Je faisais tout à fait autre chose quand, ce 25 octobre 2021, je reçois le communiqué de presse suivant intitulé : « Botanys transforme la capitale en immense jardin à ciel ouvert pendant 10 jours, à partir du 25 octobre ». Ha bon, me dis-je, encore un coup hidalgien de ‘greenwashing’…
Je lis donc plus avant. Et là, bam ! « À l’occasion de son arrivée sur le marché français, Botanys vient fleurir Paris par le biais de petites oasis éphémères. Dès lundi [24 octobre], en pleine capitale, plusieurs centaines de pousses de chanvre auront été plantées dans les mini-jardins et espaces végétalisés de Paris par la marque ; devant des lieux iconiques tels que l’Arc de Triomphe ou le Sacré-Cœur, mais également devant des points d’intérêt relevant du domaine du bien-être (coiffeur, spa, hammam, salle de sport) ».
J’ai besoin de relire avant de me rendre à l’évidence.
Des pousses de chanvre relevant du « domaine du bien-être » ? Dans les spas ? Chez les barbiers ? Elle est au courant Anne Hidalgo, maire de la ville et candidate à l’investiture suprême, de la végétalisation au chanvre de la capitale ? Ou, face aux coups de menton autoritaires d’Emmanuel Macron, autre candidat, y aurait-il un message (de gauche) caché dans cette action d’évidence bienfaisante ?
En effet, dans la novlangue du temps présent, « il s’agit ici d’offrir un peu de nature aux Parisiens tout en les sensibilisant à la nécessité de savoir prendre du temps pour soi. Une ode à la contemplation et au self-care qui résonne à la perfection avec le manifesto de la marque : pour ceux qui sont en quête de l’équilibre parfait, ceux qui sont à la recherche des meilleurs remèdes, à la fois naturels et performants : nous avons créé Botanys », poursuit le communiqué de presse. D’évidence, Botanys, ce n’est pas de la moquette !
C’est sûr que le chanvre pour l’équilibre et le bien-être, c’est canon. Et Bob Marley et Peter Tosh ‘Legalize it’ pour l’ambiance festive ? Une bonne façon sans doute de faire baisser les incivilités, d’autant qu’il s’agit de produits « fabriqués en Suisse avec la rigueur de maîtres botanistes dont l’obsession est de créer des formules toujours plus efficaces mettant en exergue le savoir-faire millénaire des plantes. Parce que la nature est généreuse nous nous devons de l’être aussi : en innovant pour trouver de nouveaux médiums pour l’apprécier, en perfectionnant nos méthodes d’extraction, de filtrage et de concentration, en rendant son pouvoir accessible à tous ». Bref, ce n’est pas de la Beuh de Panou-Panou.
Botanys fait alors remarquer dans son communiqué qu’il s’agit « de la première fois qu’un dispositif de végétalisation d’une telle envergure est mis en place par une marque » ! Première fois ? D’aucuns se souviennent du concours Botany for Change il y a cinq ans qui proposait déjà la même idée mais sur seulement deux jours, du 20 au 22 mai 2016, et sur une toute petite échelle. Et il n’était pas question de chanvre ! Comme quoi, l’ambition…
Toujours est-il que, à en croire ce communiqué, il est ici bien question de végétalisation de la capitale ! C’est Anne Hidalgo qui doit être contente. Elle devrait donner un coup de fil à Gérald Darmanin. Si le ministre de l’Intérieur veut faire du chiffre, de Notre-Dame au Sacré-Cœur, selon Botanys, il a où donner de la tête ! À moins bien sûr que les gamins ne descendent fissa de leurs banlieues armés jusqu’aux dents de sécateurs pour éradiquer cette concurrence déloyale. À moins que les riverains n’aient plus tôt encore fait leur fête aux pieds de chanvre, pour le bien-être participatif de la communauté locale, cela va de soi !
Certes, il faut imaginer que ce chanvre-là est inoffensif au possible mais bon, au prix de la campagne de communication, il n’est pas destiné à faire des cordes. Et, certes, ce n’est pas un pied ici où là qui risque de défoncer la ville mais ne manquerait plus que l’herbe des dieux des sauvages, qui pousse comme du chiendent, se mette à proliférer dans tous ces délaissés urbains parisiens, jardins et bacs d’agriculture désertés par les abeilles… Bob Marley AND the Wailers !
Même si le secret de l’opération de com semble avoir été bien gardé jusqu’à l’envoi du mail à la presse à 16 h précise et sans doute que s’il n’était les photos, nul n’en saurait jamais rien mais, au moins, Botanys ne se cache pas. Le communiqué précise qu’il s’agit d’une jeune marque fondée en 2021 par « Benjamin », lequel propose différentes gammes exclusivement produites en Suisse, « terre réputée pour la richesse de sa filière du cannabis et la qualité de ses produits ». « C’est la recherche du bien-être de chacun qui nous pousse à bien faire les choses », conclut Benjamin. Ha la qualité suisse… Dont acte à Paris.
Il est certain que pour son opération, Benjamin a obtenu toutes les autorisations nécessaires. Planter du chanvre devant la tour Eiffel, comme planter quoi que ce soit devant la tour Eiffel d’ailleurs, ne doit pas être possible sans autorisation sauf à imaginer que la ville se fiche de voir des gugusses planter du cannabis dans ses jardins publics. La preuve, pendant les dix jours que dure la manifestation, les passants auront « la possibilité de participer au grand concours de lancement de la marque pour tenter de gagner une année entière de produits Botanys adaptés à leur profil ». De fait, « ces plantes, siglées aux couleurs de la marque et munies d’un QR code, offriront à ceux qui les scanneront des codes promotionnels ». Et au cinquième achat, un séjour en Jamaïque ?
En tout cas, il suffit de prendre connaissance du rapport* écrit par le Colorado Department of Public Safety (Division of Criminal Justice – Office of Research and Statistics) et publié en 2019 pour mettre en perspective la politique française en la matière. Pour résumer : le ciel n’est pas tombé sur la tête des habitants du Colorado depuis la légalisation de l’usage récréatif du cannabis en 2013.
Dans ce document très complet – comparer un rapport américain à nos rapports français, c’est demander à un Australien de choisir son sous-marin – outre la baisse drastique du nombre d’amendes, d’arrestations, de passages devant la justice, d’incarcérations, de tensions avec la police, etc. le tout pour un nombre d’utilisateurs resté peu ou prou constant entre avant et après la légalisation, ce qu’auront surtout retenu les habitants du Colorado est que le total des revenus issus des impôts, licences et taxes liés à la loi sont passés de +67 millions de dollars en 2014 à +387 millions de dollars en 2020 (+ 473 %).
En conséquence, tel que l’impose la loi de 2013, le montant de ces taxes transféré au budget de construction des écoles et à celui de l’enseignement public a augmenté de 264 %, passant de 33 millions de dollars en 2015 à 120 millions de dollars en 2020.
Baisse des coûts, augmentation des recettes, une corne d’abondance pour les écoles et l’éducation ? Quand Botanys et son chanvre s’invitent à Paris pendant dix jours, s’agit-il disais-je, de la généreuse promesse, de gauche, d’une candidate à la présidence ?
Christophe Leray
Pour lire le rapport (en anglais) : Impacts of Marijuana Legalization in Colorado