La politique du logement est, semble-t-il, un enjeu de cette campagne présidentielle. Pourtant, les freins sont multiples et il suffit parfois d’une discrète régulation législative pour faire le bonheur des uns. Ainsi l’Assurance Loyers Impayés (ALI) est-elle censée rassurer le propriétaire. En réalité, la peur coûte cher ; c’est pourquoi les mafias offrent leur protection.
En préambule notons l’un des effets pervers de l’ALI qui veut que les agences immobilières exercent désormais un pouvoir discrétionnaire selon des critères qui leur sont imposés.
Voix suave, un directeur d’agence de l’ouest parisien en témoigne : «Je me souviens de ce couple d’Asiatiques qui payait plus cher dans un appartement plus petit. Il avait largement le niveau de ressources requis et que de bonnes recommandations mais commerçants et non salariés, ils étaient inassurables. Je n’y peux rien, ce n’est pas de ma faute et, vous comprenez, il faut que je me couvre».
Dit autrement, le ‘couple d’asiatiques’ s’est retrouvé Gros-Jean comme devant.
Le quartier n’y gagne certes pas en mixité.
Ni même en variété, comme s’en désole ce professeur italien, invité d’une prestigieuse université française. Désemparé des refus successifs, il ne peut, et pour cause, justifier de ses loyers antérieurs. Quant à ceux qu’il payait à Rome, ils ne comptent pas plus que le contrat de l’université. Un autre quidam ‘inassurable’.
Evidemment, même les citoyens lambda, pour être désormais ‘assurables’, doivent montrer patte blanche. Et cela suffit à peine.
Pourtant les incidents de paiements sont rares – une occurrence tous les quinze ans. Mais ici le meilleur business est celui de la peur.
Ce dont se félicitent ceux qui vendent la sécurité des âmes.
En effet, et au-delà d’un discret eugénisme local, l’ALI représente 4%, peu ou prou, du montant annuel de tous les loyers ‘privés’ de France et Navarre ; nul ne doute que l’ALI ne soit bientôt obligatoire puisque le cautionnement ne suffit plus. Un magot considérable.
En clair, un doux, régulier et légal détournement de fonds, sans haine et sans arme, de l’économie réelle au bonheur des actionnaires des compagnies d’assurances.
Le beurre, l’argent du beurre, le cul de la crémière et Cosa Nostra qui l’a mauvaise de cette concurrence législative déloyale.
A se demander comment les propriétaires faisaient avant l’ALI.
Crise oblige, plus le pigeon à cinq pattes se fait rare, plus le délai d’attente pour le trouver s’allonge. Pendant ce temps, les logements sont vides et l’argent ne circule pas, au grand dam des architectes qui ne manquent pas d’idées.
Quant aux propriétaires, pendant que l’assurance leur tamponne l’oiseau rare, ils auront perdu moult mois et plus de loyers, sans compter les 4% versés à une assurance qui n’aura pris aucun risque et dont les dividendes serviront à investir dans la pierre – la Bourse, trop risqué – ce qui aura un effet mécanique sur les loyers et les critères de l’ALI.
Enfin, et plus pervers encore, voici venu le règne des irresponsables non coupables : Irresponsable le propriétaire incapable de prendre seul une décision, «ce n’est pas moi, c’est l’agent immobilier qui me conseille» ; irresponsable l’agent immobilier, «ce n’est pas moi, c’est l’assurance» ; irresponsable l’assureur, «ce n’est pas moi qui fait les critères» ; irresponsable le député ; «je n’avais d’autre intention que de rassurer les propriétaires». Que vaut le libre-arbitre contre la sécurité ?
Ecrit autrement, pour se loger en location dans le privé, il vaut mieux désormais être agent du gaz depuis dix ans qu’entrepreneur. C’est vrai quoi, ces jeunes architectes qui créent leur agence, quelle assurance ont-ils d’un revenu stable et régulier. Inassurables. Et leurs collaborateurs ? Inassurables. Les artistes ? Inassurables. Quant à tous ceux qui osent sortir des clous, prendre le risque de créer une société et des emplois, inassurables sans doute.
Les assurances n’aiment pas le risque mais n’aiment rien moins qu’un monde de pleutres dans une société bien formatée. D’ailleurs, Paris n’est pas Pyongyang et il n’est pas de petit profit, surtout quand l’Assemblée nationale y met de la bonne volonté.
Comme les assureurs sont eux-mêmes re-assurés, nul doute qu’ils proposeront bientôt aux propriétaires frileux de s’assurer plutôt deux fois qu’une.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 1 février 2012