L’école d’architecture Confluence – Institute of Innovation and Creative Strategies in Architecture, de son nom complet – fondée par Odile Decq en 2013 à Lyon pose une vraie question : quel enseignement de l’architecture au XXIe siècle ? Mais avant d’aller plus loin dans la pédagogie, il convient d’apporter quelques réponses aux polémiques nées lors de l’annonce en 2013 par l’architecte de sa volonté d’ouvrir une école d’architecture privée.
Le contexte
Les réactions à cette annonce furent en effet, pour certaines, véhémentes. Le Syndicat de l’architecture par exemple, dans une lettre courroucée à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, écrivait notamment en février 2014, «(…) qu’il ne s’agit pas de développer les valeurs culturelles, sociales et éthiques de l’architecture, mais bien plutôt de gagner de l’argent».
L’école a démarré à l’automne 2014 avec six élèves, elle en compte aujourd’hui 22. Il en faut 50 ou 60 pour atteindre l’équilibre. Le management de l’école est à la charge de l’agence d’Odile Decq, laquelle a par ailleurs fait un emprunt en son nom propre pour l’achat des machines à découpe numériques, de prototypage et autres robots.
Le Syndicat de l’architecture s’inquiétait de plus du «montage financier de cette opération», un article plein de sous-entendus du Monde* donnant du grain à moudre aux détracteurs du projet. Rien de mystérieux pourtant. Gérard Colomb, le maire de Lyon, a permis à l’école d’acquérir un terrain et un bâtiment industriel vacant dans ce quartier de Confluence en pleine transformation.
Une promesse de vente, un permis de construire en bonne et due forme et des appels d’offres déjà réalisés par l’agence au nom de l’école, c’est ce projet qu’a ensuite acheté un promoteur. Mécénat ? Certainement pas. Aujourd’hui, mitoyen de l’école, se construit un immeuble de logements étudiants, signé du Studio Odile Decq, avec lequel le promoteur a bouclé son projet. C’est ainsi que l’école a pu voir le jour. Aujourd’hui, l’ancien bâtiment réhabilité et restructuré est splendide et, dans sa conception même, dédié à l’enseignement. Faut-il vraiment s’étonner qu’un architecte soit tout à fait capable d’imaginer un tel projet ?
Se pose également la question du coût des études. Aujourd’hui que l’école commence à trouver son rythme, même si le sentiment d’aventure demeure, le prix des études s’élève à 11 000€ par an. Cela est certes environ 20% de plus que celui de l’Ecole Spéciale à Paris (9 000€), laquelle compte plus de 600 élèves en 2017, mais ce tarif mérite d’être nuancé.
Ce sont d’ailleurs les étudiants eux-mêmes qui le font. Ceux qui étaient auparavant à l’ESA font valoir que la différence de prix entre Paris et Lyon – le loyer trois fois moins cher notamment – compense largement l’augmentation, sans parler de la qualité de vie. Pour les autres et pour le futur, l’école cherche à mettre en place des bourses et des financements par des mécènes, comme cela se fait habituellement dans les pays anglo-saxons. Qui plus est l’école a passé un accord avec la banque du projet pour des prêts privilégiés aux étudiants, là encore comme cela se fait pour d’autres écoles, plusieurs étudiants ayant opté pour cette solution.
De fait, le coût des études à Confluence demeure trois à quatre fois moins cher que des études similaires dans une université américaine ou anglaise. L’entrée se fait sur sélection et sur dossier. «Il faut être motivé», indique Odile Decq.
Enfin, en attendant, l’école sous-loue des espaces. Une start-up – le Wagon – s’est notamment installée à l’étage ainsi qu’une jeune agence d’archi, NODD. Un fablab sera bientôt, sous conditions, ouvert au public et aux entreprises. Bref, que le Syndicat de l’architecture se rassure, l’école a pignon sur rue. Un conseil à quiconque souhaite faire fortune, n’ouvrez pas une école d’architecture.
Le parti pris pédagogique
Odile Decq a enseigné à l’Ecole Spéciale d’Architecture (ESA) depuis 1992, elle en fût la directrice de 2007 à 2012. Le projet Confluence est né de sa conviction que l’enseignement de l’architecture doit s’adapter aux nouvelles générations. Plutôt que les cours magistraux, des notes et des redoublements, elle préconise la multidisciplinarité et le fait «d’apprendre en faisant». «Parce que le monde a changé, parce que l’architecture a évolué, il est essentiel de réintroduire l’expérimentation et une vision prospective au sein de l’enseignement», estime-t-elle.
Le cursus de l’école Confluence est donc organisé chaque semestre autour d’ateliers – trois ‘workshops’ de 5 à 10 jours -, d’une dizaine de séminaires, d’un ‘studio long’ avec un professeur autour d’une thématique, de conférences, de visites architecturales et de visites de chantier.
La spatialité de l’école traduit parfaitement ces intentions : une superposition de plateaux ouverts et flexibles et de laboratoires expérimentaux qui ont chacun leur propre identité. L’accent mis sur l’international est prégnant dans l’école : le ‘Creative open space’, au rez-de-chaussée, illustre parfaitement la philosophie sans cloisonnement de l’école, au sous-sol, le ‘Creative maker space’ donne accès aux machines et invite les étudiants à tester leurs idées, l’espace étant suffisamment grand pour produire des prototypes de gros volumes. A l’étage, le ‘Creative Connective Space’ propose et interroge les nouvelles modalités de connexion. C’est le lieu des réseaux et des échanges depuis et vers le monde. C’est aussi là que sont les bureaux de l’administration.
Cette pédagogie se traduit également dans la liberté laissée aux étudiants. Chacun possède la clef de l’école et peut y travailler aux horaires qui lui conviennent, «le 31 décembre, des gens bossaient», souligne l’un d’eux. Les étudiants expliquent ainsi avoir un accès direct – après formation – aux machines quand bon leur semble.
Qui plus est, sauf pour ceux en dernière année qui doivent préparer leur diplôme, tous les étudiants se voient confier une responsabilité liée à l’organisation de l’école. Untel s’occupe de tous les appareils techniques, un autre des photos, tel autre de la communication, tel autre de l’entretien des machines, etc. Ce sont aussi les étudiants qui sont en charge de l’accueil des professeurs, intervenants et autres invités, de leur installation à leur arrivée et durant tout leur séjour à Lyon. De quoi se sentir responsabilisé et s’investir dans l’école et, surtout, changer la relation étudiant/professeur. L’accueil est de fait d’une étonnante cordialité.
Le temps est l’une des clefs de la pédagogie de l’école et le diplôme peut être préparé en deux ou trois semestre. Par ailleurs, la proximité entre enseignant et élève permet un niveau d’exigence élevé. Lors de ma visite, j’ai assisté le matin à deux pré-jurys. Chaque étudiant devait présenter en 30 mn l’état d’avancement de son diplôme à un panel de quatre architectes, dont Odile Decq elle-même, Nicolas Hannequin, partenaire du projet depuis le début, Aaron Sprecher, professeur à UCLA et pour l’occasion en direct de Tel Aviv via skype, et Chandlers Ahrens, professeur à la Washington University in St Louis, Missouri. Un jury généreux mais sans concession. Tous les étudiants de l’école assistent aux présentations.
De fait, les étudiants de différentes années sont confrontés ensemble et en groupe aux mêmes problématiques. L’après-midi est d’ailleurs consacrée à la présentation par leurs auteurs des travaux réalisés en workshop avec Chandlers Ahrens. En une semaine, du samedi au vendredi, en immersion intensive, ce que réalisent les étudiants, y compris les première et seconde années, est absolument bluffant. D’autant qu’une grande part est laissée à l’intuition et à la créativité. Chandlers Ahrens de souligner d’ailleurs que le niveau de ces étudiants de Confluence n’a rien à envier à celui de ses étudiants à St Louis. «Ils font d’immenses progrès chaque jour, c’est un environnement unique», dit-il.
Les étudiants sont pour moitié français et pour moitié étrangers. Sur le thème ‘Bordures, limites, frontières’, les séminaires et cours (2016-2017) accueillent parmi d’autres l’anglais Peter Cook, la sud-africaine Karin Smuts, le colombien Juan Velasquez. Les présentations se font donc en anglais, pour les Français souvent un exercice difficile.
Est-ce ce qui suscite les sarcasmes de Patrick Colombier, du Syndicat de l’architecture, cité dans l’article du Monde, qui estimait que «l’école privée lyonnaise ne vise rien d’autre qu’à former une élite que l’on aidera à l’exportation et que l’on mettra en avant dans les futurs jurys de concours».
Justement, dans un système où les directeurs des ENSA sont nommés en Conseil des ministres et sont avant tout des administrateurs qui se fichent de la pédagogie comme de l’an 40, peut-être que la question pédagogique posée par Odile Decq mérite le débat.
Le projet : international
Chandlers Ahrens souligne avoir longtemps travaillé à l’agence Morphosis de Thom Mayne, Pritzer 2005, fondateur de la Southern California Institute of Architecture (SCI-Arc) en 1972. «Il lui a fallu 40 ans pour développer l’école et il n’en était certainement pas là au bout de quelques années comme peut l’être Confluence», dit-il, visiblement impressionné. Il concourt avec l’idée exprimée par Odile Decq que l’architecture doit s’ouvrir à tous les champs de la pensée.
Odile Decq n’est pas isolée dans sa volonté de faire évoluer l’enseignement de l’architecture, au moins de lui offrir une voie alternative. Au contraire, ses recherches entrent en résonnance avec des initiatives similaires un peu partout dans le monde. Elle a notamment tissé des liens avec Monterrey Tech, qui couvre 13 écoles d’architecture au Mexique. A Tijuana, au Mexique encore, un architecte a également créé une école, ‘l’école libre d’architecture’. Idem en Colombie. Glenn Murcutt, le Pritzker australien, lui a payé une visite, elle va s’associer avec une école en Irlande, avec une autre au Pays-de-Galles. Bref, la question de la pédagogie est posée bien au-delà de Confluence.
Contrairement à ce que pourrait penser Patrick Colombier de cette «attitude architecturale qui sort du continuum historique de l’architecture française et de son système d’enseignement», cette attitude n’est donc pas hors contexte, ne serait-ce également parce qu’il s’agit bien d’une école française et, à Lyon, certainement pionnière sur ce territoire de Confluence. Par ailleurs, n’y aurait-il donc selon lui qu’un seul système d’enseignement possible ? C’est un architecte qui l’affirme ??? Sinon quoi, le goulag ?
Certes, le diplôme n’est à ce jour pas reconnu par l’Etat. A juste titre sans doute. Il faut en effet, écrit Vincent Berjot, directeur de la communication au ministère de la Culture dans sa réponse datée de juin 2014 au courrier du Syndicat de l’architecture, qu’avant même de considérer délivrer un diplôme, l’Etat «s’assure après plusieurs années de fonctionnement que les enseignements répondent aux standards nationaux de l’enseignement supérieur prévu par la réglementation». C’est bien le moins. Une question de temps, donc. Sauf que le temps peut être long en France.
En attendant, Confluence a engagé avec le RIBA, le prestigieux Institut Royal of British Architects, une procédure de reconnaissance. C’était l’objet de la visite à Lyon début 2017 du Collège général des directeurs d’écoles de Grande-Bretagne. Apparemment, le projet aura abouti au printemps 2018. Par le système des équivalences, les architectes de Confluence auront un diplôme, à charge pour eux, avant de pouvoir exercer, d’effectuer leur licence d’exercice en deux ou trois ans, comme cela se fait au Royaume-Uni, contre six mois en France pour une HMO.
Christophe Leray
* Le Syndicat de l’architecture s’inquiète de l’ouverture d’une école privée à Lyon, par Jean-Jacques Larrochelle publié le 25 février 2014