Peut-être est-ce l’histoire qui se fait devant nous et bientôt nous vivrons dans un environnement d’aquariums dans lesquels les microalgues toujours plus nécessaires absorberont toujours plus de notre air vicié. Sur les façades, les toits, dans des forêts de Colonne Morris, les microalgues, le nouveau poumon vert de l’humanité ? Architecture prospective.
2008 : l’agence X-TU* dépose un premier brevet de culture de microalgues en façades. Le parti pris est le suivant : les microalgues sont à la source de la chaîne alimentaire et à l’origine de la vie sur terre grâce au processus de photosynthèse, elles sont aussi l’un des principaux puits de carbone de la planète, permettant du coup de réguler le changement climatique.
2013 : X-TU se voit octroyer par le gouvernement français un financement de 4,8 M€ pour le développement d’un projet pilote de biofaçade de 200 m².
2013 : A Hambourg, l’agence autrichienne Spitterwerk, avec ARUP et Colt International, livre un projet baptisé BIQ, un immeuble aux façades «bio-adaptives» constituées de microalgues intégrées dans les parois.
2015 : Pendant la COP 21, du 30 Novembre au 13 décembre 2015, X-TU présente sur le parvis de l’hôtel de Ville de Paris AlgoNOMAD, prélude permettant d’immerger le public «dans un futur urbain photosynthétique et biologique, où les microalgues seraient cultivées sur nos façades et nos routes faites d’algobitumes, où le phytoplancton nettoierait nos eaux usées tout en produisant des molécules de substitution à la filière pétrochimique, où les avions voleraient aux algocarburants, et où l’algoculture urbaine nourrirait les citadins sans empiéter sur les espaces naturels».
2016 : Les programmes In-Vivo et Régénération-S développés par l’agence et qui proposent de mettre en application cette algoculture à l’échelle architecturale sont finalistes du concours Réinventer Paris. Le programme In-Vivo est lauréat.**
Avril 2017 : Le Monde nous apprend que Paris va tester une colonne Morris dépolluante. Ce «puits de carbone» est «une sorte d’aquarium lumineux» «peuplé» de microalgues, fruit d’une collaboration entre le groupe Suez et la start-up Fermentalg. Le Groupe Suez ?
Il s’agit d’évidence d’un groupement concurrent à celui de X-TU, la ville de Paris sans doute prudente de tester les différentes options en matière de microalgues architecturées. Cela dit, la ville de Paris apparemment y croit, comme les partenaires autour d’X-TU, comme aussi le Groupe Suez, pas une petite société de bricoleurs. Et maintenant cette colonne Morris.
Bref, une fois, deux fois, trois fois, ce n’est plus une coïncidence, une véritable expérimentation est en cours, à l’échelle de la ville et de plus en plus proche de nous. Alors si cette future colonne Morris est effectivement mise en place comme promis, et si les façades de X-TU sont mises en œuvre et tiennent leurs promesses, penser à aller y jeter un coup d’œil et peut-être découvrir l’histoire en direct, au moment même où elle se crée.
Cela dit, les dinosaures n’avaient aucune idée de ce qui les attendait. Voyons.
Eté 2017 : La première colonne Morris dépolluante est installée place Victor et Hélène Basch, dite place d’Alésia à Paris, dans le XIVe arrondissement. Un vrai succès populaire.
Eté 2018 : Les premiers résultats sont encourageants, les microalgues se gavent de CO². Malgré les protestations de l’opposition qui parle de chiffres tronqués, la ville sans tarder passe commande pour la création de 500 MorrisLIB destinés à être installés dans les endroits les plus pollués de la ville. Concours international. De nombreuses villes, dans l’Hexagone et à l’étranger, suivent l’exemple de la capitale française.
Décembre 2022. Fête des lumières à Lyon. La couleur des microalgues est désormais maîtrisée, une jaune, une rouge, une orange. Ho la belle bleue ! Un colloque est organisé à Confluence sur le thème : Biologie et architecture, une relation magique.
Février 2024 : Le chef Jean Docrus, spécialisé dans la cuisine fusion de microalgues, est le premier étoilé Michelin. Il explique que sa réussite est liée à ses colonnes Morris installées dans son potager et son verger. Il les a mises là où il avait des ruches auparavant. Un colloque est organisé à Lyon sur le thème : Biologie et nourriture, un menu gagnant-gagnant.
Décembre 2029 : L’amicale des parents réclame que toutes les crèches et les écoles élémentaires du pays soient désormais dotées de colonnes et façades dépolluantes. Elles remplacent les façades végétalisées qui n’ont jamais fait la démonstration de leur utilité. Et puis le réchauffement, c’est toujours bon pour la culture des microalgues.
Mars 2037 : Manuelle Gautrand livre la réhabilitation de son immeuble des champs Elysées avec une façade qui est un kaléidoscope des variétés de couleur obtenues avec des microalgues modifiées génétiquement. Non seulement elles ont la couleur qu’on veut, mais elles ne se sont jamais autant gavées de CO². Les premières voix s’élèvent pour se demander s’il y aura bientôt suffisamment de dioxyde de carbone pour nourrir les microalgues. Ces naïfs sont renvoyés à leurs études de l’histoire de l’homme.
Hiver 2039 : Belleville est le premier quartier de Paris entièrement alimenté et chauffé en biogaz issu de la culture de microalgues. Le gouvernement lance un grand plan décennal d’équipement dans tout le pays. L’opposition se plaint du retard pris en ce domaine par rapport aux Américains et au Chinois. «C’est quand même un comble considérant que c’est nous qui avons inventé la technologie», s’alarme le président du Sénat.
Mars 2049 : Le gouvernement impose par décret à tous les lieux recevant du public la construction de façades dépolluantes dédiées à la culture de microalgues. Un immense marché est attribué au consortium constitué par la fusion des deux anciens groupes à l’origine de la technologie. X-TU touche de confortables droits d’auteur. Pour financer le projet, une taxe sur les mètres cubes respirés par personne et par an est instituée.
2067 : La planète compte plus de 15 milliards d’habitants, 50% de plus que les estimations prévues en 2017. Tous les pays ont adopté cette technologie miraculeuse et, partout dans le monde, les microalgues sont devenues l’une des principales sources d’alimentation des populations. Les Vegans jubilent.
2099 : Pour parer à la pénurie, les premières usines de création de CO² voient le jour.
2103 : Des groupes rebelles sabotent des façades d’immeubles publics, réclamant une nourriture solide pour la population. Un trafic d’algues périmées est mis à jour.
2167 : Les cultures de microalgues sont imposées partout où c’est possible d’autant qu’elles sont devenues la première et dernière source de nourriture de l’homme, qu’elles produisent l’oxygène indispensable et qu’elles purifient l’eau dans un cycle infini. S’il n’y a plus de forêts au sens propre – les arbres ont disparu – des forêts de colonnes dépolluantes font paysage et offrent encore quelque mystère. Il y a tellement de biogaz partout dans le monde que les humains ne savent plus quoi en faire.
2421 : A cause de l’appauvrissement génétique des microalgues, une grave famine sévit sur terre provoquant des conflits dévastateurs et la disparition des trois quarts des habitants de la planète, un évènement connu sous le nom de ‘Peste verte’, selon les mots d’un journaliste de Mondo Gazetta particulièrement inspiré.
2745 : Il n’y a plus sur terre que l’homme, des microalgues et du biogaz.
Dix millions d’années plus tard. Le globe est presque entièrement submergé, les parties émergées inhabitables. Les hommes vivent dans l’eau où ils se nourrissent de microalgues, indispensables à leur survie. On les appelle des baleines.
Comme quoi, l’innovation et la recherche en architecture ont un réel impact sur la vie des gens et il n’est pas anodin d’être attentif à l’histoire au moment où elle se déroule.
Christophe Leray
*Voir notre article Des algues en façade, une marée verte ?
** Voir notre article In Vivo, lauréat de Réinventer «Paris Rive Gauche»