Puisque, malgré les menaces climatiques, les Français persistent à vouloir une maison individuelle, pour son aspect patrimonial croient-ils, une maison d’architecte en pierre massive pour 160 000€ tout compris, piscine incluse, ça le fait question patrimoine ? Direction Montélimar, dans la Drôme.
Pour se rendre dans ce quartier résidentiel où il a pourtant livré une maison en 2018, l’architecte Gilles Perraudin hésite encore et doit même s’y reprendre à deux fois lors du retour. Il est vrai que pour transporter le petit groupe de journalistes en visite de presse, c’est tout juste si, par cette chaude et paresseuse journée de septembre, il y avait suffisamment de taxis à la gare de Montélimar, laquelle n’a encore jamais entendu parler d’AREP.
Les certitudes environnementales de l’Atelier Perraudin sont connues mais c’est peu dire que nul ne s’attend à les trouver exprimées aussi clairement dans ce quartier pavillonnaire de périphérie. «Une maison manifeste», dit l’architecte avec précaution. «Cette maison est un acte politique», s’enflamme pourtant le propriétaire, que nous appellerons Nicolas, qui reçoit le groupe.
A quoi peut bien servir un manifeste qui ne sera vu que par quelques voisins circonspects et un acte politique dont personne ne sait rien ? Certes, la maison dénote dans son environnement mais cela ne signifie rien en soi. En quoi une simple maison individuelle d’architecte, par définition unique, presque petite en l’occurrence (96m²), peut-elle être plus exemplaire qu’une autre ?
Gilles Perraudin traduit ses convictions – le bois, la pierre, le grand air, etc. – dans des bâtiments en pierre et bois massifs, qu’il s’agisse de logements, sociaux ou non, ou parmi d’autres d’un musée en Corse ou de la Maison du département à Voiron (Isère) livrée en 2015. Certes, il avait bien déjà réalisé une sorte de maison et galerie d’art rue de Crimée à Lyon, mais, comme il conduit dans les petites rues pleines de sens interdits d’une périphérie indéterminée, il y a une sorte d’incongruité à le retrouver là.
Nicolas, le propriétaire, reçoit sous la maison. Ce n’est pas souvent que la réception se fait en sous-sol. L’espace semble inadéquat de premier abord mais se révèle très vite particulièrement accueillant : des murs de pierre, un plafond en bois, une pile de bûches en prévision de l’hiver. C’est solide ! Il y fait relativement frais considérant la chaleur caniculaire à quelques pas, en plein soleil. «Au début, nous cherchions une maison à rénover», explique Nicolas. Pourquoi ce quartier ? «Car toute la famille peut se déplacer à vélo», dit-il. A vélo le centre de Montélimar et les activités de la famille sont à 10mn.
Quand même, une maison contemporaine en pierre massive, avec un budget auquel il faut faire attention, il fallait y penser. «J’ai entendu parler de Gilles Perraudin via des relations communes. Je connaissais la Maison de Crimée à Lyon pour l’avoir visitée, du moins la galerie. Je suis allé à quelques conférences, j’ai découvert la pierre. Celle de la maison est la pierre de Fontvieille, à moins de 100km, celle-là même prescrite par l’architecte Fernand Pouillon dans les années 60 en France et en Algérie».
A entendre le maître d’ouvrage ainsi parler de la pierre avec la passion des nouveaux convertis, on se dit que Gilles Perraudin n’a pas eu trop de mal à le convaincre, ni sans doute à se convaincre lui-même d’accepter cette commande malgré une agence déjà bien occupée par ailleurs. Il n’y a pas de petit projet militant.
Conçue sur un plan carré, la maison organise les espaces habitables à l’étage autour d’un escalier central d’accès venant du rez-de-chaussée. Il est étonnant d’arriver chez soi par le milieu mais les circulations dans la maison se révèlent parfaitement fluides pour notre groupe, alors pour une famille de quatre avec deux enfants… Appropriable en saison sèche donc, le rez-de-chaussée double la surface de la maison, le maître d’ouvrage ayant prévu une chambre d’été – déjà testée – puis d’autres pièces éphémères encore. Il y aura là bientôt une cuisine d’été, près du potager, et l’espace rustique qui a servi à recevoir la presse aura d’ici peu acquis sa personnalité propre.
La perception du confort offert par la maison et son sous-sol est difficilement traduisible en photo. C’est encore Nicolas qui l’exprime le mieux : «nous sommes nomades dans la maison», dit-il joliment. «L’hiver nous nous rapprochons du poêle à bois, situé entre les deux chambres qu’il réchauffe, au printemps et à l’automne, nous sommes dans la grande pièce de vie – cuisine, salon, salle à manger – avec la baie vitrée et la terrasse tout du long. L’été, nous sommes en bas. Ce nomadisme interne, s’il est source d’économie d’énergie, est aussi un déplacement du corps dans l’espace vers le lieu le plus propice. Notre comportement s’est adapté à celui de la maison et nous a permis de redéfinir la notion de confort. Nous ne voulons pas vivre à température constante, 20° été comme hiver, il faut accepter les variations», dit-il.
«La compacité du plan carré limite les surfaces d’échanges avec l’extérieur et rend possible une conception du confort et des économies d’énergie fondées sur la forte inertie de la pierre, ici de 40 cm d’épaisseur», souligne Gilles Perraudin. Pour le chauffage, essentiellement le bois et le soleil.
Vérification faite : «nous avons divisé par deux notre consommation énergétique, elle est ici d’environ 4 000kwh/an», indique le propriétaire. Sachant qu’une maison de 70 m², avec chauffage et eau chaude électrique, en consomme en moyenne 9900 kWh/an, 20 000 kWh/an pour une maison de 150m², le calcul est vite fait. Un chauffage d’appoint par le sol est prévu, au cas où. «Nous ne l’utilisons presque jamais», dit-il.
Au sujet des économies en général – un sujet important pour la capacité de financement d’une famille souhaitant SA maison -, Gilles Perraudin prend plaisir à prêcher pour sa paroisse. «Avec la pierre, un bon maçon suffit. La pierre est coupée à la mesure du calepinage. C’est très rapide : le mur est monté, il est immédiatement utile et efficace», dit-il. Ici, les fondations achevées en décembre, la pierre a commencé à être posée en janvier et la maison livrée en juin. Il n’en déplore pas moins la perte de la «culture de la pierre».
«De plus, le plan carré, divisé en trois, permet des portées de l’ordre de 3 m. Ces bois de faible section permettent de faire des économies», poursuit l’architecte. «Ici pas de porte-à-faux car cela représente une dépense considérable», dit-il encore. L’ouvrage n’est pourtant en rien un projet minimaliste. Tous les matériaux sont nobles.
Bref, ça + ça + ça + ça et voilà une maison d’architecte pour à peine 160 000€HT. Et, à ce prix-là, compter encore dans le jardin un bassin dont le son de l’eau qui s’écoule est à lui seul rafraîchissant, une fontaine certes trop petite pour faire une piscine ou une ligne de nage mais suffisamment grande et profonde pour s’y rafraîchir l’été sous les arbres en famille ou avec des amis. Les enfants adorent.
A titre d’économies encore, les circuits courts. La carrière est à moins de 100 kilomètres, le bois vient du département. «Le bois et la pierre sont deux systèmes constructifs relativement souples qui travaillent bien ensemble», relève l’architecte, soulignant que «le problème du béton est qu’il n’est pas recyclable, en plus il est fait avec du sable, de la pierre donc. La durée de vie du béton est de 75 ans, il va mourir à cause de son acier. Pensez au Patrimoine du XXe siècle : comment entretenir tout ce béton armé ? La pierre on peut la démonter et la remonter ailleurs. On peut la récupérer, c’est l’histoire du Colisée à Rome…». Il est intarissable.
Au-delà de ces aspects financiers, qu’il faut certes marteler pour convaincre les maîtres d’ouvrage de se lancer dans l’aventure, c’est ailleurs qu’il faut chercher le sens de l’architecture. Ici, c’est la maison qui a changé, voire transformé ses habitants. Les murs sont dépouillés, même la céramique blanche de la cuisine est immaculée. «Ne pas décorer permet d’être juste contemplatif, la variation des ombres sur les murs change toute la journée. C’est une petite maison mais elle paraît très grande», explique Nicolas. L’épure est donc aussi intellectuelle. Bien qu’en pierre massive, comme chez les nomades, cette maison permet de voyager léger.
Quand le couple reçoit des amis, ceux-là, qui habitent dans des maisons individuelles, conventionnelles disons, qu’ils ont souvent payé plus cher, sont bien étonnés.
Si la maison de Montélimar est la démonstration d’une méthode vertueuse pour construire un logement individuel largement dans les prix du marché des constructeurs pour un plus grand confort, avec des économies conséquentes en termes de construction et de fonctionnement afin d’acquérir un patrimoine pérenne (quel que soit le matériau d’attraction de l’architecte d’ailleurs), elle montre aussi toute la difficulté qui précède sa réalisation.
Pour transformer l’essai du manifeste en un acte politique, il a fallu pour le maître d’ouvrage cheminer sur un long chemin intellectuel et militant, puis une vraie rencontre avec un architecte passionné pour qu’aboutisse le projet. Ce sont là toutes les limites de l’exercice. Ce n’est pas tant une question d’argent, c’est cet effort-là et ce chemin-là qui sont compliqués à consentir pour la plupart des Français au moment d’acheter, plutôt que construire, leur maison. Une frilosité, une peur du vide, dont profitent les constructeurs sans vergogne, puisque 80% du marché est entre leurs mains.
Foin de défaitisme, un dernier argument pour la route. «La pierre, en ‘respirant’, régule l’hygrométrie et la température de l’habitation. Dans un climat qui ira en se réchauffant, le véritable défi thermique sera celui du confort d’été», indique Gilles Perraudin.
Une famille, à Montélimar, a désormais le temps de voir venir.
Christophe Leray