Cocorico ! L’architecture française va bien. La relève est assurée. L’optimisme est de mise car, le 19 septembre 2017, Nouvelle AOM a remporté le concours si convoité pour la rénovation de la tour Montparnasse, coiffant au poteau stars internationales et aînés parisiens. Depuis Beaubourg, aucun projet n’avait tant fait causer les gazettes. La rénovation de cette tour supposément mal aimée porterait-elle en elle d’autres espoirs que ceux de réparer l’urbanisme violent des années 70 ?
Tout ce grand chambardement autour de la présentation des lauréats de la réhabilitation de la Tour Montparnasse, annoncée au Pavillon de l’Arsenal et tenu secrète jusqu’au soir, est à la hauteur de la vieille dame. Et en dit aussi long que son parvis sur l’air ambiant qui agite le petit monde parisien de l’architecture. Si la réappropriation des vents du projet gagnant sera spectaculaire, elle aura permis d’humer l’air du temps.
A Paris, il vaut mieux faire dans le politiquement correct tant le recours est facile, surtout sur des sujets qui fâchent. Dans les concours, les jurys aiment à mêler stars, jeunes, valeurs sûres, femmes, français, asiatiques, européens… Bref, sur les sept places allouées, les cases avaient toutes été cochées. Pas de derby Thom Mayne versus Norman Foster donc. La suite des événements aura ensuite montré que si Paris est prête à prendre de la hauteur, elle a encore du mal à s’offrir les services des spécialistes du genre. Ici point de péril en la demeure au regard des propositions déconcertantes du conceptuel Rem Koolhaas ou du multi-récompensé Dominique Perrault.
Comme il n’y a pas d’âge pour le botox, les 300 copropriétaires de la tour, dont l’Ordre des Architectes et AXA, vont s’offrir les services de jeunes chirurgiens, nés plus ou moins la même année qu’elle : Franklin Azzi, Pascale Dalix, Frédéric Chartier, Mathurin Hardel et Cyrille Le Bihan. A 300 M€ le lifting, ce n’est pas si cher payé et ces travaux titanesques ont donc été confiés à l’enthousiasme de la jeunesse. «Enfin !» pourrait-on dire.
Dans l’ombre, d’aucuns attendaient patiemment que ces jeunes quadras dynamiques prennent le pas sur leurs aînés. C’est chose faite désormais. Ironie du sort, Franklin Azzi qui a fait ses classes chez Architecture Studio, coiffe l’agence de la Bastille sur le fil, conservant quelques points communs avec leur architecture de miroitement. Quant à Hardel et le Bihan, n’étaient-ils pas les voisins d’AJN, Cité de l’ameublement dans le XIe arrondissement ?
Depuis tant d’années maintenant, la génération des Nouvel, Portzamparc, ou encore Perrault truste les grands concours internationaux, les colonnes des revues et les prix, ne laissant que quelques miettes à leurs confrères quinquas. Excepté Philippe Prost, 59 ans et primé au Prix Mies van der Rohe et dont l’anneau de Notre-Dame-de-Lorette a été médaillé par le prestigieux RIBA londonien, les élus sont rares. Citons néanmoins, aussi parce que l’information est encore fraîche, le couronnement de Manuelle Gautrand, 56 ans, du Prix d’Architecture européen 2017. Alors que des quadras, qui n’ont fondamentalement jamais rien construit ensemble, remportent un tel projet.
Qu’évoque encore le projet Maine-Montparnasse 2.0 ? Cette tour, les Parisiens, les politiques, les urbanistes, tous semblent tant l’avoir détestée. Pourtant, dans le secret des agences, «nous, nous l’aimions la tour», dit un des vainqueurs. La détester, c’était être dans le bon goût. Pourtant la tour, au même titre que la Défense ou Beaugrenelle, a tout de même un petit quelque chose d’historique non, pour ne pas dire patrimonial ? Elle témoigne d’une époque, de l’urbanisme de dalle, ici peut-être moins réussi qu’ailleurs, que d’aucuns auraient tort de vouloir jeter aux oubliettes du château de la rue Lobeau. C’est tout à l’honneur de l’équipe gagnante d’ailleurs, puisqu’elle aura été la seule à conserver la forme finalement iconique de la tour.
«Le projet de la Nouvelle AOM est un projet parisien de haut en bas, de l’intérieur vers l’extérieur», raconte Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme d’Anne Hidalgo, avant de confesser, qu’«un bâtiment peut-être iconique et en accord avec son contexte». Dans les faits, peut-être que la ville aura su tirer les conclusions qui s’imposaient après le delirium de Réinventer Paris. «Nous ne voulions pas de signal ni de signature mais des projets uniques et pensés pour Paris», poursuit l’adjoint. Après le fiasco des Halles, le scandale de la philharmonie, le coût exponentiel du TGI et la mythique Tour Triangle, il fallait aussi faire profil bas.
Exception culturelle française oblige, la tour 2.0 ne devait pas être interchangeable avec n’importe quelle tour londonienne ou dubaïote. Encore heureux ! Les Parisiens n’auraient pas fini de râler si un cornichon géant avait eu des velléités de crâner à côté de la Tour Eiffel. Peut-être que si Sir Foster avait été au concours, la perspective de la rue de Rennes aurait eu chaud. De là à sous-entendre qu’il était avantageux d’être parisien, il n’y a qu’un pas. Surtout que Nouvelle AOM s’est payé le luxe de s’offrir un plateau au 44ème étage, trois étages sous celui du Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), qui fait partie des copropriétaires de la tour et du comité de sélection. Jonas aussi est entré dans les entrailles de la bête, il en est ressorti plus vite que ça.
L’annonce des résultats du concours devant un parterre d’architectes, jeunes et moins jeunes, souligne encore le retour des tours dans le ciel parisien sur des zones stratégiques. Le TGI, signé Renzo Piano, doit faire vivre un quartier sorti de rien, en frange de ville, en attendant la déferlante venue de banlieue par les nouveaux métros. Dans la quasi perspective vers le sud, la gestation de la tour Triangle devrait un jour arriver à terme. En pleine canicule, Jean Nouvel a posé la première pierre de ses tours Duo entre le périphérique et l’avenue de France… Bref, pour une cité qui n’aime pas l’urbanisme de la hauteur, cela fait pas mal de projets en cours.
Reste à savoir si, après les Halles, les faiseurs de projets de la ville auront pu comprendre les raisons du chaos. Changement de quartier, changement d’époque, changement de PLU. Dans la perspective de l’haussmannienne mais inachevée rue de Rennes, le problème fondamental de l’actuelle tour Montparnasse est moins son architecture que l’urbanisme qui la porte depuis quarante ans.
Enfin la tour, bien que financée entièrement par les copropriétaires, possède tous les atours d’un projet made in Paname. La preuve, d’ici à 2024, les Parisiens devront apprendre à l’aimer.
Alice Delaleu