Vous savez sans doute que début mars 2021 a débuté l’abattage des mille chênes nécessaires à la reconstruction à l’identique de la charpente et de la flèche de Notre-Dame. Ils doivent tous – il y en aura 2 000 en tout – être abattus avant fin mars et la montée de sève du printemps, d’autant plus que le président Emmanuel Macron a fixé l’objectif de reconstruire l’ouvrage, flèche y compris, d’ici 2024.
Le temps presse mais il va falloir prendre patience ; le temps que sèchent les grumes, de 12 à 18 mois après avoir été coupées, cela nous renvoie au plus tôt à octobre 2022. A partir de là, les paris sont ouverts.
Philippe Gourmain, expert forestier et membre de France Bois Forêt, l’association qui coordonne la récolte des arbres pour Notre-Dame, explique (France Inter, 3/02/21) que « c’est un peu l’histoire française naturelle qui se répète pour reproduire ce cadre historique ». C’est bien le problème. Nous ne sommes plus au temps où les rois plantaient des forêts afin de pourvoir en matière première leurs futures armadas, en 2021, le monde a changé, un peu.
La preuve. Sandra Plantier, professeure associée de géographie dans l’enseignement secondaire à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) écrit dans une tribune publiée par Reporterre (15/02/21) que la récolte des arbres est « anachronique ».
Qualifiant les arbres de « cathédrales pour la biodiversité de nos forêts », elle estime que « le choix délibéré d’abattre mille arbres centenaires pour reconstruire la flèche de la cathédrale Notre-Dame et sa charpente ne peut apparaître que comme un aveuglement face à la réalité, ou, pire, comme une incapacité à tirer les leçons de la situation actuelle ». Fichtre !
De fait, quelques jours à peine après l’annonce le 5 mars par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, de la récolte de 2 000 chênes centenaires destinés à la cathédrale, une pétition dénonçait la coupe de ces mêmes chênes, hurlant à l’« écocide ». La filière Bois, soulignant que ces coupes ne concernaient que « 0,1 % de la récolte annuelle » avait beau jeu de déplorer un « réflexe Idéfix ». « Il en pousse plus qu’on en récolte, soit trois millions de mètres cubes, contre deux millions, chaque année », indique l’Office National de la Forêt, cité par Le Figaro (11/03/21). Don’t cry for me Argentina ?
Et puis après tout, mille arbres, ce n’est rien puisqu’on pourra dans 100 ans en récolter autant juste au-dessus du périphérique parisien.
En tout cas, cette pétition a d’ores et déjà réuni plus de 40 000 signatures. Elle fut bizarrement adressée à la ministre la Transition écologique, Barbara Pompili. C’est au ministère de la Culture, le maître d’ouvrage, d’annoncer la mauvaise nouvelle mais c’est à la ministre de l’Ecologie qu’est adressée la pétition ? Parce que le ministère de la Culture, tout le monde s’en fout ? Bon, ce n’est pas comme si le ministère de l’Ecologie pesait beaucoup plus, la preuve en mille chênes.
En tout cas, au moins Roselyne Bachelot assume : « Une forêt, ça se gère, et les coupes étaient prévues en tout état de cause », dit-elle lors de celle du premier arbre – une cérémonie ressemblant à celle d’une première pierre – assurant étonnamment qu’il n’y avait « aucune flibuste, aucun piratage, aucune amputation du patrimoine ». Aucune flibuste ? Aucun piratage ? Parce que la flibuste est un sujet d’inquiétude ces jours-ci ou nous voilà en effet revenu au temps de la construction de Notre-Dame ?
Le plus tarte serait que nos fiers compagnons ne soient pas à la hauteur du défi. Le président veut que tout soit fini en 2024, ce serait sans doute possible si l’on était encore au Moyen Age. Maintenant, ne manqueraient plus que nos fiers artisans du XXIe siècle, avec tous leurs outils et ordinateurs, sous la fière maîtrise d’ouvrage de l’Etat ultra-compétent, mettent trois fois plus de temps à réaliser la charpente que les artisans d’antan avec leur bite et leur couteau. Rien que la patience nécessaire pour que le bois sèche va mettre à l’épreuve les plus pieux. Ils auront le droit d’utiliser des scies électriques les charpentiers ?
N’en déplaise donc aux écolos à la petite semaine, les arbres et leur récolte, ce n’est pas le sujet même s’il s’agit en effet de ne pas transformer la forêt en simple pépinière. Le sujet est qu’un tel retour à l’identique, poussé ici jusqu’à d’excessives extrémités, pas seulement pour ce qui se voit mais aussi pour ce qui ne se voit pas, ce qui est un comble, – un comble pour Notre-Dame ! – est proprement terrifiant. Et les ouvriers sur le chantier, ils doivent manger de la vache enragée pour faire bonne mesure ? Et les charpentes, il faut qu’elles soient mesurées au fil à plomb et dessinées au sol à l’échelle 1 pour savoir où tailler tenons et mortaises ?
Chacun sait que recréer à l’identique est une illusion, que le clone, sauf dans l’industrie, est par définition moins bien que l’original en plus d’être généralement stérile. Alors si, en plus encore, cette charpente et cette flèche sont finalement réalisées n’importe comment avec une explosion du budget comme on sait faire en France, nous serons parvenus à faire de Notre-Dame un second embarrassement. Et je ne parle pas des costumes d’époque de Stéphane Bern.
Alors voilà ce que raconte la reconstruction à l’identique de Notre-Dame, un passéisme poussiéreux et d’autant plus réactionnaire qu’il est très largement fantasmé. Les gueux, ils peuvent revenir à Notre-Dame avec la nouvelle charpente ? Même pour les catholiques, cette vision du repli sur un passé supposé glorieux n’est pas à leur honneur tant la fille aînée de l’église va ainsi ressembler à une vieille fille maquillée comme une calèche volée.
De plus Viollet-le-Duc était pour tout dire un homme détestable.* Alors, reconstruire sa flèche à l’identique, c’est faire honneur à quoi exactement ? Que dirait-on par exemple si un architecte en chef des monuments historiques prenait sur lui d’ajouter un étage à la tour Eiffel ou de mettre un phare breton sur Beaubourg ?
Surtout qu’il y avait la place à Notre-Dame pour faire œuvre, sinon d’audace, au moins de contemporanéité. Des cathédrales, de Reims à Nantes, ont été restaurées avec du béton ou divers matériaux. Non, il a fallu que l’option retenue par la Commission nationale du patrimoine et de l’Architecture soit celle du chêne centenaire et du plomb que des ouvriers masqués comme des cosmonautes devront manier avec précaution. Il y a encore des producteurs de plomb ?
En tout cas, le plomb, au cours de 0.70 € à 1.20 € / kilo est aussi cher que le zinc et deux fois plus coûteux que l’Inox ou l’aluminium. Il faut savoir ce qu’on veut. Bon le laiton est à 2,50 € / kilo. Heureusement que Viollet-le-Duc n’avait pas construit sa flèche en or et en argent, les finances de la France en 2021 n’y suffiraient pas et une solution contemporaine aurait été adoptée fissa. Mais le plomb à peine moins cher que le cuivre, ça passe.
Tout ça pour une charpente invisible. A tout prendre, cette charpente devrait être reconstruite dans un site qui s’y prête, en plein air, et, comme pour la rénovation de châteaux anciens, cette reconstruction pourrait avoir lieu in vivo, des charpentiers et des étudiants en architecture du monde entier invités à participer à l’ouvrage et à se former quand des milliers de visiteurs seraient invités à découvrir au travers de cette exposition permanente et en mouvement le savoir-faire de nos artisans.
Avec quelques guinguettes tout près du chantier qui offriraient des légumes du potager, du gibier et un vin clairet pour les amateurs, les gens comprendraient quelque chose à l’architecture de Notre-Dame. Les arbres auraient le temps de sécher et de repousser, Arte en aurait fait des reportages. Non, on va refaire une charpente du XIIIe siècle – ce qui en soi est en effet une sorte d’exploit, aussi imbécile soit-il – mais personne n’en verra rien ! Sauf, bien entendu, la flèche de l’autre zozo arrogant qui se prenait pour saint Thomas.
« No future » comme dirait Johnny Rotten. À la suite de l’avis de cette commission nationale, le président de la République a annoncé en juillet 2020 que la cathédrale serait refaite à l’identique. Dont acte et vivement hier !
Christophe Leray
*Lire notre article Notre-Dame : la flèche empoisonnée de Viollet-le-Duc