Le mercredi 4 octobre 2017, les lascars de Réinventer Pourris invitaient à La Colonie, dernier bar à la mode signé de l’artiste Kader Attia en plein Xe arrondissement parisien, à une table ronde intitulée ‘Réinventer pourquoi ?’ Nous nous étions fait l’écho en juin dernier du concours burlesque Réinventer Pourris. Innovation ? Quelle innovation ? Rapport de mission.
Première surprise, il y avait du monde, beaucoup d’architectes, comme quoi ce qui a commencé par la blague potache de quelques architectes du Sud-Ouest a enflammé une plaie infectée à Paris. En témoigne l’exposition ce soir-là des cinq projets lauréats qui ne se privent pas de se moquer.
C’est dans ce contexte que ce débat était organisé. Yann Legouis, l’un des architectes à l’origine de l’évènement, a su convaincre du sérieux de ses intentions puisqu’il avait pour invités autour de Catherine Sabbah (Les Echos) rien moins que Frédéric Bonnet (Obras, Grand prix de l’urbanisme 2014), Eric Escande (Directeur de l’innovation Alto Ingénierie) et pour la ville de Paris, Marion Waller (en charge des procédures « réinventer » au cabinet de J.L. Missika), remplaçant au pied levé l’adjoint porté pâle.
Réinventer Pourris ? Marion Waller ne s’est pas dégonflée : «La parodie est un signe de réussite», dit-elle. Mais dès que le débat a démarré, il n’était plus question de rigoler. Au fond, le fil rouge de la discussion a tourné autour de l’innovation et du sens à donner à ce mot utilisé à l’envi par la ville de Paris.
Marion Waller s’en explique. Jean-Louis Missika, avant de devenir adjoint à l’urbanisme, était auparavant chargé de l’innovation, de la recherche et des universités auprès de Bertrand Delanoë. D’où, selon elle, le constat suivant : «le bâtiment est l’un des derniers secteurs à investir dans la R&D, moins que l’agriculture, alors que l’on livre des prototypes. La plupart des terrains sont vendus aux enchères. Plutôt que de vendre au plus offrant, il fut décidé de vendre au plus innovant». Voilà comment l’innovation s’est retrouvée au cœur de Réinventer Paris.
Mais innover, qu’est-ce que cela signifie ? Ne faut-il pas pour commencer faire la distinction entre progrès et innovation ? Une caméra connectée dans un frigo, c’est une innovation. Est-ce un progrès ? Qu’est-ce que l’innovation dans un cahier des charges ? Et comment être suffisamment ‘innovant’ pour gagner le concours sans savoir encore ce se passera ensuite au moment des études ?
Le BET Alto, a joué dans sept équipes de Réinventer Paris, a gagné le projet Morland avec David Chipperfield et Calq Architecture. Puis dans le cadre de réinventer la Seine, Alto a gagné l’ancienne usine des eaux d’Ivry avec du beau monde : Amateur Architecture Studio, Wang Shu & Lu Wenyu, Joly&Loiret, Lipsky + Rollet.
Malgré tout, Eric Escande, son directeur de l’innovation, se montre dubitatif. Il faut dire qu’il doit être difficile d’innover sept fois de suite. «Il est beaucoup question d’innovation mais dès la première phase du projet, il faut des adaptations, ne serait-ce que pour des questions de financement et de maturité technique», relève-t-il. Autrement dit, s’il a bien noté une évolution dans les cahiers des charges des projets, il en vient à se demander si chacun sait bien ce qu’il fait. «Pour Réinventer Paris, il y a eu un engouement», dit-il. Ce n’est rien de l’écrire. «Aujourd’hui, cet engouement impose de se poser la question : qu’est-ce que l’innovation ? Si l’on doit mesurer l’innovation à l’échelle du risque, à la phase esquisse, ce n’est pas évident», souligne-t-il.
Certes, le concours date de novembre 2014, les lauréats sont connus depuis seulement février 2016, et il faut laisser le temps des études. Mais justement, bientôt deux ans plus tard, rien de vraiment concret ne se fait jour. Quelqu’un voit passer des projets de Réinventer Paris à part quelques petits projets ici ou là ? Après l’engouement, sans doute que les bureaux d’études et les financiers sont venus mettre leur nez dans les affaires des architectes.
A Milan, les deux tours Bosco Verticale (‘forêts verticales’) de Stefano Boeri sont ce qui se rapproche le plus d’une réussite dans le domaine de la végétalisation des immeubles, chère à la communication de la ville de Paris. A 11 000 € le m², l’architecte italien a montré que c’est possible. Certes le concept fait rêver, et, sans doute, ce sont bien ces sirènes de la végétalisation auxquelles les Parisiens sont les plus sensibles, mais à ce prix-là… Alors les mille arbres de Sou Fujimoto au-dessus du périphérique, cela va peut-être prendre un moment avant de sortir de terre. D’ailleurs, «en même temps», Sou Fujimoto est candidat sur Imagine Angers.
Sans doute Eric Escande ne fait qu’exprimer tout haut ce dont nombre de ses confrères dans les bureaux d’études commencent à penser tout bas. Quel intérêt d’avoir les mêmes normes d’un bout à l’autre du territoire ? Que valent toutes les certifications toujours plus nombreuses et toujours plus obligatoires quand toutes les normes sont sur l’énergie conventionnelle ? «Nous savons faire des bâtiments de bureaux sans clim. Mais comment maîtriser les usages spécifiques qui comptent pour 50% de la consommation d’énergie ? Le BEPOS n’en parle pas». Il note encore que sa méfiance envers le tout numérique et les systèmes non éprouvés est de plus en plus partagée. Des caméras dans le frigo, ce ne serait donc pas un progrès ?
Selon lui, plutôt qu’une politique d’innovation bâtiment par bâtiment, prototype par prototype, le développement d’une logique politique et industrielle de l’innovation pourrait être privilégié, dans le domaine du matériau terre, issu des déblais du Grand Paris par exemple, ou la mise en place de filières pour les matériaux biosourcés.
Frédéric Bonnet, vient rappeler à point nommé que le logement social fut un formidable vecteur d’innovation, plus que la commande privée. Mais il note qu’il est plus facile de parler des choses qui brillent que des choses laborieuses. D’où ces projets qui gagnent sur des images clinquantes sans que personne ou presque n’ait la moindre idée de comment les construire. L’écologie de la ville de Paris, ce n’est pas un vocabulaire, c’est un lexique. Et si l’innovation ne se voit pas sur les belles images pour la télé, ce n’est plus de l’innovation ?
L’urbaniste rappelle que «la ville est faite par des acteurs privés depuis le Moyen Age, plus ou moins bien selon la qualité de la puissance publique». Il estime que pour réinventer Paris, la ville de Paris «avait les moyens de donner des cadres». La preuve, des villes avec infiniment moins de moyens parviennent à fixer des cadres, comme c’est le cas par exemple à Baillargues, dans l’Hérault. «C’est une forme de malhonnêteté intellectuelle de vouloir faire un plan de communication pour vendre Paris, une ville riche à la valeur foncière élevée. La collectivité est dans une position de force et finalement on découvre un déficit de transparence», dit-il.
Marion Weller ressert – pouvait-elle faire autrement ? – l’antienne selon laquelle «les projets furent choisis pour leur valeur d’intérêt général, avec un supplément d’âme». Il est vrai que ce concours a permis d’attirer des noms connus et beaucoup de nouveaux acteurs, qu’il s’agisse de l’aspect immobilier ou architectural. «Nous avons toujours choisi le meilleur projet, Paris a le droit de demander de l’argent et des idées», dit-elle. C’est ce qu’elle appelle s’appuyer sur l’intelligence collective, en l’occurrence attendre des architectes qu’ils fassent le programme. La puissance publique n’a-t-elle donc pas l’expertise des besoins ?
C’est justement la raison de la multiplication de ces concours ‘Réinventer’. Il est demandé aux architectes de réfléchir à la place d’élus qui ont abandonné toute prétention à façonner la ville, la recherche d’’innovation’ ne faisant que masquer leur manque d’idée et l’inertie des conventions.
Toujours est-il que Réinventer Paris a ouvert la boîte de Pandore. Pour le seul concours Imagine Angers, sur sept sites, 29 candidatures ont été retenues. On y retrouve tous les principaux opérateurs immobiliers français accompagnés de ténors de l’architecture tels Steven Holl, Sou Fujimoto, Manuelle Gautrand ou Marc Mimram ou Nicolas Michelin et aussi X-TU, Tetrarc, Barré-Lambot, Perraudin. Etc.
Le ban et l’arrière-ban des architectes participent désormais à ces compétitions et les cautionnent en entérinant leur principe. Voilà qui promet de la réinvention.
Christophe Leray