Plutôt qu’un retour à une nature n’ayant jamais existé, faut-il s’en remettre en ville à une nature «artificiellement intensifiée»? Lors de la biennale In Situ de Caen, en octobre 2018, parmi les thématiques développées à cette occasion, les élus ont mis en exergue leur volonté de ‘végétaliser’ le centre-ville reconstruit après-guerre. Pourtant la ville normande compte déjà nombre d’espaces naturels de grande qualité intra-muros. Comment expliquer cette apparente contradiction ?
La ville de Caen, qui perdait ses habitants, est parvenue récemment à stabiliser sa population juste au-dessus des 100 000 habitants. Son centre-ville compte nombre d’appartements de qualité – grands car prévus à l’époque pour des familles plus nombreuses – mais qui se révèlent peu adaptés à l’évolution des besoins d’une population en mutation. «Les gens veulent du vert, un square où promener les enfants. Or l’ilot Saint-Jean (le centre) ne compte que 1% d’espace vert ou nature», résume Nicolas Joyau, maire-adjoint au développement durable et au renouvellement urbain.
Il y a bien entendu nombre d’autres contraintes et difficultés fondamentales à maintenir le dynamisme d’un centre-ville – la moindre n’étant pas les travaux du tramway en cours, lesquels ont permis de «réfléchir et redessiner la ville» – mais, d’évidence, cette notion de végétalisation s’avère pour les élus de Caen un élément important et substantiel de leur projet de revalorisation du centre afin qu’il retrouve sa vocation d’accueil des familles.
Ce qui apparaît comme un paradoxe sachant que, à de nombreux égards, Caen est déjà une ville verte s’il en est une. Une immense prairie borde quasiment le centre-ville et témoigne d’une biodiversité exceptionnelle (les loutres seraient de retour !), idem avec l’hippodrome, la presqu’ile, les berges de l’Orne, le tout dans les limites de la ville. Même le parc et les remparts du château participent d’une nature omniprésente et généreuse.
Puisque le bocage se jette littéralement dans la ville, que la nature, la vraie, est directement et facilement accessible pour quiconque peut marcher plus de 10 minutes (voire moins), pourquoi tenir à ce point à verdir cet Ilot Saint-Jean qui, depuis l’époque de la reconstruction, est un quartier minéral dont les qualités sont justement en train d’être redécouvertes ?
S’il entend redonner de la place à la nature dans l’ilot Saint-Jean, Nicolas Joyau admet volontiers que l’intervention ‘végétale’ dans le centre est symbolique – «on replante plus d’arbres qu’on en abat». Pour la rénovation des espaces publics du Boulevard maréchal Leclerc par exemple, il suffit d’ajouter quelques arbres – déjà grands sur les perspectives – pour que ces derniers affirment en effet un sentiment d’innovation ‘verte’ dans l’air du temps apte à séduire d’éventuels futurs habitants, d’autant que les bobos (pour simplifier) tendent à remplacer les classes populaires.
Nicolas Joyau convient du caractère cosmétique et domestiqué de cette végétalisation et l’assume parfaitement. Comment faire autrement puisque la vraie nature, sur la prairie par exemple, est à deux pas ? Il y a fort à parier que les futurs habitants de ce centre-ville réaménagé sauront également faire la différence entre nature domestique et sauvage mais il y a fort à parier également qu’ils seront sensibles, quelles que soient leurs motivations, à un centre beaucoup plus vert qu’il ne l’est actuellement, quitte à se contenter d’un ersatz de nature.
Pour peut-être mieux comprendre ce paradoxe, retourner à Séoul, avec cette exposition dont nous avons parlé récemment. En effet, parmi les projets, l’agence AZPML évoque «des conditions naturelles artificiellement intensifiées» quand l’architecte Minsuk Cho entend «surligner les topographies artificielles». Nous pourrions aussi évoquer en Californie le travail de MetropolitanmomentuM.
Dit autrement, ce qui importe aujourd’hui n’est pas tant la vérité de la nature (pour faire court) que son image rassurante et fantasmée. Ce que nous disent ces architectes est qu’il faut travailler à partir de cette réalité fantasmée, pas dans l’espoir insensé, et au fond un peu débile, que la ville serait en quelque sorte utile à la campagne.
Non qu’une forme de végétalisation, voire d’agriculture ne puisse s’y développer, mais quitte à considérer comme espace Nature les pelouses galeuses en bas des immeubles des cités (voir les PLU), autant assumer la fonction magique de l’illusion et surligner ou intensifier l’artificialisation de la nature.
Quand Anne Hidalgo, maire de Paris, mais elle n’est plus la seule, promeut murs et autres toitures végétalisés pour sauver la planète, elle passe à côté de l’essentiel. La nature, au sens propre, sauvage, n’a jamais eu sa place en ville, elle a d’ailleurs à peine sa place dans le pays !
Même si curieusement la ville peut se révéler être un refuge pour la faune sauvage – une abeille préfère apparemment les particules fines aux pesticides, les moineaux n’aiment ni les unes ni les autres – la verdure en ville n’a jamais eu de vertu que d’agrément, comme une belle plante exotique dans un salon. Les parcs, les squares étaient destinés à l’agrément des habitants, voire à leur divertissement, les jardins des plantes à leur émerveillement et leur éducation. Un arbre en pot ne cache aucune forêt et il n’y a pas plus stylisé, donc artificiel, qu’un mail ou qu’un jardin à la française.
Alors plutôt qu’un retour illusoire à une nature qui n’a jamais existé ou un rempart à un réchauffement climatique qui, quoiqu’il en soit, fera fi de nos tentatives pathétiques, autant peut-être que la ‘nature’ en ville soit «artificiellement intensifiée» si cela permet de séduire les familles, rassurer les habitants et les faire investir dans l’avenir avec confiance. Ne restera plus alors qu’à inventer des moineaux artificiels et intenses.
Christophe Leray