L’approche homogénéisante de la photographie d’architecture fait que nos yeux s’engourdissent, se désensibilisent et sont saturés de variations de la même image. En cause, des photos d’architecture faciles à comprendre et à consommer ! Chronique-photos d’Erieta Attali.
Au travers de ma pratique de photographe d’archéologie, de paysage et d’architecture, je me suis efforcée de développer un langage visuel où la séparation entre le contenu (structure artificielle) et le contexte (naturel ou urbain) est floue, et la relation entre les deux inversée. L’architecture est traitée comme un élément de son environnement ; en même temps, le contexte est immergé et filtré à travers l’architecture.
Cette interprétation est liée à celle de l’architecte Bruno Taut, qui comprenait l’architecture comme l’acte de « concevoir des relations » au lieu d’agencer des « formes dans la lumière » ou simplement de structurer l’espace géométrique.
Ma proposition est donc formulée comme suit. L’acte de photographier l’architecture (pas nécessairement la photographie d’architecture), peut révéler et intensifier les interactions entre les artefacts artificiels et leurs environnements respectifs, transcendant ainsi l’aspect utilitaire-documentaire du médium et agissant comme un outil d’interprétation et de compréhension.
Grâce à mon long engagement professionnel et académique dans le monde des publications illustrées, je suis arrivée à la conclusion que la photographie d’architecture évolue vers une représentation uniforme et largement indifférenciée de l’architecture qui, dans un souci de lisibilité, aplanit les différences géographiques et climatiques. Par exemple, une grande variété de bâtiments dans des endroits aussi disparates que l’Australie et la Scandinavie sont représentés dans un langage visuel qui les rend similaires, alors qu’en réalité ils représentent des solutions radicalement différentes dans des environnements très dissemblables.
Les photographes sont souvent tenus de produire les mêmes résultats uniformes que les clients voient proliférer dans les magazines : des prises de vue en début de soirée illuminées de lumière artificielle ou des scènes ensoleillées sous un ciel bleu, même dans des endroits où la lumière du soleil est rare et où le ciel est couvert la plupart du temps.
Les angles sont également généralement similaires, offrant du bâtiment en question une élévation clairement lisible, dans un format étroitement recadré, facile à communiquer et à consommer dans le contexte d’un marché mondial de la conception architecturale. Toute une gamme de nuances, d’intentions de conception et d’interactions ambiantes est efficacement supprimée de l’image, qui finit le plus souvent par être stérilisée et monodimensionnelle.
Lorsque les architectes prennent en compte la localisation de leur travail en ajustant leurs stratégies de conception au climat et à la topographie locaux, n’est-ce pas une perte sensible que la photographie d’architecture et le monde de l’édition en général ignorent ces distinctions dans la manière dont ils présentent l’architecture ?
J’ai de sérieux doutes quant à savoir si cette approche homogénéisante rend service au monde de l’architecture ; nos yeux s’engourdissent, se désensibilisent car ils sont saturés de variations de la même image essentiellement.
Un premier indice de ce qui ne va pas peut être obtenu en examinant les exemples classiques de la photographie d’architecture du XXe siècle. Ces photographes ont passé un temps démesuré avec leurs sujets, observant patiemment et attendant les bonnes conditions qui produiraient une image très idiosyncrasique qui non seulement décrivait l’architecture, mais définissait également la façon dont nous la comprenons et nous en souvenons.
En m’éloignant de tout faux sens d’objectivité et en acceptant le fait que la photographie est un acte interprétatif, je deviens libre de contextualiser l’architecture, que ce soit à travers une géographie réelle, personnelle ou imaginaire.
Erieta Attali
Toutes les chroniques-photos d’Erieta Attali