Sans avoir été, bien sûr, l’équivalent de l’affaire Palmade, la dernière chronique relative au nouveau plan de circulation de Montmartre a soulevé quelques remous. Pas un jour où le téléphone de la rédaction de Chroniques d’Architecture ne résonne d’un commentaire, d’une critique ou d’une louange.
Pourtant le nouveau plan de circulation de Montmartre est un progrès considérable dans de très nombreux secteurs : la vie locale s’en trouvera améliorée en inscrivant la circulation dans une sorte de circuit contraint aux rails ficelés dans une logique de train électrique infaillible avec incapacité d’improviser un parcours qui ne serait pas bordé. Génial.
La vie des transports va connaître aussi un sursaut d’efficacité. Une fois appris par cœur les nouveaux tracés, dans une petite dizaine d’années, les chauffeurs de taxis non spécialistes de la géographie parisienne arriveront sans aucun doute au niveau des briscards ex-russes blancs qui racontent Paris comme dans un dialogue d’Alphonse Boudard ou d’Eugène Dabit.
Le commerce va également entrer dans une dynamique nouvelle en canalisant les flux de touristes vers les plus grandes échoppes de distribution de bustes de Napoléon en imitation bronze et de Sacré-Cœur inclus en boules neigeuses, sans possibilité aucune d’en manquer la moindre.
Et tout sera prêt pour cette grande communion internationale que seront les Jeux Olympiques (que chaque Parisien attend avec une impatience mal dissimulée) et le retour tant attendu des hordes de cars de touristes chinois.
Il n’est pas nécessaire d’examiner avec exhaustivité les progrès urbains considérables que ce nouveau plan va générer, la décision municipale est passée, sous la prétendue action des habitants pour le développement de leur quartier et de la vie locale, et les dés sont jetés : les travaux commenceront bien vite, rythmés par un compte à rebours objectif août 2024, comme tout le monde.
Quel est le pourcentage de nos lecteurs qui ne pense pas que les jeux olympiques sont une manifestation dépassée issue d’un logiciel usé jusqu’à la corde du millénaire précédent, et dont on n’a pas nécessairement besoin, ni pour la vie locale ni pour le rayonnement international ?
Merci à Monsieur le Rédacteur en Chef d’organiser sur le sujet un des sondages dont il a le secret.
Pourquoi la ville s’est montrée candidate à cette manifestation cathodique d’un autre âge ?
Pourquoi ce besoin obsessionnel de faire, tout le temps et partout ?
Une phrase hante chacune de mes chroniques quand j’évoque cette absolue nécessité d’occuper les milliers d’heures de tous les corps administratifs de tous les horizons et de tous les services :
« C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases » (Maître Folace)
Cette phrase de Michel Audiard est sans doute une des pensées philosophiques les plus importantes du XXe siècle pour qualifier l’exégèse absolue de l’agitation perpétuelle de tout élu, une fois élu, de réformer, réformer, sans doute à la seule fin d’être réélu. Comme si gérer n’était pas suffisant.
De la circulation nouvelle dans ce pauvre Montmartre qui ne demandait rien à personne à la réforme des retraites qui n’est pas non plus l’expression d’un désir chevillé au corps de la grande majorité des Français (avec le gag absolu des 1 200 euros mensuels), c’est plus fort qu’eux. Pourquoi ? On ne leur a pas demandé ? Ils étaient obligés ? Il n’y avait pas mieux à faire ? Par exemple loger totalement les sans domicile fixe ?
La rénovation des quartiers par la volonté des habitants, grande litanie des derniers mois de gestion participative de la ville, s’accompagne de tous les mots qui, aujourd’hui, teintent de modernité audacieuse ceux qui les utilisent.
Amateur moi-même de néologismes pour émailler ces présentes chroniques de traits d’humour nés de la fabrication d’images substantives, force est de reconnaître la puissance du néologisme lorsqu’il est appliqué à des notions spatiales ou architecturales d’un intérêt général indéniable. Cependant, mis à part que les élus ne sont pas là uniquement pour faire rire, l’utilisation du néologisme est à manier avec circonspection et mesure quand il concerne la chose publique.
Le terme utilisé dans le nouveau plan de Montmartre* : « Zone de rencontre » pose des questions. Pourquoi pas lobby urbain ou paillasson minéral ?
La rencontre n’est pas la coexistence dans un même espace, ce que souhaitait certainement le législateur.
La rencontre, d’après le Robert est le fait, pour deux personnes, de se trouver (par hasard ou non) en contact.
Pas forcément le même contact que les constats de police évoquent quand ils qualifient la collision entre une trottinette et un piéton « entrés en contact ».
Le mot rencontre, par ailleurs, a pris un sens nouveau relativement aux sites spécialisés vers des rendez-vous intimes voire sexuels. Est-ce ce que souhaitait le législateur ? Créer des zones de pratiques dédiées aux joies de l’amour de groupe ?
Il suffisait de changer le mot zone en site, qui ont des sens voisins, et le tour serait joué : le législateur complice de Tinder…
Ainsi, l’expression « site de rencontre » n’est pas possible et, malheureusement, le mot « zone » a une connotation un peu péjorative en souvenir de quartiers parisiens, au-delà des fortifications, où régnait la prostitution.
Ainsi les « zones de rencontres » appliquées à de plus en plus de quartiers urbains « pacifiés » (encore un doute sur le fait que les autres, en comparaison, sont en bagarre permanente) sont une invention du décret n° 2008-754 du 30 juillet 2008 qui a instauré la mise en place de celles-ci dans les agglomérations.
L’objectif de ces espaces est de réussir à partager la chaussée entre les piétons et les véhicules, comme cela est stipulé dans le code de la route, mais également de dynamiser la vie locale. Chacun reconnaîtra le succès de cette pratique sur les centres-villes désertés où les commerces de proximité ferment les uns après les autres au profit de ces si sympathiques zones commerciales en sortie de ville qui sont, elles, des véritables zones de rencontre entre le désir du consommateur et le profit des marques qui s’y vautrent avec délice.
François Scali
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