Le samedi 5 mars 2016, ‘Paris a inauguré la nouvelle église orthodoxe russe’* du quai Branly en présence du vice-Premier ministre russe. Inauguration est un grand mot dû sans doute à la présence du vice-Premier ministre. En effet, la véritable inauguration aura lieu en octobre, ce pourquoi sans doute les officiels laïcs et religieux français ne se sont pas pressés, mais inauguration tout de même.
En réalité, il ne s’agissait que de la pose ce samedi du dôme central – neuf tonnes, 12 mètres de haut, 11 de diamètre – que son architecte, Jean-Michel Wilmotte, décrit comme d’un «phare urbain dans le paysage parisien». Il y aura cinq dômes en tout, chacun orné à la feuille d’or, celui-ci étant le plus spectaculaire et le premier à être mis en œuvre. Le maître d’ouvrage ? Vladimir Poutine lui-même. Force est de constater qu’à Paris, lui au moins ‘gets things done’.
Rappelons que le principe d’un futur centre orthodoxe russe à Paris avait été scellé dès 2007 lorsque Nicolas Sarkozy, président de la République laïque fraîchement élu, avait reçu le Patriarche Alexis II. Le premier avait alors relevé «l’importance du renouveau spirituel en Russie et le rôle que joue l’Église orthodoxe russe dans la reconstruction de la société russe».
En 2009, la Russie avait ainsi emporté au nez du Canada et à la barbe de l’Arabie Saoudite ce terrain mis en vente par l’Etat : 4 200 m² quai Branly à Paris, sur l’ancien siège de Météo France, à deux pas de la tour Eiffel. Des m² de premier ordre sur lesquels le Kremlin décidait bientôt de construire un ‘centre spirituel et culturel orthodoxe’.
Notez l’ambiguïté tant, dans la Russie renaissante de Poutine, la religion tient une grande place, comme partout ailleurs dans le monde apparemment ces temps-ci. Toujours est-il que sept ans à peine après l’achat du terrain, la nouvelle église orthodoxe, ainsi que les Russes nomment l’ouvrage, est quasi livrée. Par quel miracle ?
Ce n’est pas comme si la France ne lui avait pas mis des bâtons dans les roues à Poutine. Il croyait pourtant bien faire les choses en organisant un concours international. Mais quand Bertrand Delanoë, maire de la capitale, en vit les résultats, il grimpa aux rideaux de l’hôtel de ville ; «une parodie», dit-il. Il est vrai que le projet lauréat de l’architecte espagnol d’origine russe Manuel Nunez Yanowski ne prévoyait rien moins qu’une «immense canopée de verre», et que les canopées, il commençait à se méfier Bertrand Delanoë. Toujours est-il que le 16 novembre 2012, une réunion de crise est organisée à l’Elysée entre représentants de l’ambassade russe, des ministères de la Culture et des Affaires étrangères.
En février 2013 Poutine, magnanime, a bien voulu que le maire de Paris ne perde pas la face. Va pour Jean-Michel Wilmotte donc, deuxième du concours (Frédéric Borel complétait le podium). Un chantier rondement et discrètement mené et, trois ans plus tard, le vice-Premier ministre russe « inaugure » donc un sacré centre culturel orthodoxe.
Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, voici la description du lieu par Russia Today* : «L’église de la Sainte Trinité combine les traditions de l’architecture orthodoxe russe avec des éléments d’architecture moderne. Le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Cyrille a participé de manière directe au développement du projet qui a été également approuvé par les présidents russe et français».
En clair, ce centre est peut-être culturel, pourquoi pas, mais, sans aucun doute, c’est bien une église, son église, que Poutine a plantée en plein cœur de Paris. A lui l’église, aux princes saoudiens la Légion d’honneur puisque l’actualité se télescope. Il est vrai que cela est sans doute plus facile pour un président français que l’inverse. A Poutine la médaille, au quai Branly la mosquée ? Vous imaginez le raffut… Heureusement que le Qatar, grand ami de l’ex-président français, a préféré la Coupe du monde ; sinon c’était une tour en forme de croissant à cet endroit du quai Branly ?
Toujours est-il que, en bon apparatchik, Poutine connaît ses classiques : l’architecture est une démonstration de pouvoir et, quant à lui, normes ou pas normes, France ou pas France, il n’a pas laissé les choses traîner ; le bâtiment qu’il a voulu est construit et il sera encore au pouvoir pour l’inaugurer vraiment en octobre 2016, l’occasion pour lui sans doute d’un fier séjour à Paris tout en culture et spiritualité.
«Pour Moscou, il s’agit surtout de favoriser le rayonnement de la Russie comme un acteur majeur dans le paysage orthodoxe français, qui compte environ 500 000 fidèles», indique d’ailleurs l’article de Russia Today.
C’est marrant, nul recours n’y a rien fait sur ce coup-là et, dans 200 ou 300 ans, Poutine sera mort depuis longtemps que ses icônes seront encore visibles à l’église orthodoxe russe fichée dans le cœur de Paris.
Christophe Leray
*Paris inaugure la nouvelle église orthodoxe russe du quai Branly, dépêche non signée parue dans Russia Today le 19 mars 2016