
Frédéric-Charles Aillet, Raphaël Favory et Pierre Sarrien, les trois associés de Sempervirens, réunissent des compétences en paysage, urbanisme et aménagement du territoire. Depuis 2008 et leur premier projet pour l’ambassade de France à Tokyo, l’agence a su trouver une place singulière dans le paysage de la maîtrise d’œuvre. Rencontre.
Derrière une porte bleue, au 43 rue Lepic, au pied de Montmartre dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Dans un passage couvert, des artisans au travail ; Goudji, orfèvre de réputation mondiale, y martèle encore les épées de nos académiciens. Sur la gauche, derrière une mince paroi vitrée, l’agence Sempervirens est logée sous deux plafonds bas à colombages. Quatre cinq silhouettes s’y déploient.
Frédéric-Charles Aillet et Raphaël Favory, les deux autres associés et paysagistes de l’agence, se trouvent chacun en réunion, c’est donc Pierre Sarrien, paysagiste dplg également, qui reçoit. Des plans punaisés recouvrent les murs, des monceaux de matériaux sont entassés sur des étagères ; sur l’une d’elle, tout en haut, les petits yeux denses d’une fouine empaillée semblent toiser le visiteur. A l’étage, deux autres paysagistes s’affairent. Un peu de musique, quelques échanges à voix basse, de nouveaux plans très vite punaisés aux murs.

«Les paysagistes aujourd’hui voient leur métier se transformer. Nous sommes comme de nombreux professionnels de notre génération, celle qui consiste à restreindre son intervention artistique, et préfère laisser la nature faire son œuvre», explique Pierre Sarrien. Les éléments de sa démonstration se succèdent, comme les plans, très vite… les personnalités de chacun, la botanique, la géologie, Darwin, Linné, l’art cinétique, les projets, le Chili, les voyages, …. «Vous trouvez vraiment qu’il y a un fil conducteur dans ce que je raconte?» interroge-t-il, soudain songeur.
En 2007, Aéroports de Paris Ingéniérie (ADPI) remporte le concours de l’Ambassade de France à Tokyo avec, pour les aménagements extérieurs, Frédéric-Charles Aillet, Raphaël Favory et Pierre Sarrien, pourtant encore salariés de différentes agences d’architecture parisiennes mais réunis à l’initiative de Frédéric.
Raphaël et Pierre se sont rencontrés à l’ENSP Versailles. Frédéric-Charles est un ami, un passionné d’art et d’architecture. «On verra bien», se disent-ils. Il fallut voir vite car, pour un premier projet gagnant, celui du paysage de l’Ambassade française à Tokyo était conséquent avec ses 2M€ de budget (extérieurs). En 2008, l’agence Sempervirens (toujours vert en latin) était née.
La structure en acier de cette grande sculpture, métaphore de paroi rocheuse répondant à l’architecture et composée de feuilles recouvertes de béton projeté de différentes tailles s’imbriquant les unes aux autres, permit de s’adosser au mur de soutènement et d’abriter ainsi le couloir technique de maintenance. L’étude de l’environnement local permit enfin aux jeunes paysagistes d’implanter différentes variétés de plantes pionnières et de transformer cette paroi en un grand écosystème. Massive sans être imposante, cette intervention paysagère renforce désormais l’identité et la qualité du projet architectural de cette ambassade. L’ensemble de la profession en France et à l’étranger a d’ailleurs salué la performance. Livré en 2011, ce premier projet a été primé par le AIA Prize 2012 (The American Institute of Architects) et par les Victoires du Paysage en 2014.

Comment inscrire dans la durée un tel galop d’essai ? «Par la concertation», répond Pierre. Nul angélisme cependant. La passion de leur métier est forte pour ces hommes de l’art et les désaccords ne le sont pas moins. Par une curieuse alchimie, le trio fonctionne en s’appuyant sur leurs différences et, alors que l’agence fête ses dix ans en 2018, c’est bien un sentiment d’unité, de cohésion qui émerge de leurs réalisations. En témoigne la vingtaine de projets en cours.
Selon Pierre Sarrien, le traitement du paysage est un dialogue nécessaire et visible entre le bâti et son environnement. A ce titre, Sempervirens semble adopter deux postures permettant de créer cet effet de tête-à-tête. La première consiste à se réapproprier sous un mode paysager une caractéristique architecturale forte du projet et à la réadapter sous une forme paysagère. C’est le cas notamment du réaménagement du quartier du Chaperon vert à Arcueil Gentilly (94).

Les façades des immeubles sont structurées suivant une trame composée de carrés de même format. Cette forme est reprise dans l’espace public avoisinant par l’emploi de massifs de fleurs blanches disposés en lignes et formant des carrés de taille identique. Cette référence à l’art cinétique engendre des effets de trompe-l’oeil inédits en fonction du passage des usagers dans l’espace, réinjectant ainsi une dimension ludique à l’ensemble du projet.
Dans d’autres projets, à l’instar de celui délivré à l’Ambassade de France à Tokyo, la relation entre le paysage et l’architecture se caractérise cette fois-ci par le contraste entre bâti et paysage. Le projet paysager de la tour mixte conçue par Jakob +MacFarlane à Knokke-Le-Zoute en Belgique engendre un décalage entre le bâtiment, massif, coloré, aux formes géométriques symétriques, et ses jardins suspendus contenant des arbres étranges, d’aspect fantomatique, comme déformés par le passage du vent.

En effet, les essences sélectionnées par l’équipe ont une ramification souple qui plie mais ne casse pas sous l’effet de la force des éléments puisque, à Knooke-Le-Zoute, les vents marins peuvent atteindre dans les étages supérieurs une vitesse élevée. Au lieu de tenter d’atténuer les effets de cette contrainte, les paysagistes l’ont exploitée comme un élément conceptuel et identitaire fort du projet.
«On ne dessine pas toujours des jardins au sens strict du terme ; on fait bien souvent de la nature, on l’observe, on l’adapte, on la transpose», souligne Pierre Sarrien. C’est le cas notamment lorsque l’agence compose des toitures végétales. Le contexte aussi est adapté, comme à Toulouse, où les nombreux tessons issus de la découverte de vestiges archéologiques sont utilisés pour la réalisation des soutènements de la venelle, et à Dijon où deux cèdres devant être abattus sont directement transformés sur site afin de créer du mobilier d’accueil.

Ainsi la plupart des projets de l’agence contiennent des éléments autonomes et proposent des processus autosuffisants nécessitant peu de maintenance. Ils en deviennent lisibles et intelligibles, même aux yeux du néophyte. Cette apparente simplicité est issue des passions multiples des trois compères toujours ré-observées sous des angles originaux, de la taxonomie à la géologie. «Le point de vue d’un auteur de science-fiction comme Herbert Frank, passionné d’écologie, est très inspirant car il s’agit de processus, d’une écologie inventée mais pas exemptes de processus à redécouvrir», explique Pierre Sarrien.
Etude des processus en guise de méthode ? «Il est important de faire preuve de bon sens, de ne pas appliquer de recettes toutes faites et de se méfier des engouements… Les gens sont plein de bonne volonté mais cela prend du temps pour intégrer de nouvelles habitudes. Répéter dix fois, vingt fois les choses sans agacement fait partie de notre job. La dimension pédagogique – exprimée sans arrogance – me semble très importante aujourd’hui», conclut-il.
Awen Jones
