Les 22 projets dévoilés le 5 février 2016 par Anne Hidalgo, maire de Paris, ne se feront probablement jamais, ou très peu d’entre eux. S’ils se font, cela susciterait d’ailleurs quelques questions. Je ne veux pas gâcher le plaisir des architectes lauréats mais cette opération est un copier-coller d’une manœuvre similaire de la part de son prédécesseur à l’Hôtel de ville. Et aucun de ces projets lauréats d’alors n’a été construit. Explications.
Envisageons d’abord qu’au pays des Bisounours, chacun des projets annoncés en grande pompe soit effectivement réalisé à l’horizon 2022. En ce cas, première question : comment se fait-il qu’à Paris, où la pression foncière est supposément à son comble et que la classe moyenne épuisée s’enfuit, la mairie trouve-t-elle d’un coup d’un seul 22 sites à développer ? Paris aurait donc de telles réserves foncières inexploitées ? Sans doute puisqu’Anne Hidalgo se félicite d’avoir «fait travailler ensemble le public et le privé». Ce n’est en effet rien moins que 70 000 m² de terrain, sans compter les 44 000 m² de l’ancien centre administratif Morland, futur Mixcity, qui sont soudain disponibles. La vente des sites devrait rapporter 600 M€ indique le communiqué de presse de la mairie. Sans doute mais si ces 22 bâtiments réinventent Paris comme prévu, nul doute que cette manne sera surtout une bonne affaire pour le privé.
Voilà pour la première hypothèse.
Maintenant voyons pourquoi ce projet n’a jamais été conçu pour aboutir. Coup de com ? D’apparence cela en a tout l’air. C’est du moins ce qu’ont retenu ceux de mes confrères qui n’étaient pas dithyrambiques. En témoigne sans doute la présentation très ‘manger cinq fruits et légumes par jour’ des projets. Montrer le dynamisme de Paris ? Ce ne sont pas deux dizaines de projets en six ans, dont un grand nombre fait moins de 500 m², qui risquent d’impressionner New York, Chicago, Shanghai, Berlin, Montréal et autres rivales de Paris. Alors quand Anne Hidalgo ose le mot «révolution», il est permis de rigoler. Ne serait-elle donc jamais allée au MIPIM ?
Justement, la petite échelle au fond du projet parisien devrait lui permettre de se réaliser, non ? Oui, si c’était là l’intention véritable mais, en ce cas, nul besoin d’un tel raout. Quoi, on nous présente comme un exploit la construction de 1 300 logements à Paris d’ici à 2022 ? Dans les 415 communes de l’agglomération parisienne, y compris Paris, plus de 20 000 logements sociaux sont construits par an. Le 4 janvier dernier justement, Sylvia Pinel, Ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité, lançait un (nouveau) plan de relance «pour la construction de 500 000 logements chaque année», lequel n’aura d’ailleurs sans doute pas plus de succès que les précédents… Mais bon, 1 300 logements (dont seulement la moitié de sociaux soit-dit en passant) à Paris en six ans, bonjour l’exploit !
Bref, si cela est de la com, c’est se ficher du monde. La preuve, ce titre : Réinventer Paris. Ah oui, la ville à 2 000 ans d’histoire peu ou prou et elle, Anne Hidalgo, va réinventer Paris ? Il faut quand même avoir une sacrée idée de soi-même pour oser un truc pareil. Je ne suis pas sûr mais je ne crois pas que même Louis XIV ait utilisé une telle expression.
Par ailleurs, il est quand même étonnant que, Paris étant candidate aux J.O. de 2024, rien ne soit anticipé à ce sujet. Ah bon, les intérêts de Réinventer Paris 2022 ne coïncideraient pas avec ceux de Paris 2024 ? Dans un sens ou dans l’autre, les impératifs de communication auront de toute façon bientôt changé et ils sont quelques architectes lauréats qui ne retiendront de cette histoire que ce moment où ils crurent avoir gagné merci. Bref, la plupart de ces projets ne sont pas près de voir le jour.
Une dernière remarque à ce propos. Chacun a bien noté qu’il s’agit là de 22 projets – 22 ! – qui sont bien imaginés intra-muros. Bien sûr, Anne Hidalgo n’est maire que de Paris mais à l’heure du grand Paris – quelle blague ça encore ! – aucun de ses communicants n’a pu imaginer un seul projet qui franchisse le périphérique, juste un geste généreux, ici ou là ? Pour le symbole ? Pour la com ? Et sœur Anne qui nous propose de Réinventer Paris-Le Havre… une idée proposée par Antoine Grumbach en 2004 et reprise par Nicolas Sarkozy en 2009. Voilà qui va nous rajeunir !
Cependant, la question demeure, pourquoi prendre le temps et faire l’effort pour tout ce ramdam apparemment un peu vain ?
Flashback. En novembre 2007, à un an de remettre son mandat en jeu, Bertrand Delanoë, le maire de la capitale, présente en grande pompe lui aussi les résultats d’un groupe de travail sur les tours à Paris. Onze agences, et non des moindres, avaient répondu à l’appel. «Les images qui seront publiées ne seront qu’une illustration de ce que pourraient être ces quartiers si on prenait une décision», avait-il expliqué, prudent*. Des tours à Paris ! Sacrilège. Le débat, forcément enflammé, fait rage entre anciens et modernes. Suivez son regard et Delanoë est réélu l’année suivante.
Aucun des architectes ayant participé à ces recherches, et aucune des solutions qu’ils avaient proposées, ne fut ultérieurement retenue. Une fois élu et le bénéfice politique d’un tel débat acquis, Delanoë a fait ce qu’il voulait : les tours DUO de Nouvel, pas à son meilleur, et (peut-être) la Tour triangle, d’Herzog et de Meuron, pas à leur meilleur.
Il est d’ailleurs curieux de retrouver les mêmes intentions – voire les mêmes sites ! – exprimées avec presque les mêmes mots d’un maire à l’autre. Les codes sont les mêmes : parmi les projets Delanoë, celui de cet architecte qui avait l’idée d’enfouir le périphérique sous un jardin de 5 hectares qui le recouvrirait tel un «pansement» ; parmi les projets Hidalgo, planter mille arbres au-dessus du périphérique. Nuance !
Pour la petite histoire, quand on voit le temps qu’il a fallu pour couvrir le périphérique entre la porte de Vanves et la porte d’Orléans… Et il n’y a, ni au-dessus ni en dessous, ni jardin ni mille arbres… A Delanoë les «totems urbains», à Hidalgo les «chambres d’amis».
Bref, sinon un coup de com, voici, au travers de l’architecture, plutôt un intrigant coup politique dont Anne Hidalgo est familière ; la moderne contre les anciens, c’est son truc, sa botte secrète. Elle l’avait déjà très bien utilisée lors de la campagne des municipales avec le coup de l’avenue Foch.** Mais si on comprend que Delanoë était à un an d’une éventuelle réélection, ce n’est pas le cas d’Anne Hidalgo, élue jusqu’en 2020. Alors pourquoi sortir l’artillerie maintenant ?
Peut-être parce que ce n’est pas aux élections municipales que pense la maire mais à l’élection présidentielle de 2017. Quoiqu’il arrive, puisqu’elle a de l’ambition, elle ne veut surtout pas l’année prochaine se retrouver dans le camp des anciens, à patauger avec les éléphants. Alors quelques séances de pince-fesses avec les architectes, ces intellectuels modernes et bonne pâte, ça ne mange pas de pain et ça ne coûte pas cher. La salade verte non plus.
Christophe Leray
*In Le Monde, 29 octobre 2007
**Voir notre article ‘Les scoops à deux balles de l’architecture grand public’