
C’est bien connu en matière d’aide au développement, il ne suffit pas de financer un équipement. Encore faut-il que ses bénéficiaires le fassent vivre, c’est-à-dire le prennent en charge et payent pour sa maintenance. À défaut l’équipement vieillit vite, il perd progressivement ses capacités, et il faut tout recommencer. Chronique de l’intensité.
Ce constat s’applique aussi à nos économies dites avancées. La bonne maintenance est la clé du succès des équipements, et il était hélas fréquent que les moyens nécessaires ne soient pas au rendez-vous. La sous-estimation des besoins de maintenance et de fonctionnement est à l’origine de coûts bien supérieurs au montant des économies escomptées. Le calcul avait été fait pour les collèges. L’entretien et la mise à niveau régulière, chaque année, coûte 3 à 4 fois moins cher qu’un grand chantier de réhabilitation tous les 20 ou 30 ans.
L’entretien relève en partie de la prévention, et l’argent qu’il lui est consacré est toujours menacé dès qu’il faut faire des économies. Ce sont les conséquences néfastes de la « règle d’or ». Les coupes budgétaires destinées à obtenir l’équilibre des comptes conduisent à repousser des dépenses à plus tard. Retarder des interventions d’un an ne peut pas faire bien mal, et le risque de dégradation n’est pas une fatalité. Résultat, les budgets nécessaires sont rognés régulièrement.
Le gardiennage du chantier de rénovation de Notre-Dame, par exemple s’est ainsi trouvé allégé, ce qui a pu retarder l’alerte sur l’incendie qui l’a ravagée ; les travaux de sécurisation du Louvre ont été remis à plus tard, malgré de nombreux rapports qui pointaient le risque de vol. Un grand projet de rénovation était à l’étude, et ces problèmes de sécurité pouvaient bien attendre. Ils seront intégrés dans le grand chantier. Vous connaissez la suite.
Même pour les grands équipements neufs, les budgets de maintenance sont bien inférieurs à ce qui serait nécessaire, comme si nous nous étions résignés à voir leur qualité d’usage fondre régulièrement. Au-delà du volet financier, qui souffre de cette disposition, ce sont les utilisateurs qui sont pénalisés. La qualité se dégrade inéluctablement avec le temps et par suite l’intensité du service rendu. La question est souvent remise à l’ordre du jour à l’occasion de rapports d’inspection, par exemple sur les prisons qui souffrent de vétusté (et de surcroît de surpopulation), ou sur les ponts qui ne respecteraient pas toutes les règles de sécurité.
La qualité de notre parc de logements témoigne aussi d’une négligence dans leur entretien. Le climat vient à son secours en rendant incontournable un grand chantier de rénovation. Mais les moyens manquent, et les entreprises peinent à s’orienter vers ces travaux tellement différents de la construction neuve. Il faudra 20 à 30 ans pour que l’ensemble du parc de logement soit mis à niveau, en espérant que les interventions intitulées « bas carbone » ou « d’efficacité énergétique » englobent les autres aspects liés à la santé et au confort, comme l’acoustique, la qualité de l’air intérieur, l’accès à la lumière du jour.
Faisons de la nécessité une opportunité. La question climatique nous conduit à entreprendre des travaux lourds de rénovation, profitons-en pour reprendre notre parc et en faire un moteur de qualité de vie. Vous objecterez sans doute le coût d’un tel projet. Il y a en un, effectivement, à comparer au coût social du mal logement, qui s’ajoute à celui du dérèglement climatique. Nos amis britanniques ont fait le calcul. La précarité énergétique coûte plus cher que le budget nécessaire à la rénovation thermique. Les investissements pour le climat sont rentables, c’est la Cour des comptes qui le dit, avec bien d’autres experts internationaux. Le bénéfice est réel, mais il est diffus, comme la baisse des dépenses de santé ou la hausse du moral des troupes, facteur déterminant de dynamique économique.
Contrairement à certains de nos voisins, nous n’avons pas en France la culture de la maintenance, et ce défaut nous coûte cher, à tous points de vue. Financièrement, parce que l’obligation dans les faits d’offrir un cadre de vie ou de travail décent finit par s’imposer, au prix fort. Socialement parce que nous vivons l’essentiel de notre temps dans des locaux dont la qualité conditionne notre bien-être. Accepter que le service rendu par un équipement ou un logement se dégrade, ce que nous faisons quand nous retardons les travaux de maintenance ou d’amélioration, c’est accepter une perte de qualité de vie.
Dominique Bidou
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