Le thème de la biennale de Caen en 2016 est ‘In situ – (Re)construire la ville sur mesure’, et c’est le projet de la presqu’île de Caen qui donne à voir comment la ville, «sur ce territoire immense», a fait le pari de se reconstruire sur elle–même, sur mesure ou presque grâce à la subtilité du plan guide de MVRDV. Le projet propose notamment la construction de 7000 logements mais ce sont les équipements et le paysage qui sont construits en premier. Découverte.
Ce projet d’intérêt majeur (ou P.I.M., un dispositif créé par la loi ALUR en 2014) sur les communes de Caen, Hérouville et Mondeville, entend se développer sur plus de 300 hectares (voire dans un futur encore indéterminé jusqu’à la mer sur 15 communes). Le territoire de la presqu’île est occupé par des entrepôts, des ateliers, une minoterie, des friches industrielles entre le canal et l’Orne.
C’est la municipalité précédente, une alliance PS-PC, qui a initié le projet. Suite à l’alternance issue des municipales de 2014, «après un moment d’hésitation», la nouvelle équipe, issue de la droite et du centre, a repris le chantier, si l’on peut l’écrire ainsi, à son compte et le défend désormais non sans une certaine fierté. Il convient donc de saluer ici la continuité républicaine des élus de Caen en ce domaine, les alternances nous ayant plutôt habitué à l’arrêt des chantiers que l’inverse.
A noter d’ailleurs que Philippe Duron, l’ancien maire, avait eu la sagesse de s’adjoindre l’expertise de l’architecte Vincent Sabatier, qui fut longtemps architecte conseil et qui, miracle, possède une maison à 25 km. Plus intéressant encore, le nouveau maire a conservé l’homme de l’art dans la même fonction, preuve s’il en est que le projet garde toute sa cohérence et que les édiles de cette ville – pourtant béotiens en matière d’urbanisme, surtout à cette échelle – s’inscrivent dans la continuité du temps long, quarante ans minimum pour tout dire.
De fait, nombre des acteurs de ce projet rappellent souvent, avec une pointe de regret parfois, «que le projet continuera bien longtemps après qu’ils ne seront plus là». Nonobstant les différents politiques qui existent sans doute par ailleurs, au moins dans ce domaine de l’urbanisme, avec des élus pareils, les architectes peuvent travailler.
En tout cas ils travaillent et les équipements sont, au fil du temps, déjà construits. Sur la pointe de la presqu’île, la plus proche du centre, se trouvent désormais notamment l’ESAM de Studio Milou, la MRI de l’agence Bruther, un Palais de Justice signé Hauvette livré en 2015 par l’Atelier Champenois, enfin la bibliothèque de Rem Koolhaas qui sent encore la peinture. Ce dernier ouvrage, parmi la collection d’objets, a fini par faire s’interroger les habitants. Trop de Kolhaas tue OMA ?
Sonia de la Prôvoté, première adjointe de la ville du Caen chargée de l’urbanisme, de l’habitat et du renouvellement urbain, assume avec le sourire. «Ces bâtiments ont eu un effet déclencheur et les Caennais reviennent sur la presqu’île», dit-elle. C’est vrai. Et la chaleur de l’accueil à la MRI témoigne que les premiers usagers de ce nouvel espace urbain n’ont pas l’impression d’investir un no man’s land, même si la vaste friche est encore aussi un lieu de prostitution et un refuge temporaire aux migrants et autres individus hors-cadre.
Mais avant Koolhaas, un premier déclencheur a été en juillet 2005 le classement par l’UNESCO du centre du Havre au patrimoine mondial de l’humanité. Caen, également reconstruite après la seconde guerre mondiale et les destructions des bombardements alliés – un traumatisme –, a dû alors faire preuve d’introspection et s’interroger sur son propre centre-ville. Le Havre avait fait le choix de Perret, Caen a préféré rechercher l’esprit du lieu avec la pierre de Caen et les toits en ardoise. L’ordonnancement du centre et les bâtiments sont tous issus des crédos moderniste de l’époque mais c’est comme si un petit-fils légitime du baron Haussmann avait défini les règles d’urbanisme et la ville peut s’honorer d’une vraie spécificité, soulignée plus encore par les gabarits et hauteurs constantes du bâti du centre-ville. D’ailleurs, Caen est la seule ville comme Paris à posséder un service municipal des carrières pour surveiller le sous-sol.
Surtout les bâtiments dans leur ensemble, considérant l’urgence dans laquelle ils ont été construits, soutiennent l’épreuve du temps admirablement bien. Ainsi que d’ailleurs la composition des verticalités qui répond à l’horizontalité du port, du canal, des quais et du paysage jusqu’à la mer. En plus, il n’y a rien de balnéaire dans l’architecture – ce n’est pas Royan – ce qui renforce l’aspect très urbain du centre.
Bref, si la ville a peu à peu perdu son attractivité malgré toutes ses qualités – proximité avec la mer et le bocage environnant -, ce n’est pas à cause d’un quelconque délitement urbain mais plutôt parce que la ‘ville nouvelle’ – ce qu’elle fut dans tous les sens du terme lors de la reconstruction – ne l’est plus, nouvelle.
En témoigne le ‘nouveau bassin’, c’est son nom, entre le bassin de plaisance Saint-Pierre et le viaduc de Calix. Lui non plus, construit en 1922, n’est plus nouveau. Il s’agit d’un bassin de déchargement sur le canal, aux portes du centre-ville, dont les quais étaient voués à l’industrie. Puis l’industrie s’est délitée et ces quais furent peu à peu désactivés. A l’occasion du 70ème anniversaire de la libération, la ville est parvenue à convaincre quelques croisiéristes de remonter le canal de la mer jusqu’au nouveau bassin et d’amener ainsi les touristes quasi en centre-ville. Depuis, de plus en plus d’entreprises nautiques s’y installent, le club de voile y a son adresse et cinq ou six paquebots y accostent chaque année.
Certes il n’est pas question ici du Costa Concordia mais de navires, souvent haut de gamme, avec une jauge de 450 à 600 passagers. Certes tout reste à faire mais il est permis d’imaginer, le temps aidant, que le nouveau bassin retrouve en effet une véritable nouveauté avec tous les services nécessaires à l’accueil des croisiéristes, à l’efficacité des chantiers navals et aux loisirs des Caennais en général et des futurs résidents de la presqu’île en particulier. Après tout, avec ses 30 000 étudiants, Caen est une ville animée ; il suffit pour s’en convaincre d’aller se promener à la nuit tombée quai Vendeuvre ou rue Ecuyère ou au Vaugueux. Et Caen a déjà un port de plaisance. Le nouveau bassin sera donc bientôt à nouveau une destination.
Cela dit, cela va prendre du temps et après quelques jours à discuter avec ses habitants, surtout les plus âgés, il est clair que les Caennais ne seraient pas malheureux, après avoir été ‘déclenchés’, de retrouver sur cette presqu’île en mutation un peu de la spécificité caennaise qui leur importe tant. A en juger par la facture résolument contemporaine des équipements déjà construits, le pastiche ne sera pas de mise. Retrouver cette spécificité tout en se projetant dans l’avenir sera l’un des défis posés aux architectes du site.
C’est MVRDV qui, en s’appuyant sur la double proximité avec la mer et avec le centre-ville, a élaboré le plan guide de la presqu’île.* Se projetant dans le temps long, la subtilité de la proposition de l’agence néerlandaise a été de concevoir une méthodologie plus qu’une composition urbaine prédéfinie et figée. En témoigne le nom donné au projet – La grande Mosaïque. Du coup, la méthode peut s’appliquer au-delà du premier périmètre de la presqu’île et MVRDV a élargi sa recherche sur un espace de 600 hectares, le double de celui qui commence à peine à être mis en œuvre. Ce faisant, Winy Maas laisse toute leur responsabilité aux élus, puis aux architectes, de développer le site en fonction des besoins actuels et futurs.
Parmi les pistes indiquées, notons une «mobilité alternative à la voiture», l’occasion d’apprendre que la distance maximum de confort d’un résident de son parking à chez lui est de 120m environ, mais aussi la volonté de conserver des activités sur le site, fut-elle industrielle. C’est le cas de l’immense minoterie, toujours active. Le blé vient de loin pour être transformé en farine, c’est donc par exemple un ballet incessant de camions mais la minoterie sera conservée telle quelle, avec sa bruyante activité pour au moins une dizaine d’années encore. Notons enfin que des bâtiments tertiaires viendront également sans doute s’insérer dans la mosaïque de MVRDV.
Sans savoir encore qui habitera là, la promenade des berges du canal est déjà réalisée, les arbres plantés, les estacades d’Inessa Hansch semblent avoir toujours été là. Une piste cyclable en site propre permet d’ores et déjà de rejoindre la mer, à dix kilomètres seulement. Le site est/était pollué, rien n’y aurait jamais poussé mais les paysages de Michel Desvigne sont la preuve d’un site vivant en pleine renaissance. Rien de naturel pourtant sur cette presqu’île, c’est bien d’une véritable création sur mesure qu’il s’agit. C’est peut-être justement le meilleur atout de son succès.
Christophe Leray
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