En 1941, Louis Hautecoeur, secrétaire aux Beaux-Arts à Vichy, fut sommé d’établir une liste d’architectes. Il en retint une vingtaine. L’année suivante, l’architecte Pierre Villon prenait la tête du Front National clandestin.
Les années de guerre (1939 – 1945) que l’on évoque ces derniers temps pour éclairer les évènements actuels liés à la pandémie – quasi-disparition de la circulation automobile dans les villes, encadrement du commerce alimentaire, exode vers la campagne – n’ont pas fait l’objet, le 8 mai dernier, d’une cérémonie à la hauteur du 75ème anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie en 1945.
Nous consacrerons nos prochains « Secrets d’Archi » à cette période troublée, à la création de l’ordre (loi du 31 décembre 1940), puis à l’épuration des architectes après 1944. Dans ce numéro, nous évoquons l’étrange invitation d’une délégation d’architectes français à Berlin en 1941 au moment même où un architecte succédait à Georges Politzer à la tête du Front National.
Le 23 ou le 28 juin 1940 (la date est controversée), Hitler en personne plante de décor. Il déambule dans Paris, visite l’Opéra, la Tour Eiffel, le tombeau de Napoléon aux Invalides et descend le boulevard Saint-Michel à pied. On raconte qu’il trouve le Sacré-Cœur « affreux ». Il est suivi d’un photographe, de son ami le sculpteur Arno Breker et de deux architectes, Albert Speer et Hermann Giesler. Il s’agit, écrit Cédric Gruat, auteur de Hitler à Paris, juin 1940, « de renforcer l’image d’un Hitler ami des arts », tout en affichant son triomphe militaire.
L’année suivante, à l’automne 1941, à l’initiative de Goebbels, ministre de la propagande, les occupants voulant sans doute persuader les Français que leur art pourrait s’épanouir dans l’Europe nouvelle, organisèrent une série de voyages en Allemagne nazie. Ils invitèrent des écrivains, des sculpteurs (Maillol et Bourdelle déclinèrent l’invitation), des peintres, en promettant que ces visites permettraient de libérer des artistes prisonniers.
Louis Hautecoeur, secrétaire aux Beaux-Arts à Vichy, fut sommé d’établir une liste d’architectes. Il en retint une vingtaine : Robert Danis, Ernest Herpe, Auguste Perret, Joseph Marrast, Paul Tournon, Urbain Cassan, Jacques Gréber, André Leconte, Jean-Baptiste Mathon, Albert Chauvel, Roger Expert, Jacques Hardy, Jean Demaret, Jean-Pierre Paquet, André Gutton, André Hilt, Paul Domenc, Jacques Boistel d’Welles, Pierre Verrier, Jean Royer.
Le voyage, programmé à la fin de l’année 1941, fut reporté entre le 15 mai et le 15 juin 1942. Une nouvelle fois, alors que la liste fournie avait été acceptée, malgré son caractère disparate, le voyage fut annulé sans autre explication. L’historien Fabien Bellat*, au terme de son analyse émet l’hypothèse que Goebbels se serait rendu compte du caractère mégalomaniaque des projets de Speer et Giesler et de l’effet probablement contreproductif d’une rencontre avec les architectes français. Le mérite revient à cet historien d’avoir exhumé cette initiative méconnue, oubliée ou occultée, et d’avoir analysé avec précision les raisons pour lesquelles certains architectes ont été retenus, et d’autres pas.
D’aucuns pourraient s’étonner, par exemple, de ne pas voir Le Corbusier dans cette liste, bien qu’il alla jusqu’à résider pendant plusieurs mois dans un hôtel de Vichy pour tenter d’obtenir une commande importante. Le Corbusier n’était guère choqué, en effet, par les orientations du Régime de Vichy. Bien avant la guerre de 1939 – 45, il était proche de certains milieux d’extrême droite, notamment de Georges Valois, fondateur du Faisceau qui écrivait en 1927 : « Le Corbusier est tout simplement un homme de génie qui a conçu, comme personne ne l’a fait jusqu’ici, la Ville moderne. […] ces conceptions grandioses expriment la pensée profonde du fascisme, de la révolution fasciste […]. Or, le fascisme, c’est exactement cela, une organisation rationnelle de toute la vie nationale ».
Six mois après s’être installé à Vichy, le gouvernement du Maréchal Pétain, adoptait la loi du 31 décembre 1940 qui réservait l’inscription des architectes au tableau aux seuls titulaires d’un diplôme (DPLG). Cette loi de protection du titre fit chuter de moitié (à 6 000) le nombre des professionnels du secteur, estimé en 1939 à 12 000 environ.
Les bénéficiaires de cette mesure malthusienne accueillirent favorablement ce texte, sans trop s’inquiéter de dispositions excluant les juifs, les Francs-Maçons et les opposants notoires au Nouveau régime, pas plus que de la suppression des syndicats. La période qui suivit l’armistice de juin 1940 ne peut pas être considérée, avec le recul, comme un après-guerre mais elle a été ressentie comme tel par une partie de la population.
Dans les derniers mois de l’année 1940, après l’Appel du 18 juin, certains ne se résignent pas à la défaite. Les initiatives se multiplient. Agnès Humbert, historienne de l’art, membre du groupe du Musée de l’Homme, premier groupe de résistance en zone occupée édite, avec Jean Cassou et Pierre Brossolète, un journal clandestin Résistance (5 numéros paraîtront du 15 décembre 1940 à fin mars 1941.) Elle recrute pour le réseau l’architecte Adolphe Dervaux (1871 – 1945), auteur d’un fameux candélabre Art Déco du métro de Paris (en 1920.)
C’est un des rares noms d’architecte que l’on trouve parmi les premiers résistants, avant la dénonciation du pacte germano-soviétique qui marquera l’engagement du Parti Communiste. C’est le projet de Front National, lancé en mai 1941, dirigé par le philosophe Georges Politzer (fusillé le 23 mai 1942 au Mont Valérien) qui fera apparaître sur le devant de la scène clandestine, son successeur, l’architecte Pierre Villon (1901 – 1980), de son vrai nom Roger Ginsburger.
Fils d’un rabbin alsacien, cadre du PCF depuis 1934, il avait auparavant joué un rôle important au sein de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) devenant secrétaire de la section architecture, où l’on trouvait aussi André Lurçat et Charlotte Perriand. Au printemps 1942, Villon s’impose comme cheville ouvrière du Front National qui se défendait de tout ostracisme à l’égard des non-communistes et se déclarait ouvert à tous ceux, notamment les Gaullistes, qui luttaient contre l’Occupant et le Régime de Vichy.
Après avoir rencontré le Colonel Remy, émissaire du Général de Gaulle au printemps 1943, il entra au sein du Conseil National de la Résistance, fut l’un des principaux auteurs de son programme (adopté en mars 1944) et fut aussi l’un des artisans de la fusion des FTP avec les FFI.
Après la guerre, il fut député de l’Allier jusqu’en 1978. Il avait épousé Marie Claude Vaillant Couturier en 1949. (Distinctions : Légion d’honneur, Croix de guerre et médaille de la Résistance avec rosette.)
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