Guillaume Jouet est photographe d’architecture et photographe de studio, ceci expliquant sans doute cela tant les photos de ses bâtiments acquièrent un grain unique, détachés semble-t-il des contraintes du contexte et figés dans un silence artistique. Ainsi en est-il pour cette surprenante série du Crédit Agricole de Saint-Lô, bâtiment déserté mais saisi dans l’objectif juste avant l’abandon définitif, le café quasi encore fumant dans les tasses. Chronique-photos.
L’histoire du siège du Crédit Agricole de Saint Lô, superbe bâtiment livré en 1977 par l’architecte Yves Cochepain, est tout ce qu’il y a de banale – une délocalisation, et le voilà qui se vide et de sa raison d’être et de ses occupants.
Un permis de démolir a été déposé au printemps 2016, suscitant de nombreuses réactions – collectivités locales, associations, architectes se sont mobilisés pour sauver ce mastodonte dont le sort sera tranché d’ici peu.
Bruissant d’activité pendant 37 ans, c’est désormais une carcasse vide, promise au réaménagement ou à la démolition. Vide, oui, mais chauffée, entretenue, belle endormie surgie, intacte ou presque, d’un autre siècle et qui prend la pose, une dernière fois.
Guillaume Jouet, photographe d’architecture, n’a pu résister à la beauté pompidolienne de ce décor de film désormais sans acteurs …
Oranges, verts ou violets – les fauteuils et canapés Paulin claquent dans tous les espaces publics, gage d’audace et de modernité. La moquette losangée, reflet du plafond nid d’abeille ? Ou est-ce l’inverse ? L’oeil vibrionne, dérouté par ces audaces cinétiques, savamment contrebalancées par l’arrondi des parois de laque blanche et la sobriété des ascenseurs bordeaux – toute la saveur du style administratif seventies…
Cactus, plantes vertes, tables basses (où sont les Jours de France ?), rien ne manque, sinon les visiteurs… Quant aux espaces de décision, salle du conseil, bureau du président, ils ont tout le sérieux gadgétisé des films d’espionnage.
Bureau ovale (what else?), placards escamotés, faux plafond, et ces rondeurs, toujours, de capsule rétro-futuriste – imago d’un pouvoir nouvelle manière qui aurait renoncé à sa raideur pré-68…
La salle de conférences, et ses fauteuils rouge sang, dernier clin d’oeil à la cinégénie des lieux …
Une porte s’entrouvre – retirons-nous sur la pointe des pieds avant d’être happés par la mélancolie tertiaire…
Guillaume Jouet / Texte : Aude Bruneau
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