Pourquoi le ministre de la Culture en personne devrait-il être sollicité pour l’affaire de la Maison du peuple à Clichy ?* Après tout il y a eu un concours en bonne et due forme légale, organisé par la Métropole de Paris, sur un site proposé par un maître d’ouvrage sans signe particulier. En quoi cela regarde-t-il personnellement le ministre ? N’a-t-il donc pas autre chose à faire ?
Certes il s’agit d’un bâtiment classé, comme des milliers d’autres, mais ce n’est pas comme s’il s’agissait du dossier des hauts-fourneaux de Florange ou de celui de la fusion Alstom-Siemens. Pourtant, une banale polémique de quartier est en train de dégénérer au point que le ministre lui-même est désormais tenu d’intervenir.
Si l’architecture est représentative de la société, de quoi les chicanes picrocholines concernant le projet de Ricciotti à Clichy sont-elles le symbole ?
Suite aux récriminations de trois associations**, la DRAC a été amenée le 18 janvier 2019 à examiner le projet porté par le groupe immobilier Duval avec les architectes Rudy Ricciotti, Laurent Becker (LBA), Holzweg ainsi que Jacques Moulin (ACMH). A l’issue de la présentation***, il semblait clair pour le groupement que, en substance, pour le projet de rénovation gratos du bâtiment classé, l’Etat était preneur et que le projet de tour ne suscitait pas d’opposition en soi.
Pour info, les 20M€ investis par le Groupe Duval pour ce seul bâtiment sont à eux seuls autant que ce que doit rapporter le loto du patrimoine, dont le ministre de la Culture ne cesse de vanter les bienfaits.
La DRAC pourtant de réserver son jugement, le problème étant la tour au-dessus de la Maison du peuple. Les DRAC sont censées préserver le patrimoine, pas laisser construire des tours au-dessus des monuments historiques.
Il s’agit là en effet d’un problème de fond pour le ministre de la Culture et du patrimoine. Il est question ici de doctrine, donc de politique. Comme pour le pape qui, quoiqu’il en pense en son for intérieur, est bien obligé de s’afficher contre la contraception ou le mariage des prêtres car si le pape lui-même, héritier de la tradition, doit céder sur ces sujets, il n’y a plus de pape.
Si, pour la valeur intrinsèque du projet de Clichy, l’Etat le laisse se construire, horreur, malheur, ne va-t-on pas créer un précédent ? Si Ricciotti fait jurisprudence, et puis quoi, des tours végétalisées sur Notre-Dame ? Sauf que chaque projet d’architecture est par nature unique, il n’y a donc pas danger de prolifération.
Cependant, les impasses doctrinaires sont toujours politiques. De fait, le projet est issu du concours de la Métropole, organisé sous la houlette du préfet de région, il est donc doublement politique.
Sans doute ce pourquoi, prudente, la DRAC d’Ile-de-France s’est gardée de prendre position, ménageant ainsi toutes les susceptibilités. Le débat sera donc porté devant une commission nationale, dont l’avis auprès du ministre n’est que consultatif.
Quelle est l’alternative ? Soit figer tout le patrimoine du XXe siècle dans le même flacon d’apothicaire que le patrimoine tout court et pour la Maison du peuple, après avoir refusé l’investissement du groupe Duval, pourquoi pas un loto présenté par Stéphane Bern et une gestion confiée aux associations ?
Ou estimer que le patrimoine est plus intéressant et plus porteur de sens vivant que mort, qu’à l’heure du foncier impossible à Paris et en première couronne en général, à cet endroit de Clichy en particulier, il est permis de penser pouvoir développer et construire la ville sur elle-même en préservant, certes, son patrimoine mais sans craindre l’architecture contemporaine.
Ce n’est même pas ici une querelle surannée entre anciens et moderne mais une querelle paralysante, et au fond assez pathétique, entre moderne et contemporain. Considérant que rien n’a été fait pour la Maison du peuple en trente ans, son état actuel de corrosion est bien la preuve qu’un bâtiment laissé à lui-même finit malgré tout par mourir de tristesse.
Voilà comment le ministre de la Culture se retrouve avec la patate chaude. Ses collègues du gouvernement ne doivent pas l’envier sur ce coup-là car c’est finalement un vrai choix de société que doit effectuer Franck Riester, entre immobilisme et mouvement, entre peur du futur et foi en l’avenir, et c’est bien la moindre des choses que cette décision échoit au politique.
Pour l’anecdote, à Houston, Texas, en plein centre-ville, les touristes sont invités à découvrir le plus vieux bâtiment de la ville, construit en 1823. Dernier du genre, inhabité et menaçant ruine, il coûte si cher en entretien ‘tel quel’ à l’association de sauvegarde du patrimoine qui en a la charge qu’il risque aujourd’hui le bulldozer.
Christophe Leray
*Voir notre article Au secours, revoilà la Stasi
** Docomomo France (DOcumentation et la COnservation des édifices et sites du MOuvement Moderne) ; SPPEFF (Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France. Tout un poème. NdA) ; Association Quartier Maison du Peuple,
**Etaient présents conservateurs régionaux des monuments historiques, inspecteurs, ABF, les architectes y compris Rudy Ricciotti et Jacques Moulin, un représentant de la ville de Clichy, et le promoteur Duval. En particulier : François Goven, inspecteur général de l’architecture et du patrimoine au ministère de la Culture ; Dominique Cerclet, conservateur régional, actuel chef de service, qui vient de passer la main à ce poste à Antoine-Marie Préaut, qui était également présent. Enfin étaient également présents les ABF Benoît Leothaud et Matthieu Cottenceau.