Comment le pôle hospitalier du voironnais, dont le concours a été remporté il y a 15 ans par les agences Nickl & Partner Architekten architecte mandataire et Gautier+Conquet et associés, peut-il à sa livraison en 2021 ne pas être déjà obsolète ? Après un projet compliqué, ce n’est pourtant pas le cas. Visite.
En janvier 2007, face à Jean-Paul Viguier, AIA et Atelier du Prado dont le savoir-faire en architecture hospitalière était reconnu, les agences allemande Nickl & Partner Architekten (Hans Nickl et Christine Nickl Weller) et française Gautier+Conquet et associés étaient désignées lauréates pour la conception du nouveau pôle hospitalier public-privé du voironnais. Les architectes de l’agence munichoise, dont l’hôpital de Voiron constituait le premier concours hospitalier gagné en France, n’étaient cependant pas au bout de leur peine et la joie du concours gagné fut de courte durée.
Le programme, pour la reconstruction d’un nouvel ouvrage à quelques kilomètres de l’ancien hôpital de Voiron, avait été élaboré au tout début des années 2000 par ce qui était à l’époque encore l’ARH (devenue depuis l’ARS). Lors du concours, une clinique privée locale devait fusionner avec le projet public. Cependant, après moult tergiversations cette fusion fut abandonnée, mais pas oubliée.
Bref, durant la vingtaine d’années de gestation de ce projet finalement public, les architectes et leur architecture ont dû s’adapter à de multiples rebondissements. En premier lieu parce que le concours s’est fait sur un foncier qui n’était pas maîtrisé.
« En cours d’études, la réserve foncière du projet est passée de 14 hectares lors du concours à 7 hectares en phase projet, en raison de difficultés politiques rencontrées par le maître d’ouvrage pour acquérir à l’amiable les terrains agricoles environnants », explique Astrid Beem, directrice générale de l’agence française de Nickl & Partner architekten, une agence de 180 collaborateurs, spécialisée en architecture hospitalière implantée à Munich, Berlin, Zurich, Paris et Pékin, sérieuse donc. Du moins bien plus que les maîtres d’ouvrage made in France qui conservent cette fâcheuse habitude de lancer des projets avant même d’être certains de leur faisabilité. Qui lancerait la construction d’une maison avant d’être propriétaire du terrain ?
Pour résoudre cette première étape de la loi de Murphy qui allait poursuivre le projet de bout en bout, les architectes ont d’abord retourné l’édifice sur la parcelle, afin de limiter les nuisances et de conserver son intégration dans le paysage. D’autant qu’il a également fallu attendre, dans ce Tetris juridique d’acquisitions qui interrompit le projet entre 2008 et 2014, que la ville face parallèlement construire une route et un rond-point afin de permettre dans un premier temps l’approvisionnent du futur chantier et, surtout, de relier l’hôpital au centre-ville afin de ne pas tomber dans les mêmes travers qui affectaient l’hôpital existant en termes d’accessibilité.
Non contents de se trouver amputés de la moitié de la surface de leur parcelle, les architectes ont ensuite essuyé une baisse significative de budget, lequel, pour concevoir un hôpital de près de 28 000 m², est passé de 75 M€ lors du concours à 55 M€. Une fois de plus, les architectes ont dû faire preuve de résilience et adapter le dessin. Toutefois, perdre autant de surface et de budget ne s’est pas fait sans heurts pour le projet. « Il a fallu opérer des réductions de surfaces significatives, en supprimant notamment un pôle énergie, un laboratoire, un niveau de plancher et des unités d’hébergement », précise Pascal Hendier, architecte associé de l’agence Gautier+Conquet et associés
« Malgré toutes ces péripéties et un programme nettement revu à la baisse, le concept initial du projet a été préservé. Notre concept démontre ainsi sa flexibilité aux aléas et une adaptabilité aux différents contextes du projet », se félicite cependant Astrid Beem. Les agences avaient imaginé une structure simple et aérée dans un contexte paysager. La volumétrie basse n’encombrait pas la parcelle tandis que de larges ouvertures laissaient entrer une lumière naturelle généreuse tandis que chaque espace de l’équipement générait des vues sur le massif de la Chartreuse.
« Ce système d’agrégation d’unité permet d’envisager des extensions possibles d’autres fonctions dans le futur, comme de l’ambulatoire », ajoutent les architectes. Inversement, l’histoire du projet a déjà démontré que cette agrégation, si elle peut être multipliée, savait aussi être divisible à l’envi. Si bien que, à sa livraison en 2021, l’hôpital du voironnais compte huit unités et 229 lits sur environ 28 000 m², bien en deçà du programme originel qui prévoyait plus de 300 lits.
Après un permis de construire déposé en 2016, le chantier put enfin démarrer. Le concours datant de plus de dix ans, en pleine crise du bâtiment, les agences souhaitaient éviter tout risque de faillite d’entreprises, ce qui aurait encore davantage accentué un retard record. « Il fut alors décidé de lancer la procédure d’appels d’offres en procédure négociée en macro-lot, une première à l’époque », révèle Pascal Hendier. Les architectes et le maître d‘ouvrage pensaient ainsi faire preuve d’anticipation malgré une opération mal ficelée.
Hélas, le chantier fut de nouveau touché par un désalignement des planètes puisque « c’est tout le macro-lot (gros-oeuvre, clos-couvert, partitions – finitions) qui fit faillite en cours de route, ajoutant du retard au retard, quelques mois avant l’interruption liée au Covid de 2020 », soupire Serge Clot, maître d’ouvrage, architecte ingénieur de formation en charge du projet de l’hôpital, et déjà présent lors du concours.
Vingt ans plus tard, le maître d’ouvrage, finalement heureux de l’opération, notamment sur le plan du confort, note que le projet livré n’est ni dépassé ni obsolète. « Les cibles s’approchaient à l’époque de ce que furent celles de la RT 2012-20%. Nous étions très ambitieux lors du concours avec un système de double façade (devenu classique aujourd’hui), et une dalle active pour le chaud et le froid de la majorité des espaces de vie de l’hôpital (en dehors des blocs opératoires et des salles de stockages de médicaments) », soutiennent les architectes.
De fait, lors de la visite de presse, les espaces intérieurs sont d’ailleurs très agréables. La dalle active, qui chauffe et refroidit par inertie sans avoir à injecter de l’eau à très haute température comme pour un chauffage classique permet de se passer de climatisation (en dehors de certains espaces techniques). Les faux plafonds sont supprimés, la hauteur sous dalle offre l’impression d’un large volume accentuée par les larges et hautes baies qui baignent de lumières chaque espace.
Même les blocs opératoires bénéficient de la lumière naturelle, « ce qui permet de conserver le rapport au temps pour les médecins et les équipes lors des longues interventions », signale Astrid Beem, spécialiste de l’architecture hospitalière après avoir passé quinze ans à l’agence Brunet et Saunier, avant de rejoindre l’agence allemande.
Techniquement, les ratios surface / coûts sont beaucoup plus bas en France qu’en Allemagne. Selon les architectes qui ont construit à 2 000 euros/m² à Voiron, en Allemagne, le budget serait aux alentours des 3 000 euros/m², sans parler de la Suisse qui offre des enveloppes proches de 3 500 euros/m² en hospitalier. « Nous avons dû nous adapter. Je vois ça plutôt comme un challenge cette contrainte de trouver de la surface et de réussir à construire avec une certaine générosité. Nous pensons que l’architecture peut et doit favoriser la guérison des patients ainsi que le bien-être du corps médical. C’est la ‘Healing Architecture’. Il y a des enjeux d’attractivité pour le personnel en étant heureux d’aller travailler le matin et d’exercer des tâches souvent difficiles dans un environnement lumineux et bien pensé » précise-t-elle. L’hôpital enfin sorti de terre semble satisfaire au bonheur du personnel rencontré lors de la visite.
Si les contingences économiques ont contribué à supprimer une part importante du projet, les architectes ont réussi à conserver ce qui faisait la qualité d’usage du lieu. « Initialement, toutes les chambres avaient des vues sur le grand paysage de la Chartreuse. Aujourd’hui, toutes les circulations sont éclairées par des patios », rappelle Astrid Beem. « Les salles de réveil sont très claires et ouvertes. Les post et pré-anesthésies sont regroupées, une innovation du programme rendue possible grâce à l’architecture du bâtiment », complète le maître d’ouvrage.
Des modifications ont déjà été apportées au bâtiment. « Nous constatons qu’elles interviennent sur des éléments qui ont déjà subi des rabais ou des modifications ‘sur des coins de tables’ pendant les études », justifient les architectes, interrogeant une fois de plus le savoir-faire et la pertinence des injonctions à la modification et aux économies perpétuelles pendant les études si elles doivent être remises en cause dès la livraison.
Au demeurant, la majorité des retards et des modifications sont du fait d’une opération mal préparée par la puissance publique, incompétence dont les répercussions interrogent jusqu’à aujourd’hui puisque, bien que le projet de fusion public privé ait été abandonné, une clinique pourrait encore s’intégrer dans le projet. Ainsi quatre salles de blocs et une unité d’hébergement ont été construites avec les deniers de l’Etat du plan hôpital 2012 mais restent inutilisées, la faute à un manque de moyens justifie Serge Clot, le maître d’ouvrage, qui n’en peut mais…
Léa Muller
*Lire le communiqué de presse de ce projet : L’hôpital de Voiron signé Nickl & Partner et G+C et associés