En mai 1968, l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts est, avec la Sorbonne, l’un des épicentres de la contestation étudiante. Il s’y déroule une manifestation au cours de laquelle plusieurs centaines d’architectes solidaires des élèves, déchirent leur carte de l’Ordre des Architectes dans la cour de l’Ecole…
En 1970, l’Union nationale des syndicats français d’architectes (UNSFA), présidée par Pierre Glénat, et le Conseil régional de l’ordre des architectes d’ile de France (CROAIF), que préside Jean Connehaye, confient une campagne de sensibilisation des pouvoirs publics et de l’opinion publique à Havas Conseil Relations Publiques (H.C.R.P.) pour sortir du cadre de la loi de Vichy du 31 décembre 1940, replâtrée en 1945.
Il s’agit de mettre en œuvre une série d’actions de relations publiques (selon la terminologie de l’époque), que l’on appellerait aujourd’hui lobbying et communication. L’action de sensibilisation s’organise au moment où le ministère de la Culture publie le Rapport Paira. Une campagne éclair de 10 mois (Fin 1970 – 1971) met en oeuvre trois actions principales, conduites principalement par l’UNSFA avec l’appui de H.C.R.P.
– Une enquête IFOP sur l’architecture et l’environnement construit (un cauchemar pour 69 % de l’échantillon représentatif selon la méthode des quotas) révèle un constat alarmant qui permet d’appuyer les points de vue de la profession car les architectes n’interviennent que dans moins de 25 % des constructions, en raison de l’obsolescence de la loi de 1940 qui protège le titre d’architecte mais pas la fonction.
– La rédaction d’un Livre Blanc sur l’architecture (1971) étoffe ce constat et plaide pour la reconnaissance d’une « fonction architecturale » d’intérêt public en même temps que l’apparition d’un « homme nouveau » en architecture.
– La mobilisation de la profession : les Syndicats et l’Ordre – c’est l’union sacrée – organisent des réunions dans la plupart des régions autour d’un audiovisuel qui développe les thèmes de la campagne et rappelle en conclusion la phrase de Paul Valéry : « Ceux des bâtiments qui ne parlent, ni ne chantent, ne méritent que le dédain » (Eupalinos, ou l’Architecte)
Une quatrième initiative, méconnue, conduite discrètement auprès de la majorité parlementaire de l’époque, fut le dépôt d’une proposition de loi sur l’Architecture, n° 2154, dite Carter/Catalifaud (premiers signataires), le 15 décembre 1971 par 32 députés UDR qui définit, avec l’assentiment de la Profession, une fonction architecturale d’intérêt public, et des modes d’exercice tout à fait nouveaux, sortant très largement du cadre habituel de la profession libérale.
Cette proposition de loi ouvrait sans restriction l’exercice professionnel aux sociétés civiles professionnelles et aux sociétés commerciales (art.18), pourvu que l’indépendance du ou des architectes soit assurée par une position majoritaire (51%). Ce texte prévoyait également une formation permanente obligatoire pour les architectes.
Rappelons qu’à cette époque (1970 – 71) trois ministres de la Culture (Edmond Michelet, puis André Bettencourt par intérim et Jacques Duhamel) se succèdent rue de Valois sans avoir dans leurs cartons la moindre proposition de réforme.
La proposition de loi ne pouvait donc mieux tomber. Mais c’était compter sans quelques dissensions internes de la profession entre les partisans de la tradition, l’oeil rivé sur le Code Guadet, et les modernes qui n’étaient pas loin de penser, comme Fernand Pouillon, que le louage d’ouvrage pouvait aussi bien s’appliquer à la maîtrise d’oeuvre.
Cette proposition de loi, pourtant rendue publique à l’occasion d’une conférence de presse, ne fut guère exploitée lorsque la rue de Valois se décida, à l’initiative de Jacques Rigaud (directeur du cabinet de Jacques Duhamel) à présenter une loi qu’il envisagea même de baptiser « De l’Architecture », avant de s’apercevoir que Vitruve (De Architectura) avait la paternité du titre depuis 15 ans avant notre ère !
Il est permis de penser, avec le recul, que des dispositions de ce texte auraient permis une toute autre évolution du secteur de la construction si les architectes avaient pu constituer des sociétés commerciales avec d’autres professions du bâtiment (entrepreneurs, promoteurs, constructeurs de maisons individuelles notamment) à la condition de rester majoritaires. Ce dispositif aurait entraîné un profond bouleversement mais certainement permis d’éviter la loi MOP de 1985 (dont les décrets ne paraîtront qu’en 1993), qui s’est traduite par une lutte d’influence féroce, portée par le ministère de l’équipement, entre ces mêmes professions. Le dernier avatar étant, en 2003, la création des PPP…
En 1971, 1972, l’administration réagit prudemment (Rapport Paira, propositions Denieul). La proposition de loi n°2154 ne fit l’objet d’aucun commentaire et fut ignorée par la rue de Valois. Elle est également ignorée par l’historiographe officiel, Eric Langereau, auteur de l’État et l’Architecture (Picard).
Un projet de loi ne sera inscrit à l’ordre du jour du Sénat qu’en 1973 (défendu par Maurice Druon) et n’ira pas au-delà de la 1ère lecture en raison d’une vive opposition de la profession, invitée à financer une aide architecturale gratuite (ébauche des C.A.U.E.) en contrepartie d’un recours obligatoire incertain. Une occasion ratée.
Syrus
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