Voilà un architecte qui n’a jamais construit en France, qui à notre connaissance n’a même encore jamais rien gagné en France, et ce n’est pourtant pas faute d’essayer, mais est cependant retenu sur des concours aux six coins de l’Hexagone dès qu’il s’agit de construire un centre aquatique. Par quel miracle ?
Avouons-le, il y a peu, personne n’avait entendu parler de Ton Venhoeven. Il n’était nulle part, sauf pour ses copains archis de l’école d’Amsterdam. Il est aujourd’hui partout, notamment en France, surtout en France. Il a par exemple été retenu encore récemment sur le concours d’un centre aquatique à Gif-sur-Yvette, sur le Plateau de Saclay, avec Bouygues Bâtiment Ile-de-France et l’agence 2/3/4/, la même équipe étant également en compétition pour la conception-construction et exploitation-maintenance du futur Centre Aquatique Olympique à Saint-Denis. Du lourd !
En toute discrétion, tout a (bien) commencé pour Ton Venhoeven en 2014 quand l’agence est remarquée avec Eole MicroCity, un projet non construit d’hôtel de 200 chambres et de Sports center à Paris porté par ICADE. Suffisant apparemment pour être retenu en 2016 sur le concours de la piscine Serpollet, dans le XXe arrondissement de Paris (concours gagné par Chabanne & Partenaires).
Puis tout s’est (bien) emballé. Venhoeven CS, le nom de l’agence fondée en 1995, est retenue la même année pour un centre nautique à Saint-Malo (Jacques Rougerie lauréat), puis sur le concours de la Piscine Olympique de Lille Métropole (Auer Weber lauréat), sur celui du Centre Aquatique des Marquisats à Annecy, en Haute-Savoie, puis celui de La Grenouillère à Antony-Sceaux dans les Hauts-de-Seine, et encore semble-t-il pour le centre aquatique de Marville (Seine-Saint-Denis), avant donc de poursuivre ce cycle vertueux avec Saclay et Saint-Denis, deux gros équipements s’il en est.
Pas mal en trois ans, surtout en sortant de nulle part donc. Bref, pour Venhoeven CS, qu’il s’agisse d’une stratégie ou d’un réseau, quelque chose fonctionne. (Sollicitée à ce sujet, l’agence n’a pas donné suite.)
Nous avons déjà évoqué dans ces pages l’impact de l’arrivée de grosses agences de culture anglo-saxonne se jetant sur le marché français avec un appétit d’ogre. Encore s’agit-il de pointures internationales, BIG, Snøhetta, etc. venues pour réaliser des ouvrages prestigieux.*
Mais là, pour une piscine, une agence étrangère inconnue ! Pas une fois, pas deux fois, toujours la même, retenue cinq ou six fois ! Qu’est-ce qui peut bien expliquer une telle réussite ? Ce ne peut en tout cas pas être juste un concours de circonstances…
Outre le talent – c’est une évidence, à ce rythme c’est un futur grand – Il y a évidemment plusieurs hypothèses.
Notons en premier lieu que la plupart de ces projets français sont portés par Bouygues Bâtiment et on voit mal 2/3/4/ à Paris ou Atelier 9.81 à Lille refuser l’offre de concourir sur une telle compétition, même si on leur colle un Néerlandais dans les pattes. Mais pourquoi diable Bouygues ferait-il appel à un architecte d’Amsterdam pour construire ses piscines ? Il ne trouve donc pas son bonheur en France ?
Notons encore que ni 2/3/4/ ni Atelier 9.81 n’ont de références en centres aquatiques. Or une piscine est un équipement technique compliqué qui requiert un vrai savoir-faire. Un architecte ayant construit un hôpital ou une prison, des projets d’une grande complexité conceptuelle, saura construire une piscine, mais ce n’est pas parce que l’on a construit une école ou un gymnase que l’on saura construire ce type d’équipement. D’où sans doute pour des agences novices en la matière la volonté légitime, pour apprendre, de chercher à s’associer avec ceux qui savent.
Bouygues, en Major avisée, sachant que le marché des centres aquatiques est en pleine expansion, serait donc en train de former son pool d’agences avec lesquelles répondre dans le futur sur ce type de compétition. Très bien, mais alors pourquoi Venhoeven CS ?
L’agence Néerlandaise a bien quelques références en piscines, quatre construites depuis 2006, ce qui n’est pas un exploit. Aucune de ces réalisations, ni très grandes ni très chères, ne se révèle d’un prestige particulier et rien décidément ne semble distinguer cette agence de dizaines d’autres un peu spécialisées. De fait, tant en taille de l’équipement et d’importance de son budget qu’en termes de capacité de production, nombre de cabinets français ont des références qui soutiennent facilement et largement la comparaison avec celles de VenhoevenCS, tout en connaissant déjà les normes et la réglementation. Mais ceux-ci ont bien du mal à se placer dans les concours.
Certes l’intérêt pour des agences françaises d’une telle association permettant d’acquérir un savoir-faire et des références pour le futur est donc bien compréhensible. Mais alors, quitte à vouloir se développer, pourquoi aller chercher loin une agence amstellodamoise dont les projets construits – des boîtes peu convaincantes et souvent sombres à l’intérieur – n’ont jusqu’à ce jour pourtant impressionné personne. Ha si, l’agence fut publiée dans un magazine en Roumanie !
Mais peut-être les agences françaises répugnent-elles à former leurs futurs concurrents et défendent-elles leur marché ? D’où l’obligation d’aller chercher des compétences à l’extérieur ?
En tout cas, pour ce qui le concerne, Ton Venhoeven veut bien venir travailler en France sachant que son marché à lui est verrouillé et qu’un Français n’est pas près d’y construire une piscine, ni d’ailleurs en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, etc., ni même d’être retenu sur un concours ! D’ailleurs, pour l’agence VenhoevenCS, tout va bien à domicile avec trois projets inaugurés depuis 2015, dont un en Belgique, et au moins trois en cours. Visiblement, l’agence peut s’appuyer sur un service du développement vraiment tip top.
D’autant que, puisque Ton Venhoeven semble s’entendre si bien avec Bouygues, nul doute que la Major française saura se saisir de l’opportunité de faire du business à l’étranger et saura appuyer les efforts de l’agence amstellodamoise en ce sens. A mettre en regard avec les volées de bois vert distribuées alertement par ces mêmes Majors quand un architecte français parvient à construire à l’étranger et qu’il a l’outrecuidance de vouloir travailler avec une boîte locale de construction.
Enfin, pour finir, nous savons certes l’appétence des élus français pour les marques d’architecture étrangères. Mais est-il bien nécessaire et opportun de s’exciter à ce point pour des centres nautiques, des gymnases ou le local de service des agents municipaux ?
Un exemple au hasard. Pour la transformation de la piscine d’Antony, dans le parc de la Grenouillère, un budget de 44M€ quand même (livraison prévue 2023), quatre candidats retenus** : l’inévitable Venhoeven, Dietmar Feichtinger, 4A Architekten. Chabanne & Partenaire est l’intrus. Si ce n’est pas de la défiance de la part de la maîtrise d’ouvrage pour les architectes français, cela y ressemble.
Il sera intéressant d’écouter les justifications, sans doute fondées, de Patrick Devedjian, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine maître d’ouvrage, lorsque les finalistes et le lauréat de ce projet seront révélés.
Surtout que dans la même ville, Antony, était inauguré en 2018 le centre nautique Pajaud dessiné par l’architecte Jean-Pierre Vidal (BVL Architecture), habituellement pas manchot en ce domaine. «Un équipement qui réussit à être fonctionnel et beau», se félicitait alors Jean-Yves Sénant, le maire d’Antony, lors de l’inauguration le 5 mars 2018. Patrick Devedjian, qui était présent ce jour-là, n’a pas dû être convaincu.
En tout cas, Ton Venhoeven, qui finit à lui seul par prendre beaucoup de place, aurait donc bien tort de se priver. À force de tenter sa chance…
Christophe Leray
*Lire à ce sujet notre article France terre d’accueil
** Mise à jour (05/06) – Au lendemain de la publication de l’article, le département nous faisait parvenir la liste précise des groupements admis à concourir. Le paragraphe original citait cinq agences au lieu de quatre : VenhoevenCS, Dietmar Feichtinger, Baumschlager Eberle, Auer Weber, Chabanne & Partenaire. Il manquait 4A Architekten et Baumschlager Eberle et Auer Weber n’en pouvaient mais. Il y avait donc des trous dans le tuyau. Nos excuses aux agences concernées.