Il y a des logis allotis, certains sont dé-lotis, mais nombreux sont ceux mal lotis d’avoir tiré le mauvais lot. Des produits fabriqués en lots et vendus par lot de deux, puis trois, puis quatre etc. De la chaussure à la chaussette en passant par notre logis, notre quotidien s’inscrit indubitablement dans le système d’allotement de la consommation ! Qu’en est-il du lot nommé ‘Maison individuelle’, maison de « l’individu » plus sûrement ?
Si faire des parts, morceler et, après leur remembrement, démembrer un terrain et plus largement un territoire est l’art du lotissement, lotir est l’acte de répartir en lots, de partager en plusieurs portions, de mettre en possession un lot pour que chacun puisse être loti d’une maison.
Il est loin le temps de la maison Carrée, nom donné à un temple romain, celui de la Maison de Dieu, de la maison du Père, ou encore de la maison Commune, celle du Peuple, celle de la culture, sans oublier la Maison de l’Education, la Maison de Santé, la Maison de Retraite et la Maison Carcérale etc. Le temps est désormais celui de la Maison Individuelle.
Issu du latin mansio, « action de séjourner, lieu de séjour », le mot « maison » prend une figure protéiforme car l’idée de demeurer, de rester un certain temps dans un lieu, lui est inhérente. Chacun a vécu dans d’innombrables demeures aussi magnifiques les unes que les autres. Non pas, qu’elles étaient grandes, belles, généreuses et bourgeoises, non ! Mais toutes ont gravé des souvenirs indélébiles dans la mémoire de leurs habitants.
La maison individuelle, celle « de l’individu », qui a le caractère d’un individu et qui constitue un individu, est indivisible. Elle est cependant issue du morcellement et de la fragmentation du territoire en parcelles par l’acte de lotir.
Ces lotissements, qui foisonnent en réseaux tentaculaires, s’inscrivent pleinement dans Le règne de l’urbain et la mort de la ville,* titre du livre de l’historienne de l’architecture Françoise Choay. Dans cet ouvrage, elle explique que « le français ‘VILLE’ vient du latin villa, désignant un établissement rural autarcique qui a souvent constitué le noyau des cités médiévales. Cette étymologie souligne l’appartenance de la ville européenne préindustrielle à la campagne. […] Ici encore la révolution industrielle a sapé une association originelle. Elle a brisé la relation de complémentarité qui unissait la ville et la campagne. […] Le processus se poursuit et tend à éliminer au profit d’une entité qui n’est plus ni ville ni campagne les deux termes qui, logiquement et phénoménologiquement, existaient l’un par l’autre ».
Pierre Henry Chombart de Lauwe, avec son livre La fin des villes**, invitait déjà à prendre conscience des risques que comportait une urbanisation non maîtrisée et le gigantisme des villes. L’extension des armatures urbaines a mis au cœur de la réflexion la question des réseaux qui règlent ou dérèglent le fonctionnement des villes ! Le tout parmi des systèmes urbains de plus en plus complexes !
En paraphrasant Pierre Desproges, pour tirer le bon lot, il faut aller vivre en Théorie car en Théorie tout se passe bien !
Cela n’a pas échappé aux lotisseurs qui transforment le ‘dispositif maison individuelle’ en un métabolisme vivant grignotant le moindre territoire et désormais dépositaire d’une entité qui n’est ni de la ville ni de la campagne.
Gemaile Rechak
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* Françoise CHOAY ‘Le règne de l’urbain et la mort de la ville’, La Ville, art et architecture en Europe, 1870-1993, Editions du Centre Pompidou, 1994.
** Pierre Henry Chombart de Lauwe ‘La fin des villes’ Editions Calmann-Levy, 1982.