La tension monte entre Dubois, architecte et tueur en série, et Ethel Hazel, sa psychanalyste, tous deux s’interrogeant sur la notion de désir, y compris l’un pour l’autre. Dr. Nut fait une incursion dans le royaume des morts, Aïda rentre dans l’intimité de Gina.
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« La répétition en architecture, c’est la mort, car avec elle il n’y a plus de désir ».
Alain Sarfati
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Ses notes ouvertes devant elle, Ethel Hazel est nerveuse en attendant Dubois, son esprit agité par des pensées qui se bousculent. Réfléchissant au phénomène de transfert, en relisant la littérature, elle s’est fatiguée des périphrases et des références molles, comme « l’affectivité » par exemple. Qu’est-ce donc que l’affectivité, terme imprécis s’il en est ? « Autant directement parler du désir, du désir sexuel surtout », se dit-elle, se demandant une fois de plus dans quelle direction allait ce transfert et si ce n’est pas elle qui à nouveau se retrouve perplexe devant ses propres désirs. Cette réflexion sur le désir l’a amenée à la fiction, c’est-à-dire les fantasmes, propres à chacun, qui ne sont rien d’autre, pour citer l’un de ses profs, « qu’un mode de satisfaction hallucinatoire du désir », ce que chacun comprend aisément. Cette réflexion fut un choc : et si Dr. Nut avait tort ? Et si, comme tous ses autres patients finalement, Dubois ne lui racontait depuis toutes ces années qu’une série de fantasmes ? La preuve, il ne l’a pas tuée, elle ! A-t-il même tué quiconque puisqu’on ne retrouve jamais les corps ? Et si même ses semi-aveux n’étaient qu’éléments d’une fiction élaborée dans ses moindres détails, un rêve qu’il se serait construit ? Et si Dubois n’était qu’un affabulateur qui aurait fini par croire en ses propres histoires ? Cette pensée la laisse désemparée. Et puis, sa décision est prise de revoir l’architecte, chez elle, bientôt, car l’attente et l’excitation constante qu’elle provoque deviennent insupportables et cela rajoute à sa nervosité aujourd’hui. Au moins, elle en aura peut-être ainsi le cœur net.
Ding Dong
Dubois entre bientôt, souriant, apparemment heureux d’être là et après quelques mots à propos du temps maussade, est bientôt installé, donnant comme d’habitude cette impression d’être parfaitement confortable.
E.H. (sans autres préliminaires, la voix ferme) – Sauriez-vous définir votre propre objet du désir, votre désir le plus cher ?
L’architecte (dont l’esprit s’est instantanément empli de milles images, la plupart positives, prend le temps de s’attarder sur quelques-unes… Passer en revue ses désirs, il pourrait y passer beaucoup de temps maintenant qu’il y pense. Souriant) – Avoir un seul désir, comment est-ce possible ? D’ailleurs, selon moi, dès la première expérience d’une satisfaction quelconque apparaît nécessairement l’expérience de la perte.
E.H. (surprise) – C’est vrai. Quand Freud parle de désir, il souligne que la structure même du désir interdit concrètement de ne jamais trouver l’objet adéquat qui puisse satisfaire le sujet une fois pour toutes. Ainsi l’homme serait condamné à chercher toujours autre chose de nouveau, la surprise et l’étonnement acquis au prix d’une insatisfaction perpétuelle, parfois tragique.
L’architecte – C’est exactement ce que je ressens chaque jour dans mon métier. Il n’existe pas un architecte qui ne soit jamais complètement satisfait de son bâtiment, d’ailleurs il découvre toujours trop tard ce qu’il aurait pu faire mieux, moins cher, plus vite. Il pense au début que ces erreurs lui serviront pour le projet suivant, c’est vrai dans un sens mais la réalité est que le projet suivant est différent et que de nouvelles règles doivent être inventées et ce n’est que plus tard, trop tard, qu’il découvre de nouvelles erreurs, etc. Mais je comprends ce que vous voulez dire, c’est vrai qu’il y a des architectes boulimiques, qui ne peuvent pas s’empêcher de prendre tout ce qui passe à leur portée, qui se goinfrent, qui montrent leurs réussites et cachent les objets ratés, ces derniers entretenant d’ailleurs la frustration et la boulimie. Il y en a d’autres qui sont obsédés, ou habités si vous préférez, par la forme de l’objet de leur désir. Ceux-là construisent peu mais avec une attention maniaque et souvent avec grand talent, même si pas toujours bien compris par les gens, les maîtres d’ouvrage et leurs confrères et consœurs. Mais même eux trouveront encore sans doute à redire longtemps après la livraison de leur bâtiment ; l’architecte romain du Pont du Gard, à le découvrir aujourd’hui, serait sans doute bien marri que son ouvrage n’ait pas mieux résisté à 2 000 ans d’histoire. Sinon, la plupart des architectes font comme moi, du mieux qu’ils peuvent, et s’ils sont sincères, même si comme vous le dites, le désir est à jamais insatisfait, ils construisent les projets qu’on leur confie et regardent les autres construire les concours qu’ils ont perdus. Alors oui, le feu du désir est sans cesse renouvelé, par nature. Seule la vieillesse, et encore, vient émousser le désir. La preuve, savez-vous pourquoi les architectes ne meurent jamais ?
E.H. (irritée, une fois de plus, elle ne parvient pas à maîtriser la discussion) – Non mais vous allez me le dire…
L’architecte (surpris par le ton cassant) – Parce qu’il a toujours un bâtiment à finir…
Mais la blague tombe à plat et un silence s’installe. C’est Dubois qui le rompt en premier.
L’architecte – Si vous y tenez, je vais vous parler d’un désir profond qui me laissera à jamais insatisfait car je cherche encore la solution : c’est l’envie de partager mon enthousiasme et l’amour de mon métier avec le plus grand nombre. Pas en tant qu’enseignant à des étudiants, non, partager mon métier avec les gens, comme un cinéaste réunit des spectateurs, par millions parfois, qui vont rire ou pleurer ensemble autour de son œuvre, même parfois longtemps après sa mort. Comment susciter un tel intérêt, le fameux « désir d’architecture » ? Comment partager ce qui me passionne ? Tenez, c’est quoi l’architecture pour vous ? Le Mont Saint-Michel, Notre-Dame, mais encore ? D’autres vieilles pierres, d’autres concepts, souvent bourgeois, éculés et poussiéreux ? la beauté des chants grégoriens ? C’est ça l’architecture pour vous ? (soudain animé) Vous ne vous en rendez pas compte mais le désir des architectes, c’est le désir du monde !
E.H. (abasourdie, le désir du monde, ce n’était pas dans ses cours) – Le désir du monde ?
L’architecte – Évidemment car les architectes exercent une influence sur le monde et donc ils exercent une influence sur les gens. Ils sont censés se préoccuper des gens du monde, les gens qui habitent le monde je veux dire, y compris d’ailleurs « les gens du monde »…
E.H. – Parce que ce n’est pas le cas ?
L’architecte – Tenez, par exemple, Le Corbusier, un architecte célèbre, adulé par certains, a édifié quatre maisons qui sont autant de chefs-d’œuvre. Or aucune de ces maisons, très belles par ailleurs, n’est habitée : pourquoi ? D’ordinaire, nos interlocuteurs sont toujours les mêmes : ingénieurs des bureaux d’études, éventuellement un ou une architecte associés, le maître d’ouvrage public ou privé et ses représentants, les chefs de projets des chantiers, les compagnons des entreprises, etc. Mais mis à part quelques riches clients ponctuels, la réalité est que je ne rencontre jamais les gens pour lesquels je construis, ou très peu, et ceux que j’ai rencontrés dernièrement, ils sont déjà morts, ou mortes d’ailleurs.
E.H. (décontenancée) – Pourquoi dites-vous cela ?
L’architecte – Parce que je suis passé à la morgue de Paris, vous vous souvenez de ce projet ?
E.H. – Oui, bien sûr, vous en avez souvent parlé. Et pourquoi y êtes-vous passé ? *
L’architecte – Parce que le projet est livré depuis peu et que je suis passé voir si tout fonctionnait bien, et puis pour voir comment une morgue fonctionnait tout court. Depuis le temps, tout le monde là-bas connaît « Monsieur l’architecte ». Les médecins légistes, qui étaient prévenus de ma venue, et avaient fait « le ménage » avant mon arrivée, m’ont-ils dit, sont ravis du projet ; on a même trinqué autour de deux bouteilles de champagne, la mienne et la leur, pour célébrer la fin de cette aventure. La « façade » du labo, si je peux me permettre, est en effet assez incroyable ; on dirait un immeuble de logement parisien en miniature, chaque tiroir ressemblant à une fenêtre avec balcon, toutes les parois intérieures de chaque « appartement » brillant de centaines d’étoiles. « Même si les morts ne les voient pas, puisque de toute façon ils sont dans un sac mortuaire, nous nous les voyons ces étoiles et cela nous donne, à nous, le sentiment que les morts sont plus heureux ainsi », m’a dit un médecin. « C’est exactement ce que j’espérais, la tête dans les étoiles, ce qui sied à quelqu’un de décédé », je leur ai dit et tout le monde a rigolé ; ils connaissent mon discours depuis le temps et même s’ils n’y croient guère, il les fait rêver. Bref, pour le coup, ils m’ont présenté les locataires, peu bavards les locataires, quatre hommes et une femme, mais au moins j’ai pu les rencontrer.
E.H. (tendue, laisse à nouveau la blague tomber à plat) – Je pensais à un autre désir, plus charnel. Pourquoi refusez-vous d’en parler ?
L’architecte (joyeusement) – Mais je ne refuse pas d’en parler. Je vous l’ai dit tout à l’heure, moi-même je ne peux pas en faire la somme de mes désirs, même charnels comme vous dites, ils sont trop nombreux. D’ailleurs, si je ne m’abuse, selon Épicure, je cite de mémoire excusez-moi, « les désirs naturels sont nécessaires au bonheur ».
E.H. (sceptique) – Vous êtes sûr de votre citation ?
L’architecte (toujours joyeux) – Non, je ne me souviens pas des détails mais je me souviens qu’Épicure avait classifié les six grands désirs qui animent les hommes. Attendez voir si je m’en souviens, je les avais appris par cœur.
E.H. (qui frémit, la liste faisait partie de ses cours ; que sait vraiment Dubois, est-il encore en train d’affabuler ?) – Je vous écoute.
L’architecte (qui presque chantonne) – Voyons, il y a le désir de nourriture, soit la gourmandise ; le désir de la chair, la luxure et la concupiscence ; le désir de l’argent, la cupidité ; le désir du pouvoir, l’envie et… et… Ha, j’ai failli oublier, le désir des honneurs, c’est-à-dire l’orgueil, sans doute le désir le plus désiré des architectes !!! Vous noterez quand même que les désirs d’Épicure correspondent pratiquement aux péchés capitaux des chrétiens. Vous n’avez pas l’intention de me faire la morale n’est-ce pas ? D’autant que je mange peu, que je ne suis ni cupide ni désireux d’un quelconque pouvoir et, quant au désir de chair, j’aime finalement penser que je n’en use qu’avec circonspection ; pour autant, ce désir présente une permanence et c’est sa durabilité́ qui devient justement une sorte d’immortalité́ tant je n’ai ni le pouvoir de le réaliser jamais complètement ni celui d’y renoncer.
E.H. (qui se souvient soudainement de cette conférence de l’anthropologue et philosophe René Girard à laquelle elle avait assisté pendant ses études. Il avait donné cet exemple d’enfants se disputant des jouets semblables en quantité suffisante, pour conclure que le fondement du désir n’est ni dans l’objet, ni dans le sujet, mais « qu’il est toujours imitation d’un autre désir ». Quel est cet « autre désir » de Dubois ?) – Le ou les désirs dont vous parlez ne sont qu’un leurre pour cacher un autre désir, plus profond. Quel est pour vous cet autre désir, c’est le sens de ma question ?
L’architecte – Le désir de beauté, ça compte ?
E.H. (le cœur palpitant) – Que voulez-vous dire ?
L’architecte – Si, comme vous le dites, le désir est toujours insatisfait, alors sa transformation en symbole, en totem ou en fantasme devient impérative, et le désir apparaît alors stylisé, ainsi en est-il de sa représentation, qui devient une nature morte en quelque sorte, de toute beauté, émouvante, sensible, inoubliable, presque comme un art premier. Et si, si j’en crois la morale que vous suggérez, le désir est péché, alors plutôt que de représenter l’acte sexuel, l’homme préfère représenter une pomme, qui à elle seule renvoie Ève au désir originel, car tant qu’elle était nue, tout se passait bien et pour elle accéder à la connaissance fut une catastrophe pour les siècles et les siècles ! Dans un sens, cette stylisation du désir s’exprime aussi dans l’architecture, chaque bâtiment n’étant au fond pour son auteur rien d’autre qu’une nature morte à l’échelle 1, un désir presque abouti et finalement immobile. Cela vaut donc aussi pour Adam quand on y pense puisqu’il faudra attendre Jean-Jacques Rousseau, arrêtez-moi si je me trompe, pour considérer que si à l’état de nature l’homme n’a que des besoins, c’est la proximité avec autrui, donc la nécessité de l’architecture et de l’architecte, qui fait naître l’amour-propre.
E.H. (qui comprend le symbolisme et le fantasme mais s’inquiète de ce que la notion de « nature morte » peut bien signifier pour Dubois) – L’amour-propre est…
DRINNNN, DRINNNN
Cette fois, malgré la sonnette, Ethel reste maître d’elle-même. Tandis que Dubois se lève, avant même qu’il soit déjà debout, « voyons-nous », dit-elle, avec fermeté. L’architecte marque un temps d’arrêt. « Bien », dit-il.
Il ne leur fallut que quelques minutes pour caler la date, le lieu et l’heure et l’architecte est bientôt parti.
La porte à peine fermée, Ethel ressent enfin un grand calme. Devrait-elle prévenir Dr. Nut, juste pour être sûre qu’il ne lui arrive rien ? Mais elle ne veut pas que le policier vienne mettre les pieds dans son plat, la priver peut-être de ce qu’elle cherche en elle-même. Pensant au policier, avec une sorte d’affection réalise-t-elle, elle s’interroge sur la différence entre les deux hommes, pas d’un point de vue physique mais de leur influence sur elle. Le policier ne pense qu’à la protéger, et elle craint d’étouffer avec lui, Dubois en revanche lui fait peur mais l’excite au possible et il risque bien, lui, de l’étouffer pour de bon !
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
DANS LE BUREAU DE DR. NUT, LUNDI 18H00
Attendant Aïda, Dr. Nut est taraudé par une question : doit-il lui dire qu’il a revu Dubois ? Il ne s’y attendait pas mais c’est comme si leurs destins étaient liés. Samedi dernier – un samedi ! – désœuvré, il eut l’idée d’aller faire un tour à la morgue. Il savait que Dubois était l’architecte du projet de rénovation des labos et du bâtiment, il y était passé il y a quelques années pour en savoir plus, sans rien apprendre de concluant, sinon que l’institut médico-légal de Paris avait ouvert en 1923 et qu’il avait grand besoin d’une rénovation, les médecins légistes bossant dans des locaux d’un autre siècle. Mais là il était curieux, non seulement de voir où en était le projet de l’architecte mais aussi de discuter avec les médecins de cette question de la conservation des corps, peut-être de leur parler de Gina**, voir s’ils avaient une idée ou le début d’une explication. Et puis de toute façon, il n’avait rien d’autre à faire et il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre depuis la Courneuve la place Mazas à Paris. Les fonctionnaires le laissèrent facilement passer même s’ils ne le connaissaient pas, d’ailleurs lui ne les connaissait plus. D’habitude, ce sont désormais les gars de son équipe qui se déplacent. Tiens, peut-être faudrait-il qu’Aïda y fasse un tour un jour, se dit-il. Arrivé dans les labos, au sous-sol, sa première surprise fut de découvrir cette grande salle qui ressemblait à un paysage parisien, étonnant ! Sa seconde surprise fut d’y trouver Dubois en train de boire le champagne avec l’équipe de légistes. Pendant une seconde, tout le monde s’est regardé sans comprendre, puis Dr. Nut fut obligé de se présenter, vu qu’il ne connaissait plus non plus aucun des jeunes médecins, lesquels furent heureux de lui présenter Dubois l’architecte, auteur de « cette admirable rénovation, vous devriez voir l’intérieur des tiroirs, les macchabées sont chez eux », dit l’un. « Nous nous connaissons », dit Dubois avec le sourire, en tendant une main que Dr. Nut, désemparé, fut bien obligé de serrer. Puis l’architecte s’est éclipsé, prétextant une obligation, laissant là Dr. Nut aussi surpris que les médecins du labo, mais pas pour les mêmes raisons. Bref, le policier n’avait rien appris mais voir Dubois devant lui, sans avoir été capable d’esquisser un geste ou de dire un mot à son encontre, le désole et il se sent coupable de quelque chose qu’il ne contrôle pourtant pas. En attendant, il n’a encore rien dit à personne de cette rencontre et, regardant l’heure à sa montre, il se demande s’il doit en informer Aïda.
La voilà justement qui arrive.
« Bonjour patron ! », lance-t-elle tout sourire en arrivant dans le bureau !
« Bonjour Aïda »,lui répond-il en lui rendant son sourire. « Une bière ? ».
« Non merci, pas aujourd’hui » dit-elle en s’installant en face de Dr. Nut. Elle pose sur la table la fameuse fiche technique qu’elle lui tend dans la foulée.
Le temps qu’il revienne, elle est prête : « Cette semaine, je me suis concentrée sur les photos du soutien-gorge de Gina », dit-elle.
Fiche technique des vêtements portés par Gina Rossi** le jour de la découverte de son corps
Nature du produit : Soutien-gorge
Marque : Princesse Tam.Tam
Couleur : Noir
Taille : 85A
Description : Soutien-gorge en dentelle noir de forme triangle, sans armature, ni coque. Motif feuillage et bords ajourés.
Matières : approximativement 80% Polyamide – 20% Élasthanne
État du produit : Très bon état
Autres indications notables :
Tendant une photo à Dr. Nut, qui est comme toujours presque embarrassé à la vue de cette femme presque nue, Aïda poursuit. « On peut voir que Gina portait un joli soutien-gorge en dentelle fine. Une forme en triangle, sans armature ni coque, souvent un modèle adapté aux poitrines ayant besoin de peu de soutien. Les motifs sont délicats, des feuillages ou branchage au centre et des bords ajourés le long des bretelles et juste sous la poitrine sur la bande de maintien ».
« À l’arrière, accrochée finement juste à côté des agrafes une étiquette violette pliée en deux de moins d’1cm de haut. Sur le verso de l’étiquette, décelable facilement au microscope, il est écrit en blanc « Princesse ». Les photos ne permettent pas de lire le verso, mais je sais ce qu’il y a. « Tam.Tam ». C’est une marque de lingerie bien connue : Princesse Tam.Tam ».
« Oui, bien sûr »,répond Dr. Nut en hochant la tête comme s’il devait savoir ce qui se passe dans l’intimité des femmes… Il pense à la dernière fois qu’il est rentré dans une boutique de lingerie. Cela doit faire au moins dix ans, plutôt quinze même. Il venait d’être nommé inspecteur… ! Il se souvient avoir offert un ensemble à sa copine de l’époque, pour la Saint-Valentin… Chloé, elle s’appelait Chloé… Il s’est promis depuis de ne plus jamais rien acheter à une femme, surtout un vêtement. Et puis aujourd’hui, qui d’assez proche pour offrir des dessous ? Lui vient une pensée d’Ethel, qu’il chasse instantanément. Ce n’est pas le moment. Il note quand même dans son carnet le nom « Princesse Tam.Tam », sait-on jamais se dit-il….
Le voyant impassible, Aïda poursuit son exposé. « C’est un bel entre-deux pour de la lingerie, ce n’est pas une marque de luxe comme Chantal Thomas ou autre, mais c’est un beau moyen de gamme. De la fine dentelle qui reste abordable pour des femmes souhaitant se faire plaisir ou se faire désirer. Regardez comment la marque se décrit sur leur site internet « Princesse tam.tam se devait d’être une marque proactive, une marque qui n’oublie jamais ses valeurs : joie de vivre, raffinement, sensualité à la française, audace et métissage, qui font partie intégrante de son ADN ». Vous ne trouvez pas qu’on dirait qu’ils parlent de Gina ? ».
« Oui peut-être », répond le policier, rêveur, essayant de comprendre où Aïda veut en venir.
« Enfin, c’est comme ça que je l’imagine Gina. Elle est raffinée ; être habillé en noir de la tête au pied, y compris les sous-vêtements, ce n’est pas donné à tout le monde, même aux architectes. De jolies matières, foulard en soie, pull en cachemire, chaussettes en laines et lingerie en dentelle. Des vêtements près du corps, du S, qui mettent en valeur son corps gracile. 1m61, une peau très claire, presque laiteuse comme les Italiennes du Nord. Des épaules carrées bien qu’elle ne soit pas large, une petite poitrine, toute ronde, que l’on découvre désormais, ponctuée de deux tétons rose pâle. Une taille marquée sur un ventre dessiné, on aperçoit presque ses abdominaux qui contrebalancent ses hanches arrondies, quelques centimètres plus bas. De longues jambes fines. En bref, un physique élégant, gracieux, fin mais musclé, un peu comme les danseuses étoiles. Elle a peut-être d’ailleurs pratiqué la danse ? Ça lui irait bien… », explique Aïda. « Sa beauté et son élégance devaient la rendre audacieuse et faire trembler ses interlocuteurs mâles », dit-elle, songeuse à son tour.
« Une cible parfaite pour Dubois ! », soupire Dr. Nut.
« Exactement ! Attiré par sa grâce et sa sensualité (à l’italienne tout de même !), inquiété par son audace, sa rigueur et son talent… » Aïda n’a pas besoin de finir sa phrase. « Quel salaud », pense-t-elle !
Elle poursuit. « Princesse Tam.Tam est donc une marque qui correspond en tous points de vue à Gina. Il y a un tas de boutique dans Paris et en France pour diffuser ces collections. À ma connaissance, je n’en ai pas trouvé en Italie, même si je ne doute pas qu’il doit y avoir des revendeurs. En tout cas, il est bien plus probable qu’elle ait acheté ce soutien-gorge à Paris. Je n’ai pas eu trop de difficulté à repérer le modèle. J’ai commencé par regarder les archives à partir de 2018, plus besoin désormais de chercher entre 2022 et 2018. Bingo, j’ai retrouvé ce modèle sur le catalogue de la collection printemps-été 2018… Ce qui explique son parfait état sur Gina ».
« Très bien », dit Dr. Nut pensif. « Tout ça à partir d’un soutien-gorge ! ».
« On avance doucement mais on avance ! J’ai l’impression que l’étau se resserre petit à petit », répond Aïda, joyeuse.
« Oui, mais nous n’avons pas encore de preuve définitivement tangible », répond Dr. Nut en s’affaissant dans son fauteuil.
« Oui, bien sûr, mais comptez sur moi. On a presque fini de déshabiller Gina, mais il reste encore j’en suis persuadée quelques secrets à déchiffrer », affirme Aïda avec assurance.
« Dites-moi Aïda, auriez-vous encore quelques minutes à m’accorder, je voudrais vous parler de quelque chose ? », demande Dr. Nut. Lui-même n’est pas tout à fait certain encore de vouloir lui parler de sa rencontre avec Dubois ce week-end.
« Je suis vraiment navrée, je suis malheureusement attendue pour le dîner, on fête l’anniversaire de ma mère. C’est urgent ou est-ce que vous pensez que cela peut attendre quelques jours ? », demande-t-elle gênée.
« Oui bien sûr, rien ne presse. Nous en parlerons la semaine prochaine », dit-il à moitié rassuré de ne pas avoir à aborder le sujet maintenant. « Rien ne presse Aïda », répète-t-il à voix haute, pour lui-même plus que pour Aïda. Cela fait bien cinq ans maintenant que dure cette affaire, alors oui rien ne presse…
« Bonne soirée Patron », dit-elle en récupérant ses affaires.
« Oui, à bientôt Aïda ».
(À suivre)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* Lire l’épisode La morgue de l’architecte est pleine d’étoiles (Saison 4)
** Pour savoir qui était Gina Le temps qui ne passe pas vite, meilleur allié de l’architecte ? (Saison 4) et L’architecte en garde à vue – Le fantôme de Gina (Saison 5)
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