Patrick Bobin est adjoint au directeur du patrimoine de l’Université Paris Ouest Nanterre. A ce titre, c’est lui qui a supervisé la réalisation du nouveau bâtiment Max Weber*, livré en février 2016 et conçu par l’architecte Pascal Gontier. Dans un marché des nouvelles technologies appliquées au bâtiment toujours plus porteur, il fait part en tant que maître d’ouvrage de sa volonté de disposer d’un outil opérationnel. C’est bien le moins. Entretien.
Pour le bâtiment Max Weber, qui valorise en un même lieu les laboratoires de sciences humaines et sociales de l’université, l’architecte s’est appuyé sur les exigences environnementales comme moteur d’innovation et de création architecturale. Il s’agit en l’occurrence, selon son concepteur, du plus grand bâtiment de bureaux 100% bois en France. Ses cinq niveaux sont 100% en structure bois, y compris les cages d’ascenseurs et d’escaliers, tandis que les plateaux de bureaux sont exempts de faux plafonds et de faux planchers techniques. Ce bâtiment de type passif, sans climatisation, est ventilé naturellement grâce à un dispositif architectural qui se manifeste en toiture par 25 cheminées de ventilation de 3,70 mètres de haut.
Chroniques : De plus en plus de systèmes et d’applications de toute sorte élargissent le champ des possibles dans le domaine de la construction. Quelle est votre approche à ce sujet?
Patrick Bobin : La question, dans un marché en plein développement, est celle de la stabilité dans le temps de ces solutions et leur pérennité. Pour un exploitant, la notion de temps est essentielle car la rapidité d’évolution des systèmes est différente de l’échelle du temps du bâtiment. Entre le temps de la construction – le délai entre la décision de le construire, le concours et sa livraison – et le temps nécessaire aux essais d’exploitation, il se passe quatre ou cinq ans au minimum. Où en étaient les systèmes informatiques il y a cinq ans ?
La problématique du temps invite donc à s’interroger sur la pérennité des systèmes, surtout quand ils sont par ailleurs assez lourds à mettre en place. Quand un logiciel est abandonné ou que l’entreprise qui le produisait fait faillite, quand un logiciel, malgré le travail fourni par l’équipe, ne fonctionne plus au bout de trois mois, cela peut se révéler être une vraie mauvaise expérience.
L’innovation technologique a pourtant toujours fait partie de la construction ?
Malgré mon jeune âge (40 ans. ndr), j’ai connu l’époque des régulateurs de chauffage que l’on pouvait programmer sur un petit écran LCD (rires). Mis en service dès le début des années 90, ils fonctionnent toujours aussi bien même s’ils ne sont bien entendu plus adaptés aux constructions d’aujourd’hui. Mon point est que, en tant qu’exploitant, la fiabilité à l’échelle de temps du bâti des nouveaux matériels et systèmes technologiques et informatiques doit être une source de réflexion. Un ouvrage à la pointe de la technologie pourquoi pas, au contraire, mais, en tant qu’exploitant, je dois me plonger dans l’après : une solution ultra-performante et ultra-communicante, c’est très bien pour un smartphone, mais est-elle adaptée à l’usage de mon bâtiment ? Il importe selon moi de se doter d’outils robustes et efficaces qui s’inscrivent dans l’échelle de temps d’un bâtiment.
Comment faire la part des choses ?
Mon sentiment est que l’on bénéficie d’un bon niveau d’informatisation puisque l’on peut programmer quasiment tout ce que l’on veut. Nous sommes régulièrement sollicités pour toutes sortes de solutions, du relevé de compteur par GSM (Global System for Mobile Communications) à la détection de présence dans les bâtiments par exemple. Pour nous, qui gérons un ensemble de 160 000m², un logiciel de pilotage automatique des relevés est une avancée importante car il évite d’avoir à effectuer la tournée des compteurs, laquelle consomme de la ressource humaine. De plus, les compteurs n’étant pas toujours accessibles aisément, une extraction et communication informatique de ces données est donc une solution contemporaine réellement innovante. De même nous disposons aujourd’hui d’outils d’analyse beaucoup plus fins que nos prédécesseurs.
Une difficulté est la multiplicité des solutions de ce type – comment reconnaître la plus robuste ? -, une autre difficulté est que ces solutions sont généralement ‘propriétaires’. Certes, «toutes vos données vous appartiennent» nous dit-on mais, pour lire ces données, il faut le logiciel ad hoc car ces produits et objets ‘communicants’ ne parlent pas la même langue. L’ambiguïté de ces systèmes est ainsi que l’on en devient dépendant. Pour les systèmes techniques de nos bâtiments, nous devrions pouvoir compter sur une pérennité d’au moins 10 ou 15 ans. Or, si l’on considère que, il y a dix ans, le smartphone n’existait pas, il est impératif de ne pas se laisser séduire à court terme avec des solutions qui offrent apparemment facilité et confort mais dont la fiabilité demeure une question en suspens.
Quel est le poids économique de ces nouvelles technologies ?
Si je reprends l’exemple de mes compteurs et qu’il ne me faut plus que deux heures au lieu de deux jours pour effectuer les relevés, que je dispose de résultats précis et d’un outil d’analyse me permettant de mieux comprendre mes consommations, je peux imaginer un rapide retour sur investissement. La nouvelle technologie informatique propose donc dans ce cadre un effet positif et un gain concret même si, au bout d’un moment, les marges d’économie et l’effet d’optimisation se réduisent. Mais, j’y reviens, la clef demeure la stabilité dans le temps des systèmes et des innovations sinon il y a le risque de la redondance des investissements.
Un autre enjeu est celui de la formation. Telle société ou maître d’ouvrage va présenter un super bâtiment, un fleuron, lequel sera géré par des gens formés à ce type de management. Mais il ne s’agit que de la face émergée de l’iceberg. Dès le niveau en dessous, les techniciens d’entreprises sont moins à la pointe de la technologie et donc moins performants. On retombe sur la notion de temps mais cette fois le temps des hommes. Le temps d’intégration de ces technologies pointues par des techniciens lambda est difficile à cerner. Imaginons par exemple un exploitant de chauffage sur un gros site qui doit changer aujourd’hui les centrales de traitement d’air et de récupération d’énergie : le technicien, s’il ne connaît pas ces nouvelles machines, devra se former et, dans la course à l’échalote des nouvelles technologies, le risque d’épuisement n’est pas à sous-estimer.
Une montée en compétences des personnels techniques ne se fait pas en deux jours, ce d’autant plus que, pour ce qui concerne par exemple le chauffage ou les automatismes, nous avons souvent à faire à de petites ou moyennes entreprises. C’est ce pourquoi il faut à mon sens distinguer le «champ des possibles» et le réel avant de céder aux sirènes de la technologie.
Qu’en est-il selon vous des outils et systèmes dédiés aux consommations énergétiques ?
C’est en effet un enjeu de baisser les consommations énergétiques et tous les acteurs de la construction s’en sont saisi, qu’il s’agisse du quotidien chez soi, au bureau, à l’école, etc. Mais, pour ce qui concerne l’usage d’exploitation, l’essai reste à transformer car s’il y a en effet des solutions économes en énergie elles sont souvent trop précises ou trop cadrées et leur efficacité dans la durée parfois mal appréhendée.
Il est ainsi très intéressant d’expliquer aux maîtres d’œuvre que les usagers du bâtiment utiliseront l’espace comme ils le veulent, non comme ils le devraient. Donc, dans le domaine des consommations d’énergie, il faut demeurer pragmatique et intégrer dès la conception les contraintes et problématiques de l’exploitation si l’on veut éviter l’usine à gaz. En effet, le niveau de performance désormais attendu requiert un pilotage de plus en plus fin, or la cible étant de plus en plus réduite, il est d’autant plus aisé d’en sortir. Il y a le discours marketing mais au-delà des jolis mots, des jolis chiffres et de la course aux labels, il y a la vraie vie où les gens sont normaux.
La recherche de solutions pérennes n’empêche pas l’innovation, au contraire, mais à ce titre la complémentarité avec la maîtrise d’œuvre est un enjeu. Pascal Gontier avait une sensibilité initiale au sujet de ces questions d’exploitation et j’ai senti sa volonté que tout fonctionne bien dans le temps mais il ne m’a pas proposé des compteurs d’eau datant de Mathusalem (rires). Du coup, en termes de ventilation naturelle et de confort, sa réponse, simple et basique en apparence, permet d’offrir des sensations que nous éprouvions auparavant mais dans un cadre technique, technologique et réglementaire tout à fait contemporain.
Propos recueillis par Christophe Leray
*Lire notre article A Nanterre, la ventilation naturelle envoie du bois