Dans 50 ans, 100 tout au plus, c’est-à-dire demain, quelle ville et quelle France à +5° ? Concernant le climat et la ville, les deux nous concernant absolument tous, que faire ? Eléments de réponse à Montpellier et à Baillargues (Hérault).*
« Nous vivons un moment historique avec des vents et des inondations de plus en plus conséquents », explique Jean-Luc Meissonnier, maire de Baillargues (Hérault). Ce petit bourg de 8 000 habitants en 2020 (6 000 en 2000) à une vingtaine de kilomètres de Montpellier aurait pu finir en cité-dortoir si n’avait prévalu la capacité d’anticipation de l’édile, élu en 2001 sous l’étiquette RPR puis réélu sans étiquette en 2008 et dès le premier tour en 2014 et 2020.**
Nous avions rencontré Jean-Luc Meissonnier en 2017, un homme fort de ses idées. L’occasion de retourner le voir en 2022 aujourd’hui que les impératifs liés au dérèglement climatique sont devenus primordiaux. De fait, le PLU de Baillargues n’est pas fait pour hier mais pour demain. Le vent est désormais un sujet encore plus qu’avant, surtout le vent d’autan, qui vient de la mer ; il ne vient pas souvent mais il est destructeur et il revient de plus en plus souvent, de plus en plus destructeur.
Cela aura des conséquences sur l’image du village. Le maire en convient qui « prône des toits plats, pour que les tuiles ne s’envolent pas ».
Surtout ces toits qu’il impose ont encore deux autres fonctions : « Je prône également ces toits-terrasses avec des acrotères assez hautes pour cacher les panneaux photovoltaïques. Cela permet également d’anticiper l’évacuation et la rétention d’eau. En effet, l’eau qui s’écoule des toits pentus concourt aux inondations et nous savons que les évènements cévenols seront de plus en plus intenses et violents », explique-t-il. Toits plats ? La fin de la maison provençale ? Ce ne serait pas forcément une mauvaise nouvelle.
Jean-Luc Meissonnier n’est évidemment pas le seul dans le coin à se rendre compte que l’eau va nécessiter une nouvelle gestion structurelle. Arnaud Rousseau, architecte fondateur de l’agence montpelliéraine MDR, relève que depuis une dizaine d’années, un gros effort de canalisation a été effectué dans la région. « La rétention d’eau est obligatoire et, avec la gestion de l’eau, c’est l’élément que les maîtres d’ouvrage regardent en premier lors des concours », dit-il. « Les études hydrauliques sont désormais également obligatoires mais les bureaux d’études VRD ne veulent plus les faires, souvent pour des questions de responsabilité, il y a donc à Montpellier quatre bureaux d’études spécialisés », souligne-t-il. Les évènements cévenols puissance 4, cela finit par fiche les jetons en effet !
Même si l’Hérault a son propre contexte, cela fait un moment maintenant que nombre de maires, ne serait-ce qu’à cause de l’obligation de PPRI instituée en 1987, ont fini par prendre la mesure de l’enjeu. « Chaque commune a désormais ses taux de rejet des eaux, ce qui permet de jouer avec les surfaces perméables », explique Alain Bretagnolles, associé fondateur de l’agence parisienne architecturestudio. « Il n’y a évidemment pas les mêmes exigences au Mans qu’à Montpellier mais les mêmes solutions », dit-il.
Des exigences qui affectent la forme comme à Baillargues ? « Pas forcément, par rapport au Théâtre d’Angers [construit par architecturestudio], vingt ans plus tard, il n’y aurait pas de différence de forme car les contraintes locales seraient les mêmes mais les demandes thermiques et hydrauliques seraient plus exigeantes », dit-il.
« Retenir l’eau dans le bâtiment et élaborer un débit de fuite raisonnable sont aujourd’hui dans tous les cahiers des charges, ce n’était pas le cas il y a vingt ans », souligne encore Elodie Nourrigat, de l’agence NBJ sise au cœur de la capitale de l’Hérault.
Il demeure que, afin de réduire l’impact des inondations, le territoire autour de Montpellier regorge de bassins de rétention gigantesques qui, comme des crevasses nées d’une pluie de météorites ou d’obus, ne sont pas eux-mêmes sans poser de questions. « Les bassins de rétention, lorsqu’ils ne sont pas qualitatifs, peuvent attirer les moustiques et les grenouilles et du coup les gens se plaignent ! », poursuit Elodie Nourrigat.
Sans compter qu’avec la montée des eaux et la Camargue quasi au niveau de la mer, des marais oubliés vont finir par réapparaître et, avec ces zones humides, les moustiques, les libellules et les grenouilles. Les moustiques, plus que les libellules, sont d’ores et déjà un enjeu à Montpellier et partout le long de l’arc méditerranéen, les services des villes voyant leur tentation écolo de se passer de produits phytosanitaires bientôt contrecarrée par des habitants excédés et inquiets. « Le moustique-tigre, il ne transporte pas la variole du singe en plus ? ». Carnage électoral assuré !
Comment faire pour avoir des façades végétalisées, qu’il faut donc arroser, sans moustique ? Une gageure ! Le fait est que dans le Sud les architectes concernés développent déjà des systèmes antimoustiques. Tel système évacue l’eau, telle mousse absorbante sèche rapidement pour empêcher la survie des larves, etc. Des normes bientôt obligatoires jusqu’à Paris, Lille et Brest ? De toute façon, avec +5°, les moustiques auront peut-être bientôt la taille d’une abeille, comme dans le Mississippi (USA) !
Mais revenons à Baillargues où, après les toits-plats, le maire qui n’est pas fan des façades végétales a déjà organisé et lancé la mise en œuvre d’autres solutions originales et bon marché pour anticiper Armageddon. Une anecdote permet de comprendre les enjeux. « Les populations ne sont pas prêtes, une nouvelle peur vient s’ajouter aux autres, celle des tornades. Il y a eu l’an dernier pour la première fois une tornade à Baillargues, un toit est parti », se souvient Jean-Luc Meissonnier. Des tornades ? Comme dans le Mississippi ?
De fait, deux jours avant l’arrivée de Chroniques, le vent a dans le centre de Montpellier arraché un flamboyant micocoulier aimé de tous. L’effondrement de cet arbre âgé d’à peine 130 ans a fait sursauter la communauté, l’info faisant la une du Midi Libre (16/03/22) et l’objet d’un très long article en page 2.
Les arbres justement. Baillargues, comme Montpellier et nombre de villages de ce nouveau Sud, est désormais ornée de palmiers. Il y en a partout, alignés, offrant immédiatement une image de Riviera, voire, entre un McDo et un Burger King, de faux airs de Sunset Boulevard. Pourtant le palmier n’est pas endémique de la région. Une plante invasive ?
De fait, Jean-Luc Meissonnier explique ne plus désormais planter dans sa commune que trois essences : le palmier, l’olivier et le mimosa. Le palmier ? « Les palmiers ne perdent pas leurs feuilles. A chaque évènement cévenol, ou en cas de fortes pluies avec du vent, les feuilles des platanes bouchent les avaloirs et c’est ce qui produit les inondations. De plus, les palmiers ne posent pas de problèmes de racines et leur plantation n’a donc pas d’incidence sur les voiries refaites, leur moindre coût permet de planter des arbres déjà assez hauts et ils sont faciles à entretenir. Enfin, ils permettent de structurer une rue », dit-il.
L’olivier ? « L’olivier rappelle le Sud, il se suffit de peu et ses petites feuilles ne bouchent pas les avaloirs. Il permet de créer un lien identitaire tout en structurant l’espace architecturalement », poursuit le maire autodidacte.
Le mimosa ? « Le mimosa apporte des touches de jaune sur les grands axes, cela donne un côté chic au printemps. J’ai imaginé toutes les perspectives pour que les Baillarguois, juste au sortir de l’hiver, puissent voir ces signes annonciateurs du printemps. Cela permet de marquer les saisons. Le mimosa demande également peu d’entretien », continue Jean-Luc Meissonnier. Mais, mais, à propos de plante invasive, le mimosa ne se répand-il pourtant pas partout comme du chiendent, une vraie plaie ? « Certes mais il lui faut une terre acide, or le sous-sol de Baillargues est calcaire. Chaque mimosa est donc planté dans un carré de terre acide mais ne peut pas coloniser la commune à cause du calcaire qui entoure la fosse ». CQFD !
Et le maire de conclure avec un sourire : « même 5° de plus ne vont pas affecter mes essences de végétaux ».
Sacrilège ? Mais alors, qu’en est-il du grand platane de la place centrale, symbole s’il en est du Sud en général, de Baillargues en particulier ? Le maire sait déjà, et d’aucuns comme lui doivent s’en persuader, qu’un jour le vent d’autan ou une autre tempête lui fera le même sort qu’au micocoulier de Montpellier. Il ne sera pas replanté. Ou plutôt si ! « J’ai fait mesurer le platane par un drone pour en conserver l’image et les dimensions précises. Quand il tombera, ce platane sera stylisé au travers d’une œuvre d’art de même dimension et l’arbre retrouvera ainsi sa place et les habitants du futur se souviendront qu’il y avait là un platane majestueux ». Et les feuilles de ce platane-là ne boucheront pas les avaloirs.
Des palmiers il y en a évidemment en entrée de ville, alignés le long du tout nouveau parc ‘multi-glisses’, entre la gare et le centre. Plutôt qu’une succession de boîtes informes, en entrée de ville, un parc ! Il faut le vouloir. Et quel parc ! Pour simplifier, disons qu’entre un énième bassin de rétention d’eaux pluviales de 120 000 m3 et un projet prévoyant la création de deux plans d’eau – un bassin de pêche de type « prise et relâche » et un plan d’eau équipé de plusieurs téléskis nautiques pour la pratique du wakeboard, bref un équipement unique en France et en Europe – le maire a choisi de joindre l’agréable au nécessaire. Ce fut pour la ville un combat épique qui trouvera son véritable épilogue en 2024 avec l’ouverture officielle à la population du parc Gérard Bruyère.
Société des loisirs ? Au point bas, le parc ‘multi-glisses’ a surtout été conçu de façon à permettre en cas de fortes précipitations au surplus de s’épancher dans ce lac artificiel, lequel est d’ailleurs doté de barrages de différentes hauteurs afin de préserver la qualité de l’eau des différents bassins puisque cette eau est réglementairement propre à la baignade (pourtant interdite). Le lac s’écoule sinon dans le ruisseau qui garde son cours.
Les arbres, les toits plats, l’écoulement de l’eau, le parc ne sont que quelques facettes de la cohérence globale d’un projet urbain qui dépasse ici le seul temps politique de celui qui le porte. En guise de quoi, demain, à Baillargues +5°, en entrée de ville, une oasis tropicale et un îlot de fraîcheur ! Et des mimosas au printemps…
Christophe Leray
* Chroniques a entrepris au printemps 2022 un voyage de quelques jours à Montpellier (Hérault) pour discuter avec les architectes et élus locaux, les architectes surtout, de la façon dont ils envisagent l’avenir. Après tout, la ville construite aujourd’hui est censée durer 50 ans : Montpellier +5°, que se passe-t-il en attendant ?
**Lire notre portrait A Baillargues, c’est le maire qui porte la culotte
***Lire nos articles Montpellier +5° : on dirait l’Extrême Sud ? et A Montpellier, un « beau » bâtiment pour les voisins