
Chacun se souvient peut-être du violent et impressionnant épisode orageux qui a traversé le 25 juin 2025 le sud-ouest francilien. Après de très fortes chaleurs, les rafales, trombes d’eau et grêlons avaient dévasté les beaux quartiers de la capitale, une fois n’est pas coutume. Rues inondées, même les gardes à vue ont dû être transférées !
Au cœur de la tempête, il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour se croire à Mayotte ! Pour autant, cela démontre que personne n’est plus à l’abri nulle part, le moindre orage aujourd’hui source de vive inquiétude. Sans parler des canicules, inondations, sécheresses, éboulements de terrain, incendies, des grêlons de plus en plus gros chaque année, des méduses en bandes organisées… autant de catastrophes non naturelles qui peuvent toucher quiconque n’importe où, n’importe quand. Bonnes vacances quand même…
Surtout, il y a des effets de bords inattendus. Les bureaux de Chroniques étaient situés parfaitement dans la trajectoire de cette tempête aux rafales jusqu’à 100 km/heure et, au matin, la rue était jonchée de débris, l’arbre le plus proche ayant perdu les branches les plus exposées. Mais tout cela fut nettoyé rapidement.
Un peu plus tard dans la journée, une équipe d’une marque célèbre changeait le pare-brise d’un véhicule. Pif paf pouf les grêlons et un pare-brise à changer. Allo Car-Glass ? Combien d’appels le lendemain dans le sud-ouest parisien ? C’est la première fois que j’assistais à cette scène dans ma rue. Bon sang mais c’est bien sûr : dès qu’il y a un orage quelque part désormais, le lendemain, il y a des pare-brise à changer. Et comme les grêlons sont de plus en plus gros, quand cette marque célèbre.fr entrera en Bourse, il faudra ne pas hésiter à investir. Cela vaut également pour les couvreurs, une profession d’avenir. Idem les chaînes d’ateliers de carrosserie ! Sinon, sans garage dans un nouveau corridor des tempêtes, la Tesla Model X, un monstre de 5,04 m pesant 2 539 kg est pour vous. Ou il faudra, effet de bord, blinder la Clio !
D’ailleurs, si l’écologie n’a plus bonne presse, c’est que le désastre est plus profitable, en témoignent les Bourses mondiales, CAC 40 y compris, à des hauteurs records, les milliardaires n’ayant jamais été aussi nombreux et si riches qu’ils se targuent de philanthropie, c’est dire… Concomitamment, le hasard sans doute, l’État est plus ruiné que jamais et – miracle de la loi ELAN – le nombre de logements, sociaux en particulier, mis en chantier ou construits, n’a jamais été aussi faible, du moins aussi loin peut-être que s’en souvient la Ve République. Et jamais d’aussi pauvre qualité.
L’après-midi c’est un broyeur qui prend le relais dans la rue. Quand j’ai entendu le moteur vrombir dans le canyon urbain, la première image qui m’est venue à l’esprit est la scène dans le film Fargo des frères Cohen quand le méchant passe au mixeur son méchant copain. Ce genre de nuisance sonore réveille de la sieste.
Renseignements pris, en effet, une équipe d’élagueurs était en train de débiter deux grands arbres qui, pourtant plantés en pleine terre depuis quarante ans au moins, n’ont pas résisté et soudain perdu toute majesté. Il est impressionnant de voir ces géants de votre quotidien transformés en copeaux, laissant dans l’aménagement paysager une déchirure qui n’est pas près de cicatriser. Il a fallu à cette équipe de trois hommes toute l’après-midi pour terminer sa mission. J’imagine qu’avec leurs collègues élagueurs, ils ont bossé dur les quelques jours suivants ; en cas d’inondation, il n’y a jamais assez de plombiers.
À partir de combien de tempêtes les services municipaux seront débordés, trop de dégâts, trop vite, trop souvent ? Si, comme nous l’expliquent les scientifiques, ces évènements « boulonnais » (comme il en est d’évènements cévenols), sont appelés à se reproduire en s’amplifiant, les arbres matures de la ville seront ratiboisés au fil des ans avant même que les nouveaux n’aient le temps de grandir. Question pour le contribuable : à quel coût construire de fragiles forêts urbaines pour combattre l’îlot de chaleur si à chaque tempête, tous les deux ou trois ans, la forêt urbaine est à nouveau aplatie et passée à la tronçonneuse ?
Il est permis d’anticiper. Sachant qu’un jour le vent d’autan ou une tornade mettra à bas le grand platane de la place centrale – aujourd’hui encore symbole s’il en est du Sud en général, de Baillargues (Hérault) en particulier – Jean-Luc Meissonnier, le maire, a décidé de ne pas le replanter. Ou plutôt si ! « J’ai fait mesurer le platane par un drone pour en conserver l’image et les dimensions précises. Quand il tombera, ce platane sera stylisé au travers d’une œuvre d’art de même dimension et l’arbre retrouvera ainsi sa place et les habitants du futur se souviendront qu’il y avait là un platane majestueux », expliquait-il en 2022 à Chroniques.* Et les feuilles de ce platane-là ne boucheront pas les avaloirs.
En tout cas, à l’heure des effets de seuil imprévisibles, il importe pour tous les acteurs de la ville d’appréhender ce nouveau monde qui se présente à nous. S’y adapter, comme le fait CarGlass, va demander des ressources d’imagination et la capacité de s’inscrire dans le temps long. Cela, les architectes savent le faire (juste un rappel au cas où les pouvoirs en place auraient besoin d’un plan).
Pour autant, notons que notre ‘civilisation’ a admirablement survécu au XXe siècle et à ses dizaines (centaines ?) de millions de morts. Idem en Chine et en Russie et au Cambodge, etc. D’aucuns pourraient d’ailleurs arguer que cette civilisation est née après la grande peste qui au XIIIe siècle a décimé l’Europe d’un tiers au moins de ses habitants. De fait, si chacun de nous est là pour en parler, c’est que nos ancêtres ont survécu à toutes sortes de cataclysmes tous plus horribles et effrayants les uns que les autres. Et nos descendants feraient moins bien ? C’est leur porter guère d’estime. Bref, au moins à court terme (court au sens spatio-temporel), n’en déplaise aux marchands de peur, si notre mode de vie luxueux et décadent est sans doute menacé, l’humanité ne l’est pas encore, loin de là.
Alors quoi ? Se souvenir toujours qu’habiter sur une planète est dangereux par définition et que les architectes, de par leur fonction, sont les premiers à tenter de la rendre plus sûre.
Avant donc que nous ne soyons dispersés façon puzzle dans l’immensité de l’univers, se faire du mouron ne peut que provoquer des affections urticantes. Aussi, en cet été 2025 empli de promesses – ne le sont-ils pas tous ? – nous vous proposons une sélection d’éditos de cette saison 2024-2025 comme autant de parasols colorés plantés dans un cocktail glacé.
Bref, entre bulles chaudes ou froides, bel été à tous.
Merci de votre fidélité
Christophe Leray
Rédacteur en chef
Retrouver notre Édition spéciale Été 2025
*Lire notre article On dirait le Sud, il y a des palmiers et le vent souffle en tempête