Dans le monde d’après dont il est désormais question, l’énergie sera forcément douce, quasi gratuite, silencieuse et sans rejet de CO² ou autres gaz néfastes pour la planète. Le temps est-il venu pour les architectes de concevoir des mini-réacteurs dans la cave ? Ou rien ne vaut-il mieux qu’une bonne centrale nucléaire, « trois blocs de béton sans fioritures », comme disait Claude Parent ?
Tout le monde, sauf les plus jeunes, se souvient encore de la dimension des premiers ordinateurs disgracieux qui occupaient chacun une pièce entière pour faire avec une mémoire limitée des calculs qu’un humain pouvait encore réaliser plus vite. C’est avec ces ‘computers’ que l’homme est allé sur la lune. Ces machines ont été petit à petit miniaturisées jusqu’à ce qu’aujourd’hui, 70 ans plus tard, un seul smartphone est des millions (milliards ?) de fois plus puissant qu’en 1969 tous les ordinateurs de la NASA et de l’Union soviétique réunis. Nous sommes partis de la taille d’un immeuble pour arriver à celle d’une puce, dans tous les sens du terme.
Maintenant voyons pour le nucléaire civil. Il a démarré à peu près au même moment que l’ordinateur. La première centrale nucléaire du monde entre en service en décembre 1951 dans l’Idaho aux États-Unis. En juin 1954, les Russes connectent leur première centrale nucléaire civile au réseau électrique à Obninsk en Union soviétique. Les Français – cocorico – sont troisièmes en janvier 1956 avec la mise en service de la centrale de Marcoule dans la vallée du Rhône.
A l’époque, les centrales nucléaires sont de très très gros machins disgracieux. Pourtant, malgré les recherches de Claude Parent* dans les années 70 pour EDF et malgré des avancées technologiques hallucinantes dans à peu près tous les domaines scientifiques, 70 ans plus tard les centrales nucléaires sont encore de très très gros machins disgracieux.
Qui plus est, nous le savons désormais beaucoup mieux qu’en 1950, ces gros machins sont dangereux, vieillissent très mal et laissent une telle masse de déchets, radioactifs ou non, que personne ne sait qu’en faire. En 70 ans, tandis que l’ordinateur passait de la taille d’un éléphant à celle d’une onde lumière, la centrale nucléaire n’a pas été miniaturisée d’un iota ! Par quel prodige ?
Pourtant miniaturisation de l’énergie nucléaire il y eut, d’ailleurs Donald Trump veut lancer la production de mini-bombes nucléaires, ce qui montre à quel point cette technologie est désormais maîtrisée. De fait, la propulsion nucléaire est d’ores et déjà miniaturisée au point d’alimenter ad vitam aeternam une sonde spatiale au long cours. Mieux, en août 2019, Jim Bridenstine, le patron de la NASA, expliquait que la propulsion nucléaire pourrait s’imposer comme le mode de propulsion le plus pertinent pour envoyer des missions habitées vers Mars car elle permettrait de réduire le temps de parcours de moitié (4 mois au lieu de 8). Pour la NASA, il s’agit là de vols habités, beaucoup plus lourds qu’une sonde, c’est dire le potentiel de cette énergie. Il n’est pourtant pas question d’embarquer une centrale…
Plus près de nous, la propulsion nucléaire est déjà utilisée depuis longtemps dans le secteur militaire – sous-marins, porte-avions et croiseurs – voire dans la marine civile, avec des brise-glace russes et des bateaux de transport. C’est le cas par exemple de notre porte-avions national le Charles de Gaulle dont l’autonomie énergétique est de sept ans et demi entre deux rechargements de combustible. Sept ans pendant lesquels vous croyez vraiment qu’un marin se doit d’éteindre la lumière quand il quitte sa cabine ?
Certes les enceintes de confinement des deux réacteurs du Charles de Gaulle pèsent 900 tonnes mais ne font que 10 mètres de hauteur pour 10 mètres de diamètre, des dimensions qui semblent utiles puisque les enceintes des sous-marins nucléaires, des bâtiments pourtant beaucoup plus petits, font la même taille.
Dit autrement, deux réacteurs dans deux édicules de 10 mètres de haut fournissent suffisamment d’énergie pour alimenter et transbahuter de par le monde un bâtiment de 261,5 mètres de long, 64,36 m de large et 75 m de haut complètement et lourdement armé, dans tous les sens du terme. Et cela pendant sept ans, minimum, avec un plein et sans non plus d’économies de bout de chandelles !
Force est de constater que, depuis sa mise en service en mai 1994, les marins du Charles de Gaulle n’ont été ni vitrifiés ni cuits à feu doux par les radiations. D’ailleurs l’actualité a montré au printemps 2020 que les marins avaient plus à craindre le virus que l’irradiation. Donc, malgré deux réacteurs nucléaires dans le jardin, hors Covid, tout le monde se porte bien sur notre porte-avions.
Reprenons. Le Charles de Gaulle est un bâtiment de 260 m de long x 64 m de large x 75 m de haut. En termes de m², considérant trois mètres de hauteur pour un étage, cela représente une surface d’environ 400 000 m², soit l’équivalent de cinq tours à La Défense ou deux fois la Cité des 4 000 à la Courneuve et toute la Courneuve autour. Et tout ce monde-là pourrait, à partir d’un mini-bunker de 10 mètres de haut enterré dans le sol à proximité, disposer d’énergie quasi gratuite, à volonté, y compris pour tous les véhicules électriques des mobilités douces ?
Du coup, chaque nouveau programme immobilier se verrait doté dans la cave de son propre mini-réacteur illuminant tout le quartier. D’ailleurs, pourquoi les cacher ? Les enceintes de confinement pourraient devenir des objets de mobilier urbain dont la décoration pourrait être confiée à des designers, des architectes, voire à des agences de type Decaux pour qu’en plus de l’énergie gratuite, ces mini-réacteurs soient sources d’un revenu supplémentaire grâce à la pub. Après tout, nous avons bien pris l’habitude de stations-service dans nos rues, alors de jolis édicules, qui en tout état de cause ne peuvent pas être plus moches que la plupart des sorties de parking de Vinci, on s’y ferait vite.
Sans parler du démontage. On sait mettre un sous-marin nucléaire au rebut, pas une centrale nucléaire et il sera plus simple de développer un savoir-faire de construction et déconstruction de petits équipements plutôt que de continuer à se gratter la tête pendant encore cent ans pour savoir que faire des flippantes cathédrales de béton qui hantent nos campagnes.
Ha mais, dira-t-on, si ça explose, hein ? hein ? Si ça explose ? Comme l’explosion de gaz en janvier 2019 dans un immeuble de la rue de Trévise à Paris par exemple ? Et encore, rue de Trévise, qui soudain ressemblait à une rue de Damas, nous sommes au courant, s’il est permis de l’écrire ainsi, parce que ça se passe à Paris. En réalité, nous vivons tous dans des villes où, de temps en temps, à cause du gaz, BLAMMMO ! L’explosion de gaz n’est pas plus inhabituelle qu’un balcon qui s’effondre mais, tant que ça se passe loin, cela ne nous empêche pas de dormir. Aussi, en quoi devrions-nous être plus effrayés d’un mini-réacteur nucléaire enfermé dans son monticule de 900 tonnes que d’un voisin qui a décidé d’en finir au feu d’artifice ?
C’est vrai, si elles sont rares, les explosions des centrales nucléaires sont dévastatrices. Justement : réduisez la taille de l’équipement, vous réduisez le risque. En tout cas, pas un seul porte-avions ou sous-marin à propulsion nucléaire ne nous a encore pété à la figure…
D’autant que le gigantisme a ses propres limites, voyez les dinosaures et, plus récemment, Airbus qui abandonne l’A380, un mastodonte qui ne tombe plus sous le sens. Alors Pourquoi continuer à construire de grosses centrales nucléaires qui rivalisent en quantité de kilowatt/heure produits pour alimenter une ville entière quand avec quatre ou cinq petits réacteurs – 10 m de haut, 10 m de diamètre – Aix-en-Provence ne s’éteint plus ? Le tout sans rejet de CO², sans barrages intempestifs sur toutes nos rivières, sans éoliennes aussi disgracieuse que des centrales nucléaires.
Voyons. Sous la houlette d’EDF, qui effectue à ce sujet des recherches depuis au moins 2015, TechnicAtome, au sein d’un partenariat français soutenu par l’Etat, a annoncé en avril 2019 développer un petit réacteur modulaire (ou Small Modular Reactor – SMR) dont la technologie est d’ailleurs tout droit issue de celle des sous-marins nucléaires.
Selon TechnicAtome, citée par la Revue Générale nucléaire (avril 2019), l’objectif de ce futur SMR est « qu’il soit facile à fabriquer, grâce à un design simplifié, tant dans son architecture générale que dans la conception de ses composants ; et facile à assembler, du fait de sa conception modulaire, sa compacité et son architecture intégrée ». Construit en trois ans promet l’entreprise !
Alors, dans moins de dix ans, un mini-mini-réacteur, de la taille d’un téléphone, dans un cylindre de 10 cm de diamètre pour 10 cm de haut et ne pesant pas plus de 9 kg pour équiper les maisons individuelles en secteur diffus ou les cabanes dans les bois ?
Et personne n’en parle ?
Voyons ce dont on parle plus sérieusement, six mois plus tard à peine. En novembre 2019 donc, et la presse en fait grand cas, EDF dévoile son programme de construction de six nouveaux réacteurs EPR dans les quinze prochaines années. Coût de la douloureuse ? Au moins 46 milliards d’euros. Au moins… Et qui construit les EPR d’EDF ? Notre champion du monde national, Bouygues, qui en plus s’y prend comme un manche si l’on en juge par les retards et malfaçons qui signent ses programmes ici et à l’étranger (avec notre technologie, cela fait d’ailleurs longtemps que les Chinois les ont construits, leurs EPR).
Quoi qu’il en soit, pour qui que ce soit, il est certain en tout cas qu’une enveloppe à 46 Md€ sur 15 ou 20 ans, ça le fait bien, tout à fait bien même. Si une telle rente permet de voir venir, il ne faudrait pas cependant se convaincre qu’en lieu d’énormes centrales moches, onéreuses et compliquées, des petits équipements de proximité de 10 mètres de haut suffisent à l’affaire.
Parce que, vraiment, si sur ces 46 Md€ seulement 10 étaient consacrés au développement d’un mini-SMR, dont TechnicAtome nous dit qu’un prototype sera prêt en trois ans à peine, combien de temps faudrait-il à nos ingénieurs et architectes pour l’insérer dans les bâtiments intelligents du futur et régler définitivement et pour longtemps le problème de l’énergie nécessaire à nos véhicules et à l’éclairage, le chauffage, le rafraîchissement de nos logements et de nos villes ? Même plus besoin de Linky !
Certes.
Il est cependant permis d’imaginer que quand le patron de Bouygues prend son téléphone, les présidents français décrochent ; Nicolas Sarkozy ne disait-il pas qu’il considérait Martin Bouygues comme « un frère » ? Bon, sans liens familiaux, Emmanuel Macron décroche aussi vite, idem François Hollande et Jacques Chirac avant lui.
Pour le coup, Bouygues n’a d’évidence aucun intérêt à lâcher un marché pharaonique à 46 milliards pour qu’une kyrielle de petites sociétés spécialisées viennent en circuit court lui retirer cet épais matelas de sous les pieds.
Il faut croire que Martin Bouygues a su se montrer convaincant.
En attendant le vrai jour d’après, va donc pour la construction de six nouveaux EPR sans fioritures.
Christophe Leray
*En savoir plus – Claude Parent : l’architecte du nucléaire, in Revue générale nucléaire