
Derrière le vert X-TU, inspiré par un Eden futur mais installé rue de Paradis, il y a un duo d’architectes, Anouk Legendre et Nicolas Demazières. De leurs recherches et de leurs collaborations sont nés des projets utopistes, dont le dernier en date : les biofaçades du consorsium Symbio2. Dans le cadre de la Plateforme de création architecturale, la Cité de l’Architecture à Paris donne durant le premier trimestre 2016 carte blanche à X-TU architects pour présenter sa vision de la ville de demain : «Fleur du futur : le vivant fera-t-il la ville de demain ?» Rencontre en trois questions.

Chroniques : X-TU fait preuve d’une appétence très particulière pour le lien qu’entretien l’architecture avec son paysage. Vos recherches sur les architectures vivantes en sont-elles les suites logiques ? Comment se sont-elles mises en place ?
Anouk Legendre : La question du paysage et son lien avec l’architecture et la ville constituent un axe fondateur de la réflexion d’X-TU architectes. Notre première agence s’appelait d’ailleurs In-Situ, et posait d’emblée notre intérêt pour le site. Pour nous, le bâtiment émane d’un lieu et d’un contexte desquels il est indissociable.
Nos recherches nous ont conduits à nous pencher sur les questions environnementales assez rapidement et sur les problématiques de la gestion de l’énergie qui en découlent indubitablement. La densité urbaine est responsable de la présence d’îlots de chaleur en ville. Ramener la biomasse dans la ville peut selon nous permettre de diminuer l’effet de ces îlots. Les biomasses peuvent avoir une incidence sur le climat et sont peu exploitées. Elles permettent une évolution passive mais positive.
Comment faire entrer la biodiversité dans la ville a été l’un de nos axes de réflexion pour le Grand Paris. En tant qu’architectes, nous constatons qu’étendre le territoire des villes n’est pas souhaitable. Il faut jouer sur la densité des villes et temporiser ses effets pour les rendre plus acceptables. Si les familles désertent les centres-villes au profit des banlieues, c’est pour trouver un cadre de vie plus accueillant, un jardin, de la nature. Retrouver de la biodiversité en ville permet de jouer sur ce phénomène de densité des populations et ne pas étaler la ville.
Nous nous sommes rendus compte des bienfaits écosystémiques et sociaux de la biodiversité en ville. En plus de contrebalancer les effets des activités humaines, la nature urbaine est surtout créatrice de lien social. En effet, l’agriculture urbaine n’a pas pour but de nourrir les populations. Elle n’en a pas le rendement quand on sait que l’autonomie de la région parisienne en nourriture est de cinq jours. En revanche, en plus d’actions ponctuelles sur l’environnement, l’agriculture urbaine permet de recréer du lien social dans les jardins partagés par exemple. Par ailleurs, elle recrée le lien qui existe depuis le paléolithique entre l’humain et la terre. C’est important de retrouver ce lien affectif.

Cette recherche un peu utopiste est-elle réellement adaptable aux réalités de la construction, dans toutes les villes ? Vos projets qui mettent en oeuvre insectes et micro-algues ne sont-ils pas anxiogènes dans nos cultures occidentales ? Des consultations pourront-elles être organisées ?
L’idée de l’utopie a toujours guidé nos recherches, nos projets et notre imaginaire. Il est important d’imaginer des utopies mais je pense qu’il est nécessaire de passer du côté de la réalisation, de développer les procédés nécessaires à la réalisation pour que l’utopie ne soit pas vaine.
Dans nos recherches nous avons été confrontés par deux fois à ces problématiques anxiogènes. Une première fois lors d’un concours pour un immeuble de logements que nous avions imaginé entièrement recouvert de végétaux. Nous avons pris conscience que la biodiversité pouvait faire peur, d’autant plus qu’elle allait de pair dans l’imaginaire collectif avec les insectes et les araignées. Les gens ont peur des araignées.
Sur le projet des biofaçades, nous nous sommes rendus compte que les gens faisaient l’amalgame avec les algues. Mais une fois passées ces premières réactions, nous voyons que les populations ne sont pas si rétives que ça. Preuve en est l’intérêt porté à l’AlgoNOMAD et à l’installation qui prend place durant le premier trimestre 2016 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
C’est une question de culture. Depuis plusieurs siècles, les hommes cherchent à dompter la biodiversité pour en faire des villes propres. Aujourd’hui il y a une dualité qui s’installe entre la peur et le désir de voir réapparaître la nature dans la ville. Ce jeu sur l’imaginaire et les peurs est voulu et le cinéma notamment joue sur ces peurs.
Il faut faire entrer le concept de nature et de biodiversité dans la ville. Depuis quelques années, les acteurs de la ville, les maîtres d’ouvrage, les entreprises ou encore les agriculteurs ne sont plus si réticents à cette évolution. Au début, on voulait isoler la biodiversité. L’évolution, aussi ténue soit-elle à l’heure actuelle, ne fait que se renforcer. Nous en avons testé l’acceptabilité sociale de sa présence dans la ville et interrogé les peurs. En fait, c’est surtout une problématique occidentale que les villes d’Asie ne connaissent pas. Les cultures animistes ont un autre rapport à la nature et à la biodiversité qui les conduisent à accepter toutes leurs manifestations urbaines.
Enfin, tout est une question d’images. Le cinéma notamment ne nous donne pas d’image de la ville potager et verte.

Dans le processus de régénération de la ville, ne faut-il pas régénérer le métier d’architecte ?
Il serait intéressant d’apporter dans la formation d’architecte plus de vivant. C’est un métier interdisciplinaire dans lequel le végétal amène à la collaboration.
Le concours Réinventer Paris montre que notre métier est en pleine évolution ; il y a en effet de plus en plus d’interactions entre les différents domaines. La transversalité offre la possibilité de nouvelles ressources. Elle permet de faire apparaître de nouveaux possibles comme un mur végétal entièrement ensauvagé.
Les ingénieurs doivent s’ouvrir à la société civile. Les architectes la représentent. Selon les domaines de chacun, ces nouvelles collaborations offrent des ouvertures vers les nouvelles technologies ou vers plus de vivant nous concernant. La transversalité amène à l’innovation, grâce notamment au dialogue. Il faut aller vers plus de collaboratif. Nous n’avons réellement pas le choix puisque le métier d’architectes est un métier de coordination de plusieurs corps de métier.
Aujourd’hui, dans le monde enseignant notamment, d’aucuns se rendent compte que le monde étudiant se tourne instinctivement vers des projets d’agriculture urbaine, vers les expériences menées à Berlin ou Londres.
Propos recueillis par Léa Muller