Tout au long de la première moitié du XXe siècle, les architectes ont tenté d’obtenir de la part des pouvoirs publics une réglementation destinée à éliminer la concurrence de constructeurs non diplômés (entrepreneurs, ingénieurs, géomètres).
Inspirées par le Code Guadet (1895), leurs démarches en ordre dispersé (si l’on peut dire) n’avaient guère abouti, par un décret du 13 mars 1914, qu’à la reconnaissance du titre d’architecte D.P.L.G. (diplômé par le gouvernement) délivré par l’Ecole des beaux-arts, bientôt suivi, en 1922, par le titre d’architecte DENAD (Ecole nationale des arts décoratifs).
En 1921, Félix Liouville, avocat, député de la Seine, avait déposé une proposition de loi destinée à protéger le titre d’architecte pour lutter contre les professionnels « incompétents ». Examinée en commission, elle ne vint jamais en discussion devant le Parlement.
En 1924, toutefois, un amendement fut ajouté à l’article 259 du Code Pénal qui interdit l’usage du titre professionnel à toute personne qui ne remplit pas « les conditions légalement exigées pour le porteur » sans pour autant préciser ces conditions. Les sociétés d’architectes qui étaient à la manœuvre, se neutralisèrent : La Société Centrale des architectes voulait un diplôme délivré par l’État, la SADG un diplôme délivré par l’Ecole des Beaux-Arts, et la Société nationale des architectes n’entendait dépendre ni de l’un, ni de l’autre.
Paradoxalement, c’est une proposition de loi déposée en 1937 par Paul Vaillant-Couturier au nom du groupe Communiste, appréciée alors par Pierre Vago (dans l’Architecture d’Aujourd’hui), qui faillit venir en discussion, mais l’échec du Front Populaire ne le permit pas. Jean-Louis Cohen, brillant historien de l’architecture de ces années-là, note que « l’institutionnalisation de la profession, souvent considérée comme un « leg infâme » de Vichy, aurait pu être, par certains de ses aspects, une « conquête » du Front populaire ».
Quoi qu’il en soit, l’arsenal règlementaire ne disposait, avant 1939, d’aucun appui pour instaurer autre chose qu’une protection d’un titre, c’est-à-dire un recours obligatoire à l’architecte puisque le permis de construire fut seulement créé par la loi du 15 juin 1943.
Six mois après s’être installé à Vichy, le Gouvernement du Maréchal Pétain adoptait la loi du 31 décembre 1940 qui réservait l’inscription des architectes au tableau aux seuls titulaires d’un diplôme (DPLG). Cette loi fit chuter de moitié le nombre des professionnels du secteur, estimé en 1939 à 12 000 environ. Les bénéficiaires de cette mesure malthusienne accueillirent favorablement ce texte car la période qui suivit la défaite et l’armistice de juin 1940 fut considérée par certains, à l’époque, comme un « après-guerre ».
La célérité avec laquelle fut préparée cette loi, à l’automne 1940, s’explique en partie par les travaux parlementaires antérieurs, autant que par le texte créant l’Ordre des Médecins, auquel le Maréchal Pétain était particulièrement attaché. Mais la loi du 31 décembre créant l’ordre des architectes est intervenue en même temps que la suppression des organisations syndicales (et autres fédérations, associations, sociétés…) dissoutes par le décret du 9 novembre 1940.
L’Ordre ne devait alors accepter que les titulaires d’un diplôme d’un petit nombre d’écoles agréées ou, à défaut, d’une patente pluriannuelle. Les premiers textes discriminatoires de Vichy eurent aussi pour effet de refuser d’inscrire au tableau les Juifs au-delà d’un quota de 2 % des inscrits, les francs-maçons, les étrangers et les personnes connues pour leur opposition au régime de Vichy !
Ce dispositif malthusien aboutit à ramener le nombre des professionnels à 6 400 environ, ce qui n’eut pendant l’Occupation qu’une incidence relative sur leur activité car la commande était rare. Ce texte de protection du titre et de mise en œuvre de règles d’exercice inspirées du Code Guadet n’eut que peu d’effet sur la prospérité des architectes puisqu’il n’était assorti d’aucune obligation légale concernant leur intervention.
Légèrement modifiée en 1945, cette loi servit de cadre à l’exercice professionnel jusqu’en 1977. Comme la Ligne Maginot, elle fut d’une médiocre efficacité, se bornant à la protection d’un titre et non d’une fonction. Quatre-vingts ans plus tard, la question reste brûlante.
Syrus
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