Depuis fin mars 2019 c’est un défilé architectural venu de toute l’Europe qu’il nous est donné de découvrir en préparation de l’exposition universelle Dubaï 2020. A la vitesse où circulent les idées et à en juger par le seul pavillon français, cette expo nous prépare des lendemains qui chantent.*
En témoigne sans doute le pavillon Belge, l’Arche verte, de l’inévitable Vincent Callebaut, sorte d’immeuble aux 150 arbres, resucée miniature et en bois de l’ouvrage de Sou Fujimoto qui lui en a promis 1 000 au-dessus du périphérique parisien il y a quatre ans déjà. Petits joueurs du développement durable les amis d’Outre-Quiévrain…
D’évidence, la moumoute verte en toiture a donc fini par atteindre la Belgique et bientôt les régions d’Europe les plus reculées. Des arbres sur l’igloo pour le pavillon de la Finlande ? Même les Néerlandais font pousser des tulipes sur le leur ! Mais sous abri parce que sinon, les petites fleurs sous le cagnard de Dubaï… En tout cas un symbole approprié pour un pays hors sol.
Les citoyens européens peuvent se gondoler chacun dans son coin à propos de leur pavillon national, là n’est pas le sujet. En effet, bien plus dommageable sont ces multiples propositions européennes n’ayant aucune cohérence entre elles. Elles sont exemplaires de nations rampant ensemble comme une armée de vassaux venue prêter allégeance au Cheick, chacune apportant dans son panier de voyageur quelques douceurs montrant bien le savoir-faire des artisans locaux avec l’espoir en retour de contrats mirifiques avec les nouveaux riches. L’obséquiosité érigée en art de vivre. Pas étonnant que la plupart des projets européens donnent envie de pleurer.
Ce n’est même plus une question de qualité du projet. Le Luxembourg ou la Lituanie peuvent se pointer à Dubaï avec des propositions qui se distinguent – ils n’ont apparemment pas encore lu Anne Hidalgo dans le texte –, arrivés sur place, chacun ne pèsera de toute façon pas lourd et ne pourra guère compter sur ses petits copains européens qui feront comme s’ils ne les connaissaient pas.
Pourtant, avec ces multiples dévoilements de projets – un par pays – deux mois avant les élections européennes, cette exposition universelle Dubaï 2020 n’était-elle pas l’occasion d’une démonstration d’unité de l’Union au travers d’un seul pavillon européen ? Pavillon dans les deux sens du terme ! Puisque les conservateurs de tous poils nous bassinent avec l’identité européenne, l’architecture ne transcende-t-elle pas les diverses cultures et sensibilités du continent ?
Il ne faut pas s’y tromper. Les Américains quant à eux viennent avec un seul pavillon, pas un par Etat. N’est pas prévu à Dubaï de pavillon du Kentucky, qui compte pourtant une population équivalente à celle de l’Irlande, qui aura son propre pavillon. Les Chinois, comme d’habitude, ne feront pas dans la demi-mesure avec un pavillon de près de 5 000m², l’un des plus grands du site. Et si Poutine n’est pas là (à notre connaissance), c’est seulement parce qu’il boude car Yekaterinburg avait perdu en 2013 l’organisation de l’expo 2020 contre… Dubaï.
Les Américains pas plus que les Chinois ne viennent à Dubaï pour rigoler avec un sac de billes, pas comme les Autrichiens, les Espagnols, les Italiens, etc., si fiers de leurs petites boules de marbre. A l’exception notable des Allemands qui, avec près de 5 000m², tenteront de faire un bœuf d’une grenouille. Certes, combien de leurs automobiles pour se rendre à Dubaï 2020, un site nappé de parkings ?**
D’évidence, les expositions universelles sont des démonstrations de force et de pouvoir. Dans une région où ils n’ont pourtant que peu d’influence, il est pathétique de voir les Européens s’y précipiter en meute de chiens peureux, les Français n’étant pas les derniers à japper le plus fort. A quel moment la diplomatie devient-elle de l’indignité ?
Un pavillon européen ? «Mais le principe est celui d’un pavillon par PAYS», rétorqueront les légitimistes coincés de la préférence nationale. Et gnagnagna. Et alors ? Si l’Europe, tous ses députés pour une fois d’accord, décide d’envoyer à Dubaï un seul pavillon mais qui dépote sinon rien, ils font quoi les Dubaïotes ? Ils prennent note, comme le reste du monde.
Il est hélas sans doute plus confortable pour nos si fiers petits pays européens de se laisser manger un par un, comme des bigorneaux au bout d’une pique.
A supposer que nos visionnaires à Bruxelles et à Strasbourg en aient jamais eu l’idée – Emmanuel Macron pas plus qu’un autre président ou chef de gouvernement -, comment financer un tel ouvrage, s’inquiètent les pleurnicheurs. Pourtant, si l’Europe avait décidé d’envoyer un seul pavillon conçu avec tous les budgets alloués par chacun des pays participants, y compris les Anglais d’avant le Brexit, la somme pour un tel projet dépasserait largement les 100M€. Et il n’est question ici que d’argent public.
Un peu de calcul mental. Le pavillon Belge coûte environ 10M€ en financement public soit, pour une population d’environ 11 millions, à peu près 0,90€ par personne, le citoyen belge se montrant généreux. En comparaison, le pavillon français, 20M€ pour environ 60 millions d’habitants, revient à 0,33€ par tête de pipe. C’est 0,22€ pour le contribuable polonais, qui paye en zlotys, et sans doute plus pour le citoyen luxembourgeois ou monégasque.
Acceptons l’idée que le Belge standard corresponde à la moyenne européenne. En ce cas, 0,90€ par personne, à l’échelle de la population de l’union européenne, environ 512 millions d’habitants, représenterait un budget de 450M€ ! Imaginez l’effet de levier auprès des grandes sociétés industrielles et financières européennes ! De quoi s’inviter à la table des Big Boys ! (puisqu’en Chine, aux USA et à Dubaï il n’y a pas encore beaucoup de Big Girls !) Et quel meilleur endroit que Dubaï 2020 pour sortir la tête du sable ? Quand on vous dit que les Dubaïotes prendraient note !
A domicile, imaginez le souffle du concours international ouvert à tous les architectes européens pour ce projet ! Une consultation à laquelle tous les citoyens européens assisteraient en même temps ! Qu’il n’en reste qu’un, voilà un grand débat !
Le résultat aurait sans doute de quoi impressionner les Américains, les Chinois et les nouveaux riches ! Et deux mois avant les élections européennes, en lieu de papotages, l’Europe proposerait une action claire et lisible par tous. Qui en Europe ne serait pas heureux de faire la nique (pour une fois) aux Américains et aux Chinois (et à Poutine en passant pour le calmer) ?
Et même s’il fallait préserver les susceptibilités de chacun – après tout pourquoi empêcher les Français de se gargariser à en étouffer de suffisance ? -, si chaque pays ne consacrait que 5% du budget alloué à son propre pavillon pour un pavillon européen, cela ferait encore un projet à 25 M€, soit deux fois le prix du projet belge, et encore de quoi, avec un peu d’imagination, au moins tenter d’impressionner les Américains, les Chinois et les nouveaux riches.
Bref, si l’union fait la force, l’architecture était en l’occurrence, pour le même prix, la meilleure façon de le démontrer, surtout sur un continent où tous les nationalistes sont atteints de la rage. Encore faut-il le vouloir. Il est vrai que chacun ne se sent jamais aussi fort qu’à aboyer dans sa niche. Et encore, à peine. La preuve, le pavillon français ne mord pas et, à Dubaï, la caravane passera sans lui.
Christophe Leray
*Lire notre article Dubaï 2020, le pavillon français acteur d’une mascarade globalisée
**Pour reprendre une citation de Luc le Chatellier / Télérama