La compétition est ouverte depuis longtemps. Qui aura le bâtiment le plus haut du monde ? Une affaire de prestige, de statut social des villes, parfois déguisé en recherche de densification, pour préserver les sols « naturels ».
Le prestige, assurément, car l’exploit technique de la très grande hauteur n’est pas donné à tout le monde. Les défis sont nombreux, fondations, structure, sismicité, ouragans et cyclones, insertion dans la ville, desserte et réseaux divers, sécurité, énergie, ventilation, et entretien, modes d’exploitation, gouvernance de l’ouvrage et souvent mixité des usages, et bien d’autres approches « hard » ou « soft » que vous voudrez bien ajouter.
Un immeuble de plus de 500 m de haut donne à voir la richesse et la puissance de son propriétaire, et de la ville. Que penser de la Djeddah Tower, à Djeddah, architecte Adrian Smith, 167 étages, 1 km de haut, en chantier depuis 2013, même si elle n’est pas encore livrée à la suite de nombreux avatars ? Qui dit mieux ? Les alpinistes en quête d’exploit n’attendent que ça !
Il est vrai que, dans certains cas, la hauteur des immeubles offre une solution à une pénurie de terrains constructibles. Le Japon, entre mer et montagne, ou Hong Kong* en sont de bons exemples. Ce ne sont pas alors des immeubles monuments mais des immeubles qui sont hauts. La terre est une ressource rare, il faut l’économiser.
Il lui est demandé tellement de services ! Elle doit nous nourrir, fournir de l’énergie, produire des matériaux et matières premières pour l’industrie, nous offrir des lieux d’agrément et des beaux paysages, absorber l’eau de pluie et en réguler le régime, concentrer autant de carbone possible pour lutter contre l’effet de serre, offrir le gîte et le couvert à la faune et à la flore sauvages, et bien d’autres services encore, notamment accueillir l’habitat humain et les villes.
La densité de population, voilà la solution ! Plus de monde à l’hectare, et tout le monde dans des villes, et des villes denses s’il vous plaît ! Ce raisonnement peut se tenir si on sépare chacune des nombreuses fonctions énumérées ci-dessus. Il faudrait alors que la fonction « habitat humain » soit concentrée sur la plus petite surface possible, pour laisser de la place aux autres.
Il en va tout autrement avec une logique de conjugaison des différentes fonctions. Peut-on obtenir des services de natures différentes sur le même terrain ? Il semble bien que ce soit une tendance qui se dégage actuellement. Le concept de ville nourricière, capable de produire une partie de ses besoins alimentaires, se développe, aussi bien dans les pays du Sud que ceux du Nord, dans des contextes très différents. Des projets futuristes parfois, avec l’autonomie alimentaire et énergétique en perspective.
La ville peut aussi capter de l’énergie. En plus de ce qu’elle produit, comme ses déchets qui peuvent être transformés en énergie (incinération, fermentation), la récupération de la chaleur des eaux grises, ou la biomasse de ses espaces publics, les surfaces bâties (murs et toits) de la ville peuvent devenir autant de capteurs d’énergie solaire. Des éoliennes urbaines peuvent être installées sur les bâtiments. Des pompes à chaleur peuvent aller puiser de l’énergie dans des nappes souterraines. Les sous-sols peuvent stocker le froid ou le chaud, et assurer le volant nécessaire pour passer les périodes non productives.
Dans notre pays, le débat porte essentiellement sur les tours. Spécialement à Paris, qu’il faudrait densifier notamment avec les tours, aux portes de la capitale. Est-ce une bonne idée ? Surtout, le problème est-il bien posé ? Paris est déjà une des capitales les plus denses au monde. Bien plus que New York et même que Tokyo. Plus dense, il y a Dhaka, Manille et Le Caire, avec plus de 40 000 habitants au kilomètre carré, puis Calcutta (25 000), Shanghai (24 000) et Bombay (23 000), et ensuite Paris (21 000), le double de New-York (10 000). Les capitales occidentales sont loin derrière, comme Londres avec 4 500.
Faut-il donc encore accroître la densité de Paris, ou bien celle du Grand Paris, d’un Paris élargi à la zone agglomérée qui l’entoure ? Quand sont comparées non plus les villes stricto sensu mais les agglomérations, le paysage change complètement : Avec 990 habitants au km², Paris est dans la moyenne, 1 130 à Londres, 1 096 à New York. Tokyo atteint 4 550 hab/km².
C’est le Grand Paris qui pourrait chercher à se densifier, non Paris. Ce serait plutôt l’envie de construire des tours qui aurait conduit Paris à invoquer le besoin de densification, non l’inverse. Ajoutons que les construire en limite de la ville centre renforce la séparation Paris-Banlieue, à l’encontre du discours dominant de continuité.
Ce serait plutôt en changeant d’échelle, en élargissant le périmètre de la capitale comme Londres, par exemple, a su le faire, que la quête de densité prend son sens. Le Grand Paris pourrait être une vraie réponse, et les tours, si besoin il y a d’en édifier, y apporterait le prestige et les signes de reconnaissance nécessaires pour apporter à la banlieue ses lettres de noblesse.
C’est la diversité des activités et le statut ressenti de ces territoires, qu’il est permis de caractériser avec le mot « intensité », qui y permettra la densité.
Dominique Bidou
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* Lire par exemple : H Code, par CL3, un IGH convivial dans le contexte dense de Hong Kong