Une biennale d’architecture à Caen, du 22 septembre au 9 octobre, à quoi ça sert ? La question se pose dans le train qui emmène la presse parisienne pour l’inauguration ; on a le temps d’y penser car ce n’est pas un TGV. C’est vrai quoi, pourquoi Caen ? Et pourquoi une biennale d’architecture à Caen ? Visite.
Les élus locaux sont déterminés : il s’agit de «rendre à la ville son attractivité», ces mots étant utilisés à l’envi dans le discours de Joël Bruneau, le maire, lors de la cérémonie d’ouverture de cette 4ème édition de la biennale, aussi bien que dans la bouche de sa première adjointe chargée de l’urbanisme que de celle des autres personnalités rencontrées.
La ville ne serait donc pas attractive ? Il est vrai qu’elle perd ses habitants, 6 000 en dix ans entre 2000 et 2010, et moins 43 % de ses habitants en centre-ville depuis 1963, lesquels se sont dispersés façon puzzle en petite et grande couronnes soit pour se rapprocher de la mer – à dix km du centre-ville – soit pour se mettre au calme du bocage normand. Cet environnement naturel privilégié pénètre pourtant au cœur de la cité avec l’influence maritime, le port en centre-ville, l’Orne et le canal, le bocage et l’immense prairie de l’hippodrome.
Si Caen, avec ses 109 000 habitants est une petite ville parmi les grandes, rares sont les cités de cette taille où l’on croise les chevaux à l’entraînement en allant au boulot le matin, à pied. C’est sûr que cela change du métro. L’air y est pur.
Pourtant, lorsque les journalistes parisiens débarquent à la gare de bon matin, les confrères de la télé régionale anglent leur sujet sur… l’arrivée des journalistes. Pourquoi ? Personne ne vient donc jamais à Caen ? Pour Caen quelle heure ? grinçait déjà Raymond Devos. Pour où ? C’est pour ça qu’il n’y a pas de TGV ? La volonté première du maire actuel, comme déjà celle de Philippe Duron son prédécesseur, de rendre la ville «attractive» est donc bien compréhensible. Comment faire ?
Commencer par une approche sans dogmatisme et s’appuyer sur le savoir-faire des hommes de l’art. De fait, cette biennale est l’occasion de découvrir le vaste projet – dont 7 000 logements – de la presqu’île de Caen, un ‘work in progress’ dont quelques bâtiments emblématiques sont déjà érigés.
A noter que cette édition de la biennale est financée «à 90%» par des fonds privés, «l’Etat ayant coupé les financements». Si l’on regarde la longue liste des sponsors, toute la ville est là mais, s’il y en a autant, c’est qu’ils ne peuvent, ne veulent, pas donner beaucoup chacun. C’est donc encore une biennale d’architecture bien modeste dans son expression sinon dans ses intentions. Après tout, les conférences sont de haut vol.
Pour le coup, si le financement est assuré autrement que par l’Etat, cela laisse les coudées franches à ses organisateurs de faire montre d’encore plus d’audace pour la prochaine. D’autant que ‘Le Pavillon’, créé en mars 2014 à l’initiative de la Ville de Caen et de la communauté d’agglomération de Caen la mer et dédié à l’architecture, l’urbanisme et le paysage, est devenu le véritable QG culturel et intellectuel du projet de la presqu’île.
Bref, pour l’attractivité de la ville, Caen a des arguments à faire valoir. Restait à le faire savoir. D’où la biennale. Mais faire savoir à qui ? Pour qui rendre la ville attractive ?
Tout l’enjeu du projet de la presqu’île est d’amener la population, et plus particulièrement les familles, à ré-habiter le centre d’agglomération. De quelles familles peut-il s’agir ? De familles avec enfants, certainement, et quand les logements seront construits, sans doute offriront-ils toutes les typologies de l’habitat urbain, de la maison de ville au collectif – voire à la maison individuelle ? – avec terrasses et/ou jardin. Des familles jeunes qui auront adopté de nouvelles formes de circulation et de nouveaux modes d’habiter puisque le plan guide conçu par MVRDV fait le pari de la «mobilité alternative à la voiture». Des familles aussi peut-être sensibles à la sécurité – Caen, ce n’est pas Chicago même si les étudiants peuvent veiller tard. Mais qui peut venir s’installer dans une ville qui se désindustrialise ?
Ce n’est donc pas d’une mutation d’image dont témoigne la biennale mais d’une évolution culturelle profonde. D’autres villes sont parvenues (ou sont en cours de le faire) à muter d’un paradigme industriel vers un paradigme tertiaire ou touristique. D’autres ne sont pas parvenues à muter et ont continué de perdre des habitants. Certes Caen reçoit moult touristes qui viennent visiter les plages et le musée du débarquement et il y aura bien quelques bâtiments tertiaires dans la presqu’île mais l’enjeu est ailleurs.
Ces nouveaux résidents que la ville appelle de ses vœux seront nécessairement des professionnels capables d’apporter leur activité avec eux dès lors que leur présence physique, à l’heure où les nouvelles technologies transforment aussi bien les façons d’habiter que de travailler, les deux étant liées, ne sera plus constamment requise au bureau. A ce titre, la ville se projette dans le futur, ce dont témoigne d’ailleurs la Maison de la recherche et de l’imagination, conçue par l’agence Bruther et tête de proue de la presqu’île. La ville intelligente, au-delà des applications numériques, c’est aussi la capacité à offrir la bonne réponse au bon besoin au bon moment.
Car si la capitale de Guillaume le Conquérant avait perdu de son attrait c’est aussi parce qu’elle était hors réseau, pas de TGV donc. Aujourd’hui, les réseaux sont d’un autre ordre. Proche de Rouen, du Havre et d’Honfleur, Caen va par exemple bénéficier de l’impulsion donnée par le projet Réinventer la Seine. Les universités et hôpitaux fonctionnent d’ores et déjà en réseaux dématérialisés et un nouveau CHU va être construit (et personne ne regrettera l’ancienne tour monobloc de 22 étages construite par Henry Bernard dans les années 1970, le même beaucoup mieux inspiré pour le campus de l’université raccordé au château du glorieux Duc de Normandie en un raccourci temporel saisissant et pratique). Les réseaux informatiques ne font pas la différence selon que vous êtes installés dans une ville agréable près de la mer ou en troisième couronne de la région parisienne ou à Bordeaux. En réalité donc, le principal attrait de Caen est elle-même. C’est l’enjeu de la biennale.
L’évènement parvient-il à atteindre son but ? Il est difficile d’en juger. L’inauguration a donc réuni le nouveau et l’ancien maire et un aréopage de la bourgeoisie caennaise, ce sont des étudiants de l’ESAM qui ont accroché l’exposition Global Awards conçue par la Cité de l’architecture à Paris (une convention a d’ailleurs été renouvelée à cette occasion avec Guy Amsellem, président de la Cité). L’auditorium de l’ESAM qui accueillait la première conférence n’était pas plein malgré la qualité des intervenants et l’intérêt du sujet. L’ENSA Rouen n’est pourtant pas loin… Frédéric Lenne, le commissaire de la Biennale n’avance pas de chiffres de fréquentation précis.
La plupart des animations sont gratuites et les conférences, aux thèmes variés, permettent d’explorer quelques lieux culturels emblématiques de la ville, des activités sont prévues pour les enfants. Ceci étant, au moins pour l’instant, une biennale d’architecture à Caen, ce n’est pas un concert des Rolling Stones.
Cela écrit, l’ouvrage édité à l’occasion de la biennale** donne un bel aperçu de la richesse du projet de la presqu’île. Un projet de quarante ans ! Si la biennale s’en fait encore le témoin en 2056, le pari aura été plus que gagné.
Enfin, pour finir, noter que cette biennale s’inscrit dans un cadre culturel plutôt vivant et varié. Dans un esprit de réappropriation, la presqu’île est déjà ‘habitée’ depuis plusieurs années par des associations culturelles vivantes et contemporaines, dont l’emblématique Cargö, livrée dès 2007 par Olivier Chaslin et dédié aux musiques actuelles. Il était le tout premier des nouveaux bâtiments bâtis sur le site, symbole sans doute de l’esprit du projet.
Christophe Leray
*Pour découvrir le programme complet et les lieux de la biennale de Caen, du 22 septembre au 9 octobre 2016 :
** (Re) construire la ville sur mesure, dir. Frederic Lenne, éditions de la Découverte, Paris, 2016