Nos lecteurs réguliers sont familiers de son travail et de ses chroniques mais, au fil du temps, tout comme ses photos aiment à brouiller la frontière entre le naturel et le surnaturel, d’aucuns se demandent qui est donc cette élusive photographe d’architecture qui considère les bâtiments qu’elle approche comme autant de fragiles paysages de l’esprit. Mini-portrait sous forme de chronique-photos.
Difficile de faire photographe d’architecture plus cosmopolite. Erieta Attali est née à Tel Aviv mais a grandi à Athènes et Istanbul. Diplômée de la Columbia University de New York, elle obtient son doctorat à la RMIT University de Melbourne. Elle a enseigné au Chili, au Danemark et en Allemagne. Elle enseigne aujourd’hui à Singapour. Le Japon n’a plus de secret pour elle et c’est de Ginza que la rédaction a reçu les images de cette chronique inhabituelle. Elle vit aujourd’hui à Paris. C.L.
« L’architecture n’est pas permanente. La permanence en guise d’intemporalité semble définir la photographie d’architecture ; elle est presque considérée comme une qualité indispensable pour la représentation de constructions édifiées par l’homme. Les bâtiments sont identifiés à travers des photographies spécifiques, atteignant un statut de permanence ou d’immortalité à travers le médium ».
« La conscience du contexte ne nous fournit pas seulement des informations et une meilleure compréhension de l’objet photographié mais aussi un aperçu des forces naturelles qui l’affectent et qui ont pu façonner sa conception originale ».
« En élargissant l’échelle du temps, chacun se rend compte que l’architecture, contrairement à ses avatars photographiques, n’est pas permanente. Les innombrables ruines qui parsèment les côtes méditerranéennes en témoignent aisément, rappelant les innombrables géographies humaines qui vont et viennent selon un cycle inévitable de décadence et de renouvellement ».
« J’essaie souvent de souligner l’horizontalité des paysages que je photographie car cela représente pour moi une tentative d’approcher et de communiquer le concept grec d‘’apeiron’, d’infinité, de quelque chose sans limites.
Ce concept d’infini peut sembler contredire l’idée que les paysages représentent des limites mais, en fait, il en renforce l’idée. La limite est une transition implicite, plus difficile cependant à mesurer et définir que s’il s’agissait d’une ligne sur un dessin de géomètre ».
« Brouiller des frontières est un processus bidirectionnel qui peut avoir comme point de départ ou l’architecture ou le contexte naturel. L’abstraction conduit à la production d’un espace ambigu, et c’est cet espace qui à son tour permet de comprendre l’unité de l’architecture et du paysage comme un continuum ».
« Au lieu d’assister à une croissance parallèle de « dialectes » photographiques, c’est l’inverse qui se produit : une homogénéisation croissante de l’image, souvent motivée par la nécessité de présenter l’architecture comme un produit visuel facilement consommable et censé survivre à des périodes d’attention extrêmement courtes dans un environnement de sursaturation des informations.
L’idée de permanence et l’illusion connexe d’intemporalité sont courantes dans la photographie d’architecture ; elle produit souvent des entités photogéniques autonomes, explicites et déconnectées de toute notion de sénescence ».
« La photographie d’architecture en tant qu’outil d’analyse démontre le potentiel d’un langage visuel doté d’une flexibilité considérable ; un langage qui transforme la manipulation en jeux de mots ambigus, testant ainsi non seulement les limites du média et son spectre expressif, mais aussi la perception d’une représentation photographique réelle, fidèle ou utile de l’architecture ».
Erieta Attali
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