Michel Retbi, Fabrizio Samaritani, Jean-Pierre Sirvin, etc.
Site internet du collectif : https://sites.google.com/view/collectifpourcandilis/accueil?authuser=0
Pétition publique : https://sites.google.com/view/collectifpourcandilis/p%C3%A9tition?authuser=0
Pétition change.org : https://www.change.org/toulouse_renovation_immeubles_mirail_sans_demolition
Le Collectif des architectes en défense du patrimoine architectural de l’équipe Candilis-Josic-Woods au Mirail
12, rue Emile Cartailhac
31000 TOULOUSE
collectifpourcandilis@gmail.com
(1) ASSEMBLÉE D’HABITANTS DE REYNERIE, « Communiqué commun : Pour une rénovation des immeubles Candilis du Mirail sans démolition, sans spéculation et dans le respect des habitants ! », 2022. Disponible ici
(2) MAIRIE DE TOULOUSE, Approbation du conventionnement du NPNRU financé par l’ANRU, 2019. Disponible ici
(3) BORNE, E., « Profession : Anne Lacaton : « Nous cherchons toujours à dilater l’espace » », L’Architecture d’Aujourd’hui, n°424 « On peut être généreux et économique, rigoureux et créatif à la fois », 2018, page 48.
(4) SZEFTEL, E., « Urbanisme – Rénover au lieu de construire : une expo dessine le « nouveau paysage » de Paris ». Libération, 2022. Disponible sur le site de Libération
(5) CSTB Recherche, « Rénovation énergétique » disponible sur CSTB Recherche
(6) SZEFTEL, E., « Urbanisme – Rénover au lieu de construire : une expo dessine le « nouveau paysage » de Paris », op. cit.
(7) ARC EN RÊVE, Rencontre « Ne pas démolir est une stratégie », 2022. Disponible sur le site internet d’arc en rêve
(8) Courrier de Mme Christine Leconte présidente du CNOA adressé à Mme Roselyne Bachelot-Narquin en avril 2022, disponible sur le site du CNOA
(9) POUR LA DÉFENSE DU MIRAIL, « Démolir le Mirail est une absurdité ! », Youtube, 4:18, 2022. Disponible sur Youtube
(10) POUR LA DÉFENSE DU MIRAIL, « Imaginer démolir le Mirail à Toulouse est une grande erreur », Youtube, 2:46, 2022. Disponible sur Youtube