Des bâtiments sont-ils maudits ? Le Stadium de Vitrolles de Rudy Ricciotti, abandonné depuis 1998 ? La Canopée à Paris, livrée en 2016 dans d’infinies douleurs par Berger-Anziutti ? L’ancienne école d’architecture de Nanterre de Jacques Kalisz et Roger Salem fermée depuis 2004 ? Le Stade de la Licorne de l’atelier Chaix&Morel est de ceux-là.
Ce bâtiment, livré en 1999 par l’agence parisienne, se retrouve dans l’actualité parce que le samedi 30 septembre 2017, au cours d’un match officiel, une barrière s’est effondrée sous la pression de supporteurs lillois apparemment trop heureux que leur équipe marque un but. Maintenant que nous savons qu’il n’y a pas eu de morts et que tous les blessés sont rentrés chez eux, on peut se dire que ces fans en sont quitte pour une gamelle monumentale. Mais pour l’architecte qui a construit ce stade, c’est une souffrance.
Nous nous étions fait l’écho le 30 mai dernier à propos de ce si joli stade de la Licorne* qui se devait soudain de faire bonne mine à cause de l’arrivée inopinée de l’équipe première en Ligue 1, l’élite du foot L’occasion de découvrir un bâtiment dans un triste état, laissé à l’abandon par ses maîtres d’ouvrage successifs pendant 16 ans. A l’évocation de toitures présentant de «graves dangers», le désarroi des architectes était manifeste.
L’information fut au mois d’août reprise et développée par le journal L’Equipe puis, une (mauvaise) nouvelle chassant l’autre, elle est sortie de l’esprit de tout le monde. Jusqu’à ce que s’effondre la barrière.
L’enquête déterminera les raisons exactes de cet effondrement en particulier mais, à relire notre article du 30 mai, il est permis de penser que le manque d’entretien aussi prolongé d’un bâtiment n’affecte pas que ses parties visibles. Si une voiture n’est pas entretenue pendant 16 ans, qui peut prévoir d’où viendra la panne ? La peinture extérieure, encore ça se voit.
Ou peut-être y a-t-il une sorte de fatalité, ce bâtiment est maudit et c’est comme ça.
Pour le coup, comment va faire le Stade amiénois pour la fin de sa saison ? Jouer encore dans son stade qui s’effondre au-dessus et au-dessous ? Jouer au foot sur une scène de crime, au milieu des experts ? Quels supporters voudront y revenir ? Quels fans visiteurs voudront payer leur ticket direct pour l’hôpital ? Qui va oser y faire venir les superstars du PSG dont un seul joueur pèse plus que le stade de la Licorne, l’équipe d’Amiens et tous ses supporters réunis ? Au risque que Neymar ne se blesse dans l’écroulement du vestiaire ?
Le coup est terrible pour les architectes que leur si beau stade soit à nouveau condamné à cause de l’impéritie de la maîtrise d’ouvrage.
Que faire d’un stade qui ne sert plus à rien ? Un stade, ce n’est pas comme une banque, ou un immeuble de logement, ou un siège social pour lesquels on peut toujours trouver de nouveaux usages, et pour lesquels des architectes et associations peuvent toujours se mobiliser. Un stade, surtout un stade de foot comme celui de la Licorne, n’a qu’un seul usage. D’ailleurs des activités multiples sont aujourd’hui la clef du financement des nouvelles ‘Arenas’ à la mode mais la réflexion des maîtres d’ouvrage et des architectes n’en étaient pas là en 1999 pour le stade de la Licorne. Alors pour un bâtiment qui se révèle dangereux pour le public qu’il accueille, qu’en faire, sinon le détruire ? Qui y aura-t-il pour le regretter sinon ses concepteurs et peut-être quelques poètes parmi les fans du stade amiénois?
Sauf que s’il faut détruire ce damné ouvrage, il faudra en construire un autre, aux frais des contribuables bien entendu parce qu’en l’état actuel des choses, d’aucuns voient mal cette équipe de foot, déjà mal embarquée dans le championnat, financer et construire son propre stade.
Peut-être la seule chose qui peut sauver leur bâtiment à Chaix&Morel est qu’il coûte trop cher à détruire et reconstruire. Sauf qu’en ce cas les 9 M€ prévus pour la seule toiture ne suffiront pas à la réhabilitation après l’incident de la barrière qui s’écroule. Ce sont les contribuables locaux qui devraient être contents. A Amiens, s’ils veulent garder leur stade, la maîtrise d’ouvrage va devoir apprendre à s’en occuper parce que, à ce tarif, ça commence à faire très cher la négligence.
Cela écrit, l’effondrement de cette barrière pose une question d’architecture. En effet, la célébration des fans qui courent en une seule vague vers la barrière pour célébrer un but est une action qui participe à l’émotion forte ressentie par les fans ultras dans tous les stades. Doit-on les en priver ? Qui décide ? Pour éviter ces ‘vagues’ après un but, des stades ont installé des fauteuils dans les tribunes visiteurs et les kops, sauf que ces fans préfèrent être debout et que les services de secours ont constaté un nombre impressionnant de foulures et autres fractures à cause de ces aménagements tandis que les blessés par vagues sont plutôt rares. Faut-il pour leur sécurité assoir les fans de force ?
Les drames des stades du Heysel en Belgique en 1985 (39 morts et plus de 454 blessés) et de Furiani à Bastia en 1992 (18 morts et plus de 2 300 blessés) ont permis à chaque fois de faire évoluer la doctrine et la capacité des stades à gérer les foules. S’il ne faut pas interdire purement et simplement ces vagues de supporteurs joyeux, comment conserver son caractère festif à l’évènement ? Quels aménagements et/ou solutions techniques sauront concilier sécurité et enthousiasme légitimes ? C’est une question pour les architectes. Et pas seulement dans les stades.
A condition bien sûr que, quelle que soit la ou les solutions retenues, le maître d’ouvrage s’occupe de les entretenir…
Christophe Leray