[Résumé des saisons précédentes. L’architecte Dubois, 56 ans, suit une psychanalyse depuis plus de quatre ans avec Ethel Hazel, 45 ans, psychanalyste rue Labrouste à Paris. Sans doute que ce tueur en série de blondes aux yeux bleus, comme sa thérapeute, dont on ne retrouve pas les corps, ressent un besoin pressant de confession… Pour sa part, Ethel Hazel, depuis qu’elle a couché, deux fois, avec Dubois et vécu et survécu à l’expérience de ses victimes, est de plus en plus troublée par les affres de l’homme de l’art et se verrait bien vendre son histoire à Hollywood. L’inspecteur Joachino Nutello, dit Dr. Nut, du service des disparitions inquiétantes, 50 ans, a eu avec Ethel une courte liaison qui s’est mal terminée. Avec Aïda, sa nouvelle partenaire,* il traque Dubois sans relâche depuis quatre ans mais désespère de le coincer un jour. Pour autant, la découverte à Turin en 2022 du corps de Gina Rossi, l’une des victimes de Dubois, disparue pourtant à Paris en 2018, a relancé l’enquête et forcé Dubois à s’enfuir au Brésil où l’attend sa prochaine victime : Gloria !]
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« La beauté exige en architecture la liberté, mieux : la surprise. Alors que l’angle droit sépare, divise, j’ai toujours aimé les courbes, qui sont l’essence même de la nature environnante ».
Oscar Niemeyer
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Acte – 1. Mardi, 5h00 (heure locale) – Florianopolis, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina » en français), le quotidien de l’État de Santa Catarina, un entrefilet titré : Chamada de testemunhas (Appel à témoins)
O corpo nu de uma mulher de cerca de 45 anos, loira de olhos azuis, foi encontrado em uma praia da Barra da Lagoa. Ela aparentemente morreu por afogamento e seu corpo foi levado à praia. A polícia não tem explicação e ainda não tem hipótese mas, para identificá-lo, a polícia está a convocar testemunhas. Quem puder dar informações sobre ele pode ligar para 48 4832-800. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
Le corps nu d’une femme d’environ 45 ans, blonde aux yeux bleus, a été retrouvé sur une plage de Barra da Lagoa. Elle est morte apparemment noyée et son corps aurait été rejeté sur la plage. La police n’a pas d’explication et encore aucune hypothèse mais, afin de l’identifier, la police lance un appel à témoin. Quiconque susceptible de donner des informations à son sujet peut appeler au 48 4832-800. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
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Acte 2 – Dans le bureau du chef, lundi 16h05
Dr. Nut retrouve le chef comme d’habitude le regard perdu au-loin, au-delà de la banlieue vers sa Normandie qu’il a hâte de rejoindre avec la retraite.
– Vous vouliez me voir, chef, demande le policier après une minute de patience.
– Comment va Ethel ?, demande le patron de la maison poulaga.
– Bien, que je sache, répond Dr. Nut. Au moins, tant que Dubois l’architecte est au Brésil, elle est en sécurité, et les blondes de son agence également je présume.
– Dubois au Brésil justement, c’est à son sujet que j’ai des nouvelles.
Dr. Nut en frémit, des nouvelles de Dubois, aussi loin qu’il est concerné, sont toujours de mauvaises nouvelles.
– Gloria ?**
Dr. Nut sait que Gloria, que Dubois est allé rejoindre au Brésil, il ne sait où exactement, est la prochaine sur la liste des victimes de l’architecte, la preuve : il lui a même préparé un bijou – une chaîne de hanche – comme il le fait pour toutes ses victimes. Juste après le départ de l’architecte, alors qu’il était encore dans l’avion, l’inspecteur avait prévenu, avec l’aide d’un collègue d’origine portugaise, son homologue poulet de Sao Paulo de l’arrivée d’un tueur en série. Après son explication passionnée, il avait été déçu par la réaction du policier brésilien.
– Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? lui avait-il demandé.
– Lui filer le train peut-être ?, avait demandé Dr. Nut plein d’espoir.
– Mais enfin, avait répondu le flic, vous pensez peut-être qu’on en manque chez nous de tueurs en série et de blondes qui disparaissent sans laisser d’adresse ? Et je suis à peu près certain qu’ils sont encore plus féroces que les vôtres. Et puis ce n’est pas mauvaise volonté – merci pour le tuyau – mais nous n’avons déjà ni le temps ni les moyens de surveiller les nôtres, alors votre Dubois, nous ne pouvons rien faire tant qu’il ne se manifeste pas. Mais bon, j’ai bien noté l’info et je la ferai circuler auprès de mes services, au cas où mais n’espérez rien.
De fait, depuis son départ, Dr. Nut n’avait eu aucune nouvelle de Dubois, il ne sait même pas où il se trouve exactement, sinon que les notes d’Ethel indiquaient qu’il devait rejoindre une Gloria à Florianopolis, dans l’État de Santa Caterina. Le policier se désespère de savoir Gloria encore vivante et pourtant condamnée et d’être impuissant à la protéger. C’est donc avec une boule au ventre qu’il poursuit.
– Les Brésiliens ont retrouvé le corps de Gloria ?
– Non, justement, pas celui de Gloria, reprend le chef. Celui d’une autre, une Française, blonde aux yeux bleus, 45 ans, du nom de Léonie Meunier, retrouvée totalement nue sur une plage à… (il hésite et se penche sur son bureau pour relire ses notes)… Barra da Lagoa. Elle est morte apparemment noyée et son corps aurait été rejeté sur la plage après environ deux jours dans le grand bain. Elle pourrait être tombée d’un bateau.
Dr. Nut est un peu surpris.
– Comment sait-on qu’elle est française si elle a été retrouvée nue sur la plage ?
– Je n’ai pas encore tous les détails mais elle a été identifiée après un appel à témoins. Apparemment elle voyageait seule et je n’en sais encore pas plus sur elle et ce qu’elle faisait au Brésil.
– Mais en quoi cela me concerne-t-il, si elle est déjà morte, c’est du domaine du légiste local, elle s’est peut-être noyée toute seule et chacun est libre de se baigner à poil, surtout quand on se baigne au large ? Au pire, c’est du ressort de la police criminelle.
– Certes, sauf qu’il y a quelqu’un au Brésil qui s’est souvenu de votre alerte – une Française blonde aux yeux bleus – et a prévenu ses grands chefs qui ont prévenu le consulat qui a prévenu l’ambassade qui m’a prévenu.
– Et le rapport avec Dubois ?, s’impatiente Dr. Nut.
– D’une part parce que le corps de la nageuse, qui ne semble avoir subi aucun outrage sauf ceux ayant servi de déjeuner aux poissons, a été retrouvé à moins de 100 m de là où habite une certaine Gloria Da Silva, architecte de son état et, voyez-vous, blonde aux yeux bleus elle aussi. Or, nous le savons aujourd’hui, c’est la Gloria qu’est allé rejoindre Dubois.
Dr. Nut en est baba.
– C’est peut-être une coïncidence, la noyade n’est pas le genre de Dubois. Il n’a pas l’habitude de les noyer ou de les balancer à la flotte. Et ça fait à peine deux semaines qu’il est parti !
– Parce que vous croyez aux coïncidences Dr. Nut ? Qui sait, peut-être Dubois est-il devenu plus imaginatif arrivé sous les tropiques. En tout cas, alors voilà !
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Acte 3 – Dans le bureau de Dr. Nut, lundi 17h58
Aïda est surprise d’avoir été convoquée « d’urgence » alors qu’elle est n’est pas de service aujourd’hui. Elle s’en inquiète dès qu’elle découvre la mine sombre de Dr. Nut qui n’a attendu personne pour commencer la bière – elle voit tout de suite qu’il n’en est pas à la première. Il est penché sur son travail, en train d’écrire, totalement concentré, il semble même ne pas l’avoir vue arriver. Elle a bien senti, rien qu’à l’atmosphère dans le bureau et au regard des gars de l’équipe que quelque chose d’important, ou de grave, s’est passé. Elle craint soudain que le boss ne lui annonce la fin de sa mission, qu’il ne peut pas la garder, bla bla bla, et ne la renvoie à son labo. Qu’a-t-elle fait ? Où a-t-elle merdé ? Elle revoit vite fait les dernières affaires auxquelles elle a participé. Un gamin fugueur de 15 ans retrouvé à faire du stop en Allemagne, il allait voir « l’amour de sa vie » à Hambourg – c’est ce qu’il avait laissé sur le mot posé dans la cuisine pour sa mère – tout ça en partant en stop de Bussy-Saint-Georges. Il n’était pas content quand les Allemands, avertis, l’ont repêché. Il ne voulait pas revenir. Il y a des gens qui ne veulent pas être retrouvés. Mais elle est contente d’avoir retrouvé une pauvre gamine tombée aux mains d’imbéciles de son quartier et forcée de faire le tapin dans une chambre d’hôtel minable. Le calvaire n’aura duré que 48 heures pour elle et c’est déjà trop mais, quand avec les collègues ils ont mis la main sur les trois branleurs, dont un mineur, qui avaient imaginé et mis en œuvre le scénario, Aïda folle de rage et d’émotion, pour un regard ironique de celui qui apparaissait comme le meneur, n’a pas pu se retenir et l’a violemment frappé au visage. Ne pouvant plus se contrôler, elle était partie pour le bourrer de coups quand Jean, son collègue du 22 – le service des disparitions inquiétantes – et un gardien de la paix l’ont finalement retenue. L’autre connard la gueule en sang l’a regardé et elle a enfin vu la peur dans ses yeux. « Ne recroise jamais ma route salopard », a-t-elle hurlé avant d’être éloignée par Jean et de fondre en larmes.
– T’inquiète, lui dit-il, il n’a que ce qu’il mérite et ce n’est rien comparé à ce qui l’attend dans la grande taule où on n’aime guère les pointeurs de fillette. Allez viens, les services sociaux sont arrivés et c’est fini pour nous.
– Mais le rapport ? Son avocat ?, sanglote-t-elle.
– Le rapport c’est nous qui l’écrivons et les collègues et moi sommes témoins qu’il a résisté à son arrestation.
C’était il y a plus de quinze jours, les trois enflures sont en détention provisoire et elle n’en a plus entendu parler. Est-ce ce pourquoi Dr. Nut veut me voir, se demande-t-elle ? Et lui qui continue d’écrire – il semble remplir des formulaires – comme si elle n’était pas là et ça commence à l’énerver. « Calme-toi », se dit-elle, percevant que depuis qu’elle est avec cette équipe, à faire ce boulot loin de son labo tranquille, ses émotions sont plus souvent qu’avant à fleur de peau. Elle en est là à se dandiner, n’osant pas s’asseoir, ni même prendre une bière, comme si l’atmosphère remplie d’électricité du bureau avait rompu tous les codes confraternels qu’elle avait finis par tisser avec Dr. Nut. Elle sent un pressentiment inquiet la gagner quand elle découvre à cet instant, sur le tableau dédié aux victimes de Dubois, un nouveau visage : une belle femme blonde, à la peau bronzée…
– Gloria ! Ne peut-elle s’empêcher de s’exclamer.
– Exact, lui répond Dr. Nut sans lever les yeux de ses formulaires.
– Elle est morte ? Dubois l’a liquidée ?
– Non. Prenez une bière, asseyez-vous, je suis à vous dans une minute.
Secouée – elle s’en veut de sa parano, il n’a jamais été question de la virer – Aïda est soulagée de se diriger vers le frigidaire, d’attraper une bière et un verre, et une fois servie, plutôt que de s’asseoir, elle va se poster devant la photo de Gloria. Une jolie femme d’une cinquantaine d’années, des cheveux blonds qui commencent à tirer vers le gris, deux grands yeux bleus espiègles. Si elle n’est pas morte, comment Dr. Nut a-t-il fait pour récupérer sa photo et savoir qui elle était, se demande-t-elle. Elle en est là de ses réflexions quand elle entend derrière elle Dr. Nut se lever, puis le frigidaire qui s’ouvre, suivi presque immédiatement du pschitt de la canette puis elle sent Dr. Nut juste derrière elle.
– Je vous présente Gloria….
– Mais elle n’est pas morte ?
– Non, du moins pas encore.
À son invitation, Aïda s’assoit enfin, l’incompréhension laissant très vite place à la curiosité. Alors elle attend.
– Gloria n’est pas morte mais une Française dénommée Léonie Meunier, blonde aux yeux bleus, a été retrouvée noyée sur une plage… à moins de 100 m de là où crèche Gloria, qui accueille Dubois, ce qui a été confirmé par la police locale. C’est d’ailleurs comme ça qu’on a appris où il était, avec l’enquête de voisinage. Les Brésiliens n’ont absolument rien de probant contre Dubois, comme d’habitude, mais ils sont désormais inquiets et, comme nous, n’aiment pas beaucoup les coïncidences. Et comme ils sont aussi pauvres que nous question moyens, ils ont besoin de notre aide. Alors, voilà, vous partez dès demain matin par le vol Air France 460 de 10 h 25 jusqu’à Sao Paulo. Là vous reprenez l’avion vers Florianopolis, dans l’Etat de Santa Caterina. Un flic local doit vous accueillir à l’aéroport. Puis, il vous faudra rejoindre Barra da Lagoa, c’est là qu’a été retrouvé le corps de Léonie Meunier.
Aïda est abasourdie. Partir au Brésil ? Sur la piste de Dubois ? Dès demain ? Une nouvelle victime dont on aurait le corps, enfin ? Elle a compris au ton du boss qu’il s’agit d’un ordre. Elle peut refuser bien sûr mais elle est sûre alors de retrouver ses chiffons dans son laboratoire jusqu’à sa retraite ! Inquiète, elle sent pourtant poindre l’excitation.
– Je pars demain ?
– Oui, il n’y a pas de temps à perdre. Maintenant que la presse en a parlé, les Brésiliens sont embarrassés – ce n’est qu’une question de temps que l’histoire d’un tueur en série français ne fasse la Une, craignent-ils – et l’ambassade met la pression pour que l’on ait rapidement quelqu’un sur place avant que l’affaire parte en vrille.
– Pourquoi moi ? Elle comprend tout de suite que ce n’était pas la bonne question.
– Et pourquoi pas vous ? explose Dr. Nut. Que je sache vous n’êtes pas mariée, vous n’avez pas d’enfant à charge mais vous avez Dubois à charge. Peut-être qu’à l’étranger se sent-il plus libre – comme à Pétaouchnok quand il a massacré la petite Anastassia, dont la photo est là sur le mur – et qu’il commettra des erreurs et que nous pourrons ainsi le coincer. Tous les gars sont déjà au taquet et j’ai moi-même autre chose à faire que de partir en vacances au Brésil.
Il cesse sa diatribe subitement, comme épuisé.
Aïda, qui se sent d’abord blessée par l’évocation de sa vie privée – mais quelle vie privée dans la police ? -réalise le sens des arguments et ne se formalise pas de cet accès de colère, elle comprend surtout que Dr. Nut est ému de la laisser partir seule sur les traces de ce psychopathe. Comme le serait mon père se dit-elle…
– OK, OK. Je pars pour combien de temps ?
– Le temps qu’il faudra, soupire Dr. Nut.
Il lui tend une serviette dans laquelle il a mis la liasse de documents sur lesquels il travaillait quand elle est arrivée.
– Il y a là tout ce que j’ai pu préparer pour vous en amont du voyage. Vous y trouverez une fiche avec tous les renseignements que j’ai pu glaner à propos de Léonie Meunier. A priori, aucun lien avec Dubois, d’ailleurs le corps s’abîmait très vite dans l’océan et aurait pu disparaître mangé par les requins sans que personne ne sache jamais rien de ce qui lui était arrivé. Pour autant, la noyade n’est pas dans les habitudes de Dubois, du moins jusqu’à aujourd’hui peut-être, sait-on jamais. Prudence donc. Il y a dans la serviette votre nouveau passeport avec un visa longue durée et tous les papiers administratifs officiels en toutes les langues si vous avez besoin de vous sortir d’un mauvais pas. Il y a une carte de crédit pour tous vos frais officiels. Pour vos frais officieux et pour le cas échéant délier les langues, dans l’enveloppe, il y a environ 65 000 Reals – la monnaie locale – en cash, soit environ un peu plus de 10 000 €. Faites-y attention. C’est beaucoup d’argent au Brésil alors faites aussi attention à vous.
À cette évocation, son ton bougon a totalement disparu. Il est sincèrement inquiet pour elle.
– Alors, bon voyage, bonnes vacances et bonne chance. N’oubliez pas votre maillot de bain.
– Merci Patron. Je n’y manquerai pas.
L’entretien est terminé et elle n’a pas de temps à perdre pour se préparer. En sortant du bureau du patron, elle retrouve tous les gars de l’équipe avec un visage hilare. Pour une fois, c’est elle la dernière au courant, se dit-elle et elle se sent soudain pleine d’affection pour ce petit groupe d’ours ronchons qui l’ont acceptée parmi eux comme les trois ours ont accueilli boucle d’or. Sauf qu’Aïda est brune. D’ailleurs, c’est bien la première fois qu’elle les étreint tous, un par un, avant de partir tandis que, cachant leur propre inquiétude à son sujet, ils lui souhaitent bonnes vacances à leur tour.
Elle n’a bu qu’une seule bière mais c’est le pas chancelant qu’elle attrape son ordinateur et quelques bricoles sur son bureau avant de s’éloigner, émue au possible. Ce n’est qu’une fois seule dans l’ascenseur qu’elle pousse un cri avant de fondre en larmes, qu’elle sait être d’émotion. Le Brésil ! Dubois ! Yes ! Pense-t-elle en serrant le point. Repensant à Dr. Nut, elle se dit qu’elle n’a nul besoin de prévenir son père de ce voyage.
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Acte 4. Mardi, 7h35, dans le bureau d’Ethel Hazel
Devant sa page blanche, la psychanalyste pense au syndrome de l’architecte Dubois, qui conserve les corps de ses victimes dans une sorte de mausolée, endormies à jamais comme dans le conte. Ce pourquoi elle a intitulé son affection Syndrome de la belle au bois dormant, un syndrome qui selon elle n’a encore jamais été décrit, du moins pas dans ce cadre. Elle sait que, pour sa part, à plusieurs reprises elle a dépassé toutes les lignes rouges de l’éthique de son métier – elle est même allée jusqu’à coucher – deux fois ! – avec ce tueur – et elle ne peut s’empêcher de frémir au regard que porteront ses confrères et consœurs sur son travail. Mais elle pense aussi à Hollywood : J’ai couché avec un tueur en série, deux fois comme on dit en Belgique, et j’ai survécu. Et la voila qui se marre toute seule, enfin. La tension des dernières semaines depuis le départ de Dubois est retombée alors voilà, elle est prête à s’y mettre.
Elle a lu et relu son plan en six sections et elle sait qu’elle doit répondre aux questions suivantes : Qui est Dubois ? Qui sont ses victimes ? Comment il les tue ? Comment il les conserve ? Pourquoi il les garde ? Depuis quand ? ET OÙ ? La seule question encore sans réponse. Elle pourra alors décrire précisément son syndrome si singulier. Elle rit encore en se remémorant le nombre de fois où elle a lu et relu le conte original, dans toutes ses versions, et d’imaginer désormais – elle ne peut s’en empêcher – le Prince sous les traits de Dubois.
Décidément de bonne humeur, comme elle n’a pas de rendez-vous avant 11 heures, elle s’installe enfin devant son ordinateur et retrouve la page dédiée.
TITRE : LE SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
Préambule
« J’ai rencontré Dubois l’architecte pour la première fois le 11 septembre 2018 quand il s’est présenté à mon cabinet après avoir pris rendez-vous quelques jours auparavant. Il m’a alors expliqué, sans surprise, faire un ‘burn-out’ professionnel. Rien d’original puisque j’avais d’autres clients architectes. Ce patient avait pourtant pour originalité de ne pas se confondre en pleurnicheries habituelles et en fantasmes à jamais refoulés de l’homme nouveau déconstruit. À tel point qu’il me sembla d’une étonnante banalité, rien de pervers qui puisse nécessiter mon recours ne suintait de ses propos. Un homme passionné par son métier et qui a trouvé avec moi – je le comprendrais plus tard – une oreille qui pourrait écouter ses jérémiades que j’ai longtemps crues lénifiantes. Et pour cela il était prêt à payer ! Bref, il semblait ennuyeux au possible, installé dans une routine moelleuse et confortable. Autant dire que la psychanalyse a démarré tranquillement. C’est justement autant de « normalité » non perverse qui a fini par éveiller ma curiosité. Pourquoi ce type, marié, deux enfants, une agence qui se porte bien, pas d’idées oiseuses ou poisseuses du type Banquet de Bacchus ou Eyes Wild Shot, avait-il ressenti le besoin de me voir ? Je ne suis pas sûre encore aujourd’hui que mon physique – blonde aux yeux bleus comme la plupart de ses victimes – soit intervenu dans son choix. Il ne m’a jamais expliqué pourquoi il m’a choisie. Peu importe, j’ai appris au fil des ans à ne pas prendre pour argent comptant ce qu’il me raconte. En revanche, sans être ni un pervers ni un psychopathe, son syndrome si particulier l’a conduit à concevoir puis construire un mausolée dans lequel il conserve ses victimes, toutes mortes étouffées, « endormies » belles et nues jusqu’à la fin des temps, comme dans le conte. Et c’est justement parce qu’il est architecte qu’il est affecté de ce syndrome ! »
(À suivre)
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Acte 5. Mercredi, 5 h 00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, à la rubrique Faits divers, un entrefilet titré : Il mistero di Gina Rossi (Le mystère Gina Rossi)
Nell’agosto 2022, nella chiesa di San Tommaso, in via Monte di Pietà, è stato scoperto il corpo senza vita di Gina Rossi, una bella bionda con gli occhi azzurri, nata il 10 agosto 1991 a Torino. Architetto di professione, fu scoperta distesa sull’altare, racchiusa in una busta mortuaria che aveva la particolarità di essere refrigerata, come quella che si usa per comprare il pesce congelato. Secondo un testimone oculare “è come se Gina Rossi fosse stata uccisa il giorno prima, come se fosse morta nel sonno”. Interrogata, la polizia ha fatto riferimento a un caso chiuso e ha chiesto di non credere a tutto e a niente. Solo che, cosa ancora più bizzarra, secondo le nostre informazioni, la polizia francese è interessata alla vicenda. Per quello ? Di più non appena ne sapremo di più.
En août 2022, le corps sans vie de Gina Rossi, jolie blonde aux yeux bleus, née le 10 août 1991 à Turin était découvert dans l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà. Architecte de profession, elle a été trouvée allongée sur l’autel, enserrée dans une enveloppe mortuaire qui avait la particularité d’être réfrigérante, comme celle que vous utilisez pour acheter du poisson congelé. Selon un témoin oculaire de la découverte « c’est comme si [Gina Rossi] avait été tuée la veille, comme si elle était morte dans son sommeil ». Interrogée la police renvoie à une affaire classée et invite à ne pas croire tout et n’importe quoi. Sauf que, plus bizarre encore, selon nos informations, la police française s’intéresserait à cette affaire. Pourquoi ? La suite dès que nous en savons plus.
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
* Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
**Lire Psychanalyse de l’architecte – Saison 6 : épilogue
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