
Le Studio Bellecour a livré deux opérations de 55 et 52 logements, à Montpellier et Paris respectivement, qui ont pour particularité que Christian de Portzamparc était les deux fois architecte de la ZAC. Voici donc ici l’interprétation de Wilfrid Bellecour, avec deux réponses différentes, du concept de l’îlot ouvert.
Wilfrid Bellecour (Studio Bellecour) et son équipe ont pu expérimenter les règles urbaines que propose Christian de Portzamparc dans deux contextes urbains différents : l’un à Paris Rîve gauche -ZAC Massena, l’autre à Montpellier-ZAC Les jardins de la Lironde. «Architecte en chef de ces deux ZAC, Christian de Portzamparc prouve qu’il est un urbaniste contextuel. Tout en appliquant les fondamentaux de son principe d’îlot ouvert, il a su prendre en compte les environnements donnés et les densités demandées très différents d’un cas à l’autre ; nous nous sommes glissés dans les volumes théoriques offerts et avons respecté les exigences architecturales prescrites,» explique Wilfrid Bellecour, qui parle de «boîte à outils».
A Montpellier comme à Paris, la notion d’îlot ouvert donne aux volumes bâtis un dialogue riche de perceptions tridimensionnelles variées. Loin de la monotonie de rues composées d’éléments identiques et répétitifs, les respirations créées par le jeu d’alternance de pleins et vides offrent de proche en lointain de surprenantes percées visuelles. Parfois biaises et incidentes, ces échappées du regard s’animent au gré de volumes et traitements de façades propres à l’identité de chaque opération.
«Dans un cas comme dans l’autre, cette même notion d’îlot ouvert sert la qualité des vues et apports lumineux dans chaque logement jusqu’au rez-de-chaussée. Le jeu de quinconce des volumes bâtis donne au quotidien de chaque cellule d’habitation une individualité visible de l’extérieur et perçue de l’intérieur,» poursuit Wilfrid Bellecour.
A Paris, le tracé viaire traditionnel existant aux franges de la ZAC Masséna associé à l’exigence d’une densité forte ont conduit Christian de Portzamparc à concevoir un quartier mixte orthogonal et structuré. Jardins, parcs, rues et avenues s’organisent de manière assez traditionnelle offrant toutefois des artères de largeurs très variables empruntées à l’analyse d’exemples d’autres quartiers ou villes depuis quelques siècles.

A Montpellier, la liberté d’un parc paysagé dans lequel la proportion de bâtis est à l’opposé des exigences de Paris, conduit Christian de Portzamparc à offrir des prescriptions architecturales plus marquées. C’est par un autre biais qu’il est amené à marquer la cohérence et la cohésion des éléments bâtis. Pour les jardins de la Lironde, l’implantation plus libre des constructions est rendue cohérente par l’imposition plus forte d’éléments marquant de l’architecture.
Ainsi un béton texturé, une palette de couleurs pour les corps de bâtiments et des sur-toitures de couleur identique sont imposés. «Loin de subir ce qui pourrait sembler dogmatique, nous avons joué de cette palette de création. Elle permet de rester en harmonie avec nos voisins tout en étant particulier,» souligne Wilfrid Bellecour. «Si à Montpellier des navires ou bâtiments semblent flotter dans un océan de verdure, à Paris un savant découpage de jardins hauts et bas, privés et publics, apparaissent comme un patchwork de campagne, harmonieux et intégré à la ville,» dit-il.
Christophe Leray
« Fleur de Seine » (M3B2), 52 logements – Paris Rive Gauche – Quartier Masséna – Paris 13

L’enjeu est ici de concilier les qualités spatiales de la rue traditionnelle, ses prospects étroits, son ambiance, sa densité, avec les aspirations contemporaines de lumières, de vues et d’espaces paysagers. L’îlot ouvert substitue alors à la rue ‘corridor’, marqué par la continuité de ses alignements, une rue tenue par les façades discontinues des différents objets architecturaux qui la constituent. Ces discontinuités maîtrisées et finement calibrées pour préserver une perception globale de continuité urbaine et de « parois » de rue permettent alors au soleil de pénétrer en coeur d’îlot et aux regards de profiter à la fois de vues proches, lointaines et biaisées. Elles permettent parallèlement de faire participer le traitement paysager des îlots à l’ambiance de la rue elle-même.
« Fleur de Seine »… Ici donc, la ville déroule un long tapis d’îlots en pente douce vers le fleuve et ses immeubles scandent depuis l’avenue de France un parcours vers la Seine. D’un côté, la rue Françoise Dolto, large et plantée et la Halle aux Farines, au profil sage et ordonné avec son rythme calme de travées et sa voûte de béton. De l’autre, toute aussi universitaire mais inédite, la rue Hélène Brion et ses hauts redents de terre cuite et de zinc comme un grand et long château de cartes généreusement et géométriquement poinçonnées.

Devant, quelques onze étages en strict pignon parisien barrent le regard et les vues, tandis qu’un autre corps de bâtiment, de moindre hauteur, présente, faute de mieux, un dos aimable. Enfin, sur l’arrière, de tout aussi hautes figures, celles-ci parées de brun et d’or, se dressent implacablement : totems hiératiques se jouant faussement de la pesanteur.
« Fleur de Seine », dernière case vide à investir dans cet environnement de forte densité et de hauts bâtiments, nécessitait d’enraciner le projet au sol pour ensuite aller chercher la lumière, ce qui conduit à « ruser » avec des prospects serrés.
Le projet
Très vite, les trois blocs prévus initialement pour occuper le lot sont devenus deux : il était en effet important de mieux unifier l’ensemble du projet et d’aller chercher des points hauts là où cela restait encore possible, afin d’y installer le programme et ses exigences. Alors les deux immeubles se sont naturellement séparés, ne laissant entre eux qu’une étroite faille biaise, non pas comme un entre-deux dramatique mais comme la trace d’un glissement entre l’un et l’autre, la distance nécessaire et suffisante pour jouer de l’unité de l’ensemble et de la distinction de chacun. Le projet installe alors ces deux bâtiments, l’un sur la rue Françoise Dolto, l’autre sur la rue Hélène Brion, avec chacun son adresse et son autonomie. Un passage couvert à rez-de-chaussée les relie et assure la traversée de l’îlot.

La rue Françoise Dolto est large ; elle permet des possibilités aisées de dégagement visuel et une confrontation sereine avec la Halle aux Farines. Le projet devait ici composer avec les deux immeubles des parcelles voisines et compléter le dispositif pour que la logique d’objets, crée, malgré les discontinuités, une séquence unifiée de rue. Pour cela, il était intéressant de tirer partie du socle de commerces sur lequel se posent les logements. Il était également opportun d’assumer et même d’exploiter la grande hauteur des opérations voisines et de considérer l’ensemble comme un cadre : le plan de la façade, plus bas que ses voisines, vient alors en légère lévitation dans cet écrin. Il crée une présence claire et lumineuse.
Son motif, comme un pavillon tourné vers la ville, permet à la fois de « tenir » la rue et son alignement et d’unifier la séquence en une figure d’ensemble malgré la disparité des matériaux et des couleurs. Il permet également, de ménager des échappées visuelles depuis certains appartements vers la Seine. Sur cette rue, le second bâtiment, très en retrait, se dévoile à peine : contrepoint et accompagnement discret. De fait il appartient à l’autre rue.

La rue Hélène Brion est beaucoup plus étroite. Elle est dominée par les hauts bâtiments de l’université qui contribuent à lui donner une silhouette encaissée et des parois un peu abruptes. Profitant du jardin appartenant à la parcelle, le projet se propose alors d’installer une véritable respiration dans le parcours. Les deux bâtiments tirent au mieux partie de leur élancement et de leur décalage. Ils jouent de leur différence de hauteur et d’un « air de famille » pour instaurer une dynamique verticale et infléchir l’ordre orthogonal qui préside ici à l’organisation de la rue.
Les deux bâtiments sont reliés par une rue intérieure et tous les logements bénéficient d’un séjour d’angle qui offre des vues en fonction du contexte. Les logements du bâtiment A sont orientés de telle façon que ceux qui possèdent un séjour rue Françoise Dolto offrent une vue directe sur la Seine. Les balcons comme de généreux tiroirs vous projettent dans la ville. Les terrasses dominantes offrent également des vues sur les quais.
Le projet « Fleur de Seine » consacre le premier bâtiment Kaufman & Broad certifié H&E (profil A)
« Les Jardins Harmony », 55 logements – Les Jardins de la Lironde, ZAC Port Marianne Ile C / Ilôt C2

Non loin du centre de la ville, les Jardins de la Lironde proposent l’opportunité d’une nouvelle démarche architecturale et urbaine. Ici, le paysage mérite de s’intégrer à une nouvelle forme d’habitat. L’individualisation de chaque projet s’organise sur la base d’une complicité d’ensemble, à l’échelle de ce morceau de territoire en pleine mutation. Cette nouvelle façon d’habiter se traduit par une nouvelle typologie soucieuse, par essence, de son environnement et du dialogue riche qu’elle peut entretenir avec lui. L’intégration environnementale n’est alors pas ce mimétisme timide qui se voudrait caméléon. Elle est, de façon plus convaincante et volontaire, la manière d’organiser avec justesse cette rencontre avec le paysage.
L’architecture est alors là pour se porter garante et organiser cette rencontre : les trois plots qui composent le projet s’installent sur un socle de béton texturé de légères vibrations. Sur ce socle ancré au sol, les plots s’organisent alors en figures géométriques simples jouant d’évidements pour alléger la composition et de plans colorés pour en souligner l’effet.

L’ensemble est couronné de sur-toitures teintées, une façon d’accentuer cet allègement et de définir une ligne de ciel dynamique et élégante. Au-delà et dans le même mouvement, à l’échelle de chaque appartement, l’enjeu est celui de la lumière et des vues, d’un confort d’hiver tout comme d’été et d’un confort acoustique. Il se complète tout naturellement par l’utilisation de matériaux simples et durables (béton, enduits, ….) garants d’un entretien aisé et d’une vie pérenne.
Le projet
Le projet constitue une partie de l’île C, divisée en deux lots qui se partagent le même socle. Il s’organise en trois plots sur ce socle de béton architectonique aux allures de bossage irrégulier ligné de motifs ondoyants. Ce socle de béton architectonique affirme les limites franches de l’île et constitue l’un des thèmes communs à l’ensemble des opérations des Jardins de la Lironde. Ces trois plots viennent clore la perspective en bordure d’un profond jardin public, délimité sur ses côtés latéraux par deux autres îles.
Deux de ces plots, en première ligne, encadrent, côté est, le troisième en retrait et sensiblement plus haut. Dans ce dispositif classique de profondeur et de cadrage perspectif, il n’est pas question d’ordonnancement statique. Le travail d’évidement des volumes, les douces inflexions des toitures préfèrent jouer de fausses symétries et instaurer un « colloque » d’objets à la fois calme et dynamique à la manière d’une ligne musicale installée sur la longue portée horizontale du soubassement.

Parallèlement, dans l’esprit du cahier des intentions architecturales, mais sans recours littéral à la stratification décrite par celui-ci, se met en place verticalement un mouvement d’allègement, du bas vers le haut, depuis le socle fortement ancré dans le sol jusqu’aux sur-toitures de béton teinté, l’autre thème fort qui unifie l’ensemble des bâtiments et permet de masquer l’ensemble des émergences techniques en toiture.
A l’opposé, côté parc, les bâtiments s’ouvrent généreusement, les appartements se prolongent en terrasses, balcons et loggias comme tendus vers la lumière et offerts à l’étendue du paysage. Une petite construction jouxtant le bâtiment le plus haut se pose dans le jardin privé et abrite sur trois niveaux des terrasses extérieures privatives. Au pied des bâtiments, et s’articulant sur le parc public, ce jardin privé s’organise en petits bosquets d’arbres sur une belle pelouse.
Le fonctionnement du projet
L’ensemble du projet regroupe 55 appartements – du T2 au T4 – répartis dans les trois plots. Les deux plots sur rue, dits bâtiments 2 et 3, comportent 5 niveaux sur rez-de-dalle et abritent respectivement 17 et 16 appartements. Le plot sur parc, dit bâtiment 1, comporte 7 niveaux sur rez-de-dalle et abritent 22 appartements. Le socle lui-même abrite pour l’essentiel un parc de stationnement couvert, organisé en boxes fermés (69 places couvertes), dispositif complété par 28 places extérieures, soit un total de 97 places.

Les deux plots sur rue sont accessibles à la fois depuis la rue et depuis le socle grâce à un hall sur deux demi niveaux, qui permet également l’accessibilité aux handicapés depuis la rue à tous les niveaux des bâtiments et au socle à l’aide de l’ascenseur double service prévu. Le plot sur parc est accessible depuis le jardin privé qui borde l’île et depuis le socle grâce à un hall sur deux niveaux. Le socle est accessible indépendamment des bâtiments par un jeu d’emmarchements entre les bâtiments 1 et 2. Il est ainsi possible de rejoindre chacun des trois bâtiments depuis l’intérieur de la propriété et en particulier depuis le parking extérieur.
Le projet « Les Jardins Harmony » a reçu la Pyramide d’argent 2006 dans la catégorie du confort et de la qualité de vie au naturel.

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 25juin 2008