La course à la Lune s’est désormais intensifiée sur l’échiquier géopolitique international. Le satellite est désormais un terrain prospectif car d’aucuns pensent que la vie spatiale est possible à un horizon pas si lointain. Des architectes seraient-ils enfin dans le coup pour accompagner les ambitions mondiales pour le meilleur et pour le pire ?
Alors que l’espace est déjà sujet à une colonisation terrifiante issue des GAFAM, la Lune semble être le dernier eldorado des ultra-riches mégalos. En témoigne la startup américaine Muon Space qui, adoubée par la NASA, cherche à lancer une flotte d’engins afin de récolter toujours plus de données pour lutter contre la montée des océans. Surtout, chercheurs, entrepreneurs et ONG y voient un outil fructueux pour orienter l’action climatique des politiques internationales.
Alors que la Terre s’essouffle et que la géopolitique mondiale se perd en circonvolutions stériles de type COP27 et autres G20 bien polis, d’autres n’ont plus qu’un objectif : la délocalisation sur la Lune de l’humanité. Rien de moins.
En 2022, avec les missions Orion (USA) et Longue Marche 9 (Chine), les grandes puissances publiques et privées visent de nouveau la Lune. Grâce à la station spatiale internationale (ISS), dont le financement est à la peine, et à la bonne entente entre les USA et l’Europe, les hommes peuvent désormais imaginer une présence pérenne sur la Lune, laquelle devient de facto un terrain d’expérimentation nouveau pour la vie future.
Après avoir complètement assoiffé la terre en s’entêtant à concevoir dans le désert des stades surclimatisés, il était temps de prendre la mesure de la fameuse « finitude » des ressources. Mais au lieu de se retrousser les manches diplomatiques, les entreprises et start-ups préfèrent délaisser la Terre-mère pour s’approprier sans grands atermoiements les ressources, encore mal perçues du reste, de notre satellite naturel. Charité bien ordonnée est donc déjà à l’œuvre, notamment avec en ligne de mire une nouvelle guerre de l’eau, au pôle Sud de la lune.
L’anticipation qui manque parfois aux dirigeants rend ici les scenarii de Christopher Nolan (Interstellar) plus que plausibles. Située à quelques jours de voyage et finalement toute proche, la nouvelle annexe de la Terre doit désormais permettre de tester de nouvelles façons d’habiter, de travailler, d’exploiter les ressources, voire même d’y naître et d’y mourir ! De Terrien à Sélénite, il n’y aurait donc plus qu’un pas !
« Nouveaux temps, nouveaux enjeux, la Lune sera aussi l’occasion d’adapter ces techniques à un monde où les impératifs de durabilité et de responsabilité sont incontournables – voire un passage obligé pour une exploration spatiale et lunaire consciente d’elle-même. La Lune est un terrain d’essai d’un mieux explorer l’espace », expliquait en mars 2022, la scientifique, spationaute et femme politique Claudie Haigneré dans une tribune parue en 2022*.
Les puissances politiques, via les agences spatiales dont les financements sont fragilisés, ont un peu de mal à concrétiser les projets mais qu’importe, des acteurs privés pleins d’ambitions lunaires visent déjà le développement d’activités industrielles extraterrestres et poussent à la manœuvre. La NASA, accompagnée des Majors de la tech alunira avec Artémis d’ici peu, servant intérêts politiques et industriels. SpaceX devrait même réaliser l’alunisseur américain. Pendant ce temps-là, la Chine s’intéresse au pôle Sud de la Lune, stratégique au regard des ressources en eau du satellite, grâce au lanceur Longue Marche 9, qui ne devrait cependant pas s’envoler avant 2030. A l’échelle spatiale, c’est demain.
Au-delà de cette course effrayante à l’ordre mondial jusque dans l’espace, la Lune offre des opportunités sociales en apportant de nouveaux défis mondiaux et une nouvelle confiance en l’avenir.
Jusque-là, les architectes s’étaient peu lancés dans cet objectif Lune. Peut-être sont-ils trop terre à terre ? Foster & Partner s’est approprié le sujet dès 2013 quand l’agence a développé l’idée très sérieuse de construire sur la Lune, pour l’agence spatiale européenne (ESA), quatre logements conçus en 3D et en partie avec un matériau satellitaire : le régolite. Une référence qui a permis à Foster & Partner de remporter en 2017 un concours d’idées lancé par la NASA pour concevoir une station lunaire ** .
Avec la NASA également, l’agence danoise BIG s’est aussi frottée en 2020, en équipe avec les startup et entreprise SEArch+ et ICON, au défi complexe de concevoir des logements sur la Lune, : « Project Olympus. Surface : 195,5 m². Lieu : Lune ». Il s’agit de la seconde tentative de BIG qui avait déjà travaillé en 2017 sur le projet « Mars Science City » financé par les Émirats Arabes Unis, dont l’objet était de concevoir une ville de 176 000 m². Mars avec du sable du désert de Dubaï en somme. Si des tests ont actuellement lieu dans le désert, pas de livraison prévue avant 2117.
Le dernier projet en date a pour ambition d’aller plus haut, plus loin, plus rapidement puisque des architectes japonais de l’université de Kyoto, associés à l’entreprise Kajima Corporation, entendent construire des habitats pérennes sur la Lune d’ici 2050.
En juillet 2022, ces architectes ont dévoilé les plans de construction d’une « résidence à gravité artificielle », une tour de 400 mètres qui pourrait être édifiée sur la Lune ou sur Mars. « The Glass », c’est son nom, est « conçue pour effectuer une rotation complète toutes les 20 secondes », utilisant la force centrifuge pour recréer la gravité.
A la lecture des différents relais de la conférence de presse, les architectes promettent la possibilité de vie totale sur la Lune dès le milieu du XXIème siècle. The Glass, encore aujourd’hui focalisé sur les aspects techniques et technologiques, n’en propose pas moins une réflexion sur les systèmes humains – politique, habillement, nourriture, etc. – amenés à se développer en zone extraterrestre.
Le logement n’est évidemment pas le seul élément à faire l’objet de propositions abracadabrantesques. Toujours en 2022, la startup américaine Lonestar Data Holdings a dévoilé ses plans pour installer des datacenters sur la Lune. Pour le fondateur et PDG de l’entreprise, Christopher Stott, il s’agit de mettre en sécurité de précieuses données menacées sur Terre de risques accrus de destruction.
Que racontent tous ces projets dont aucun n’est concret ? Peut-être que, plutôt que de se préoccuper de l’adaptation à des changements pourtant inéluctables ici sur Terre et loin de chercher des solutions à moyens et longs termes, les puissants de ce monde préfèrent, au nom de la recherche, aller pourrir un autre astre.
Il serait bien naïf de croire que ces villages interstellaires seront accessibles à tous ou offriraient une solution salutaire aux populations terrestres dont l’habitat voire la survie sont menacés. D’autant que les experts des start-ups et des agences spatiales sont bien peu à expliquer quel modèle politique et social pourra être exporté dans la stratosphère tant sont nombreux ceux qui comptent s’approprier ce nouvel espace.
Léa Muller
* Lire la tribune de la spationaute Claudie Haigneré publiée sur le site Usbek et Rica le 17 mars 2022 : Viser la lune, une étape incontournable avant Mars !
** Lire aussi De la Terre à la Lune avec Foster + Partners