C’est de nouveau le Tour de France et, comme chaque année, tous les jours pendant des heures sur les ondes nationales et mondiales, les commentateurs vont nous servir une ode au patrimoine de la France profonde, et va les vues d’hélicoptère de la vieille église et du vieux château qui datent de Mathusalem.
La course, avec tous ses suiveurs, est pourtant un modèle de modernité et de technologie. Il n’y a que les commentaires qui n’ont pas évolué depuis le porte-plume et les encriers d’Antoine Blondin dont d’aucuns se souviennent des affinités politiques.
Alors pour faire le pendant des discours lénifiants, voici à destination des suiveurs du Tour, des amateurs de cyclisme et de tous les amoureux de la France profonde, le Tour de France, étape par étape, de l’architecture contemporaine. Départ le 7 juillet de Noirmoutier pour une arrivée à Paris le 29 juillet.
ÉTAPE 1 201 KM NOIRMOUTIER-EN-L’ÎLE / FONTENAY-LE-COMTE
D’abord, on commence la course en mangeant des huîtres sur les terrasses de Noirmoutier. Puis c’est parti. Mais, en Vendée, où trouver autre chose que des vieilles pierres et de vieilles idées ? Jusqu’au Puy-du-Fou, le département baigne dans la nostalgie ! Pourtant, sur la route de Fontenay-le-Comte, faire un détour au milieu de nulle part, littéralement, entre Les Roches et La Tardière et découvrir Ostardéria, une salle de spectacle conçue par l’agence nantaise GLV et livrée en 2014. Là, en plein entre les bourgades des Roches et de La Tardière, dans un contexte vendéen inimitable, un bâtiment aussi radical que le Stadium de Rudy Ricciotti à Vitrolles. Un tribut à la résilience de l’esprit de progrès. Au final, typique vendéen mais excellent. C’est parti donc.
ÉTAPE 2 182.5 KM MOUILLERON-SAINT-GERMAIN / LA ROCHE-SUR-YON
Puisque le Tour reste en Vendée, les amateurs doivent impérativement aller à Challans pour visiter le ‘magasin de cycles’ conçu par Ronan Prineau Architecte. Pour des suiveurs supposés aimer le vélo, ce petit détour de 50 bornes par rapport au tracé de la course s’impose. «Le magasin de cycles occupe une position stratégique entre le centre-ville et les infrastructures périphériques. Par sa volumétrie orientée et ses façades changeantes au gré du temps, ce projet articule la ville et sa périphérie», explique l’homme de l’art. Dit plus simplement, un bâtiment dans son architecture et ses usages dessiné pour les amoureux de la petite reine (et ses copines motorisées).
ÉTAPE 3 35.5 KM CHOLET / CHOLET
Cholet, bien qu’en Maine-et-Loire, c’est déjà ou encore la Vendée et les Chouans. Plutôt que visiter le musée du mouchoir et celui des guerres de Vendée, sniff…, faire un tour au Théâtre St-Louis. Dessiné par l’agence Deshoulières et Jeanneau, ce théâtre est aménagé dans un ancien hôpital qui a remplacé un couvent. Une première phase, engagée en 1999, avait permis la naissance d’un conservatoire de musique, de danse et d’art dramatique. Parallèlement, la chapelle de l’hôpital a été transformée en auditorium. Patrimoine patrimoine vs patrimoine contemporain, l’un n’empêche pas l’autre. Un théâtre signal ? Deshoulières et Jeanneau (avec Lafourcade et Rouquette architectes associés) n’en demandaient peut-être pas tant mais ils signent.
ÉTAPE 4 195 KM LA BAULE / SARZEAU
Après La Baule, bienvenue dans le Morbihan. Avant d’arriver à Sarzeau, sur la route du Tour, poursuivre après Vannes jusqu’à au village de Baud. Arrivé là, visiter le ‘pôle culturel breton’ signé d’une jeune agence architectes vannetais, Studio 02 (Romain Grégoire et Thomas Collet). C’est dans le centre du bourg, vous ne pouvez pas rater cette médiathèque du troisième type. Avis aux suiveurs : comme quoi, dans les villages, d’irréductibles Bretons croient en l’avenir et n’en ont pas peur.
ÉTAPE 5 204.5 KM LORIENT / QUIMPER
A Lorient, avant de prendre la route de la côte à vélo et de risquer une bordure à cause du vent du large, se réconcilier avec Eole en faisant un tour à la Cité de la voile Eric Tabarly signée de Jacques Ferrier. L’architecte est parvenu à rendre hommage aux éléments – l’eau de mer, le soleil, le vent – du nautisme et de la course au large sans tomber dans les poncifs du vocabulaire marin. Il est permis d’aller rêver dans sa tour des vents (du large) !
Enfin, pour ceux qui veulent être à l’arrivée à Quimper sans pédaler, prendre le train. Passer alors par la nouvelle gare de Lorient signée AREP, Ti-gare an Orient Kresteiz Breizh en breton. Avec elle Lorient n’est plus un cul-de-sac mais une destination. Ce n’était pas gagné ! A Lorient, une ville créée de toutes pièces, l’avenir c’est toujours demain…
ÉTAPE 6 181 KM BREST / MÛR DE BRETAGNE GUERLÉDAN
A Brest, avant de se prendre le Mûr de Bretagne qui fait si mal aux jambes, il y a l’embarras du choix pour l’échauffement. Allez jusqu’au plateau des Capucins, exemple concret de la revitalisation des villes portuaires à la française. Ne pas prendre le téléphérique, qui risque d’être en panne. Commencer la promenade à la bibliothèque François Mitterrand, inaugurée le 16 mars 2017 par François Hollande, réalisée par Atelier Canal – Patrick Rubin avec Annie Le Bot – dans les anciens ateliers de la Marine, une nef aux dimensions spectaculaires.
Avant de repartir, faire un tour au French Tech Village, ouvert en mai 2017, et découvrir l’œuvre plastique de l’architecte Pierre Henri Argouarch.
ÉTAPE 7 231 KM FOUGÈRES / CHARTRES
Départ de Fougères, en Ille-et-Vilaine. Puisque la course aime à musarder dans la campagne, les suiveurs ont le temps de faire un détour au sud-ouest de Rennes pour découvrir la mairie de Saint-Jacques-de-la-Lande signée LAN. Il s’agit là d’une autre illustration de la capacité d’une petite ville à allier une stratégie urbaine avec un geste architectural. Et puis, pour ceux que la course ennuie et qui souhaitent rentrer chez eux, l’aéroport Rennes-Saint-Jacques, dont l’extension est signée Ducroq, Jean et Hosfeld et la tour de contrôle de Philippe Brulé, est juste à côté.
ÉTAPE 8 181 KM DREUX / AMIENS MÉTROPOLE
Pour les amoureux du sport, comme tous les suiveurs du tour, après l’arrivée au sprint de l’étape à Amiens, entre les soins et le ‘debrief’, faire un tour jusqu’au joliment nommé stade de la Licorne. Contre toute attente, et malgré un manque d’entretien du maître d’ouvrage quasi obsessionnel, par la grâce d’une montée en Ligue 1, le très beau et très léger stade de foot signé Chaix & Morel connaît une véritable résurrection. Tant mieux car voici un stade contemporain mais à l’ancienne, à la campagne, ouvert sur le ciel plutôt que sur le sponsor.
ÉTAPE 9 156.5 KM ARRAS CITADELLE / ROUBAIX
Les amateurs, particulièrement les fans de Paris-Roubaix, connaissent bien les fanfares du Nord. Exactement à mi-chemin du tracé de l’étape du jour, les suiveurs qui auront pris un peu d’avance s’arrêteront pour visiter l’étonnante conversion du site 9-9 bis de la mine d’Oignies en équipement culturel par l’agence Hérault-Arnod. Voir/écouter notamment l’étonnant ‘Métaphone’, bâtiment-instrument dédié aux musiques actuelles. Ne pas manquer la salle des pendus revisitée. Bluffant et enivrant. Et ainsi va la fanfare…
Journée de repos à Annecy
ÉTAPE 10 158.5 KM ANNECY / LE GRAND-BORNAND
Puisque voici les étapes de montagne dans les Alpes, et comme cette semaine commence par une journée de repos, c’est l’occasion pour les suiveurs qui ne connaissent ni le lac ni l’architecte Maurice Novarina de faire un tour au théâtre du nom de ce dernier réhabilité par l’agence grenobloise Wimm Architectes. Sur la rive du lac Léman, à Thonon–les–Bains, le théâtre Maurice Novarina fut, en 1966, l’une des premières Maisons de la Culture voulues par André Malraux. Instrument de démocratisation culturelle, il orchestrait la fluidité d’espaces multiples logés dans un polygone vitré appuyé sur un bâti en béton, réservé à l’administration. Ca vaut !
Sur la route du retour vers l’hôtel, s’arrêter puis faire le tour à pied de la nouvelle cuisine centrale municipale, livrée à Annecy en 2017 par Ligne 7 architecture. Lumière naturelle le plus possible dans des locaux aux normes artificielles, une gageure ?
ÉTAPE 11 108.5 KM ALBERTVILLE / LA ROSIÈRE ESPACE SAN BERNARDO
Une étape de montagne, dure, mais qui, malgré deux cols hors catégories, ne devrait pas faire la différence pour les leaders de la course. Pour le coup, les suiveurs peuvent aller faire un tour au stade municipal. Séquence émotion garantie ! Livré en 1991 par Ligne 7 – oui la même agence de Montreuil dans le 9-3 qui a livré la cuisine municipale d’Annecy – ce stade correspond à l’anneau de vitesse des jeux olympiques d’Alberville en 1992. Souvenirs, souvenirs. C’est aujourd’hui un stade omnisports mais, pour les suiveurs du tour, un petit parfum de J.O. (2024). Jeter un coup d’œil à l’ex village olympique avant de partir.
ÉTAPE 12 175.5 KM BOURG-SAINT-MAURICE LES ARCS / ALPE D’HUEZ
Une étape pour costauds, trois cols hors catégorie et une arrivée en côte à la mythique Alpe d’Huez. Pour les suiveurs lambda, impossible d’être en direct sur la course, trop de monde, trop de tensions, les accréditations sont rares. Bref, à part pour les initiés, mieux vaut redescendre dans la vallée et plutôt que des images superbes de pics inhabités et de moutons sauvages (comme on dit en Savoie) diffusées sur les écrans petits et grands, préférez une descente de l’Isère en attendant de retrouver les coureurs à leur hôtel. Attention, programme chargé.
Inévitable, la maison du département de l’Isère à Voiron (Isère) livrée à l’été 2015 et conçue par Gilles Perraudin avec pour l’essentiel des matériaux naturels issus de l’économie locale. Si la forme de l’ouvrage, avec un soubassement en pierre sans ostentation, est inspirée des maisons dauphinoises traditionnelles, l’écriture de sa façade en bois est contemporaine et rythmée. A voir.
Dans la descente, jeter un coup d’œil au Groupe scolaire de Villard-Saint-Christophe de l’architecte Vincent Rigassi (RA2) puis, pour qui aime la construction bois, s’arrêter pour une pause au Pôle multi-accueil de Tencin signé R2K. Les plus curieux et les plus courageux pousseront via une petite route jusqu’à Saint-Jean-de-Vaulx pour découvrir le stand de tir de l’architecte Philippe Maillard. Savoir-faire local ?
ÉTAPE 13 169.5 KM BOURG D’OISANS / VALENCE
Une étape pour souffler et laisser les sprinters s’expliquer sauf si un baroudeur… Pour les suiveurs, à mi-course le temps est venu de se reposer. Prévoir donc une nuit réparatrice à Teyssières, au lieu-dit Les Chauvins dans la Drôme. C’est un détour par rapport à Valence mais au moins c’est quasiment au cœur du ‘Parc naturel régional des Baronnies provençales’ (c’est son nom, je n’invente rien. NdA). Là, découvrir le culot des architectes Fanny Roussin et Stéphanie Dambielle (RD Factory). Cela changera les suiveurs de leurs chambres habituelles sur la route du tour. On dit merci qui ?
ÉTAPE 14 188 KM SAINT-PAUL-TROIS-CHÂTEAUX / MENDE
Un profil d’étape accidenté pour baroudeurs à grosses cuisses. Pas un profil pour les coureurs de Chroniques. De la Drôme à la Lozère en traversant l’Ardèche, rien qui ne revienne en mémoire. Pour le coup, nous avons trouvé cette photo d’une maison individuelle signée d’Arnault Guin, architecte à Désaignes en Ardèche. C’est sur la route du tour. Si quelqu’un en sait plus, prévenir les suiveurs du Tour de France. Et prévenir l’hélicoptère des télés.
ÉTAPE 15 181.5 KM MILLAU / CARCASSONNE
Pour la traversée de l’Aveyron, avant que les équipes ne s’emballent dans un sprint à l’arrivée à Carcassonne, plutôt que retourner au viaduc archiconnu, aller découvrir la salle de spectacle signée CoCo architecture. Le projet est implanté à proximité du centre-ville d’Olemps, «ville nouvelle» de 3 500 habitants, située en périphérie de l’agglomération de Rodez. Une ville nouvelle près de Rodez, cela vaut le détour, non ?
Journée de repos à CARCASSONNE
Journée de repos également pour le suiveur qui se contente de faire un tour sur les remparts et d’acheter des souvenirs pour sa famille avant de se coucher de bonne heure car cela fait deux semaines que ça dure et que le patrimoine, ça rassure et émerveille une fois de temps en temps.
ÉTAPE 16 218 KM CARCASSONNE / BAGNÈRES-DE-LUCHON
Au départ de Carcassonne, éviter Mazamet et son gymnase maudit. Puis, comme de toute façon il n’y aura pas assez de place pour tous sur les hauteurs de Bagnères-de-Luchon, autant faire le détour, surtout en hélicoptère, par la Haute-Garonne. Là, pour quiconque préfère l’architecture contemporaine aux vieilles pierres et faux châteaux cathares, suivre le guide en cliquant ici. Vous pouvez commencer par le Centre Technique Municipal de Blagnac signé NBJ.
ÉTAPE 17 65 KM BAGNÈRES-DE-LUCHON / SAINT-LARY-SOULAN
ÉTAPE 18 171 KM TRIE-SUR-BAÏSE / PAU
ÉTAPE 19 200.5 KM LOURDES / LARUNS
Pour la traversée des Pyrénées, juge de paix de ce Tour de France, les suiveurs regroupent les étapes. Ce n’est rien que de la montagne et c’est dur pour tout le monde, surtout en plein cagnard, en troisième semaine. Alors, pendant le contre-la-montre et pour éviter la fringale, prévoir une escapade dans le village de Banca, aux confins du Pays basque, où la famille Goicoechea a transformé un bout de montagne en un vivier unique d’où ils extirpent la Rolls de la truite, au goût et à la texture sans égal. Quitte à parler de patrimoine, la truite des Goicoechea fait appel à des sensations immémoriales et le lieu est splendide.
En redescendant de la montagne, chercher sur un guide les réalisations de l’architecte Patrick Arotcharen. N’importe laquelle vaut le déplacement et d’y réfléchir. Lui-même ne construit que dans le coin, ne communique pas, c’est-à-dire qu’il ne dit rien à tort ou à travers. Bienvenue en Pays Basque. Puisque le temps presse et que la course, pour les miraculés de l’étape de Lourdes, reprend ses droits, au moins aller voir son agence.
ÉTAPE 20 31 KM SAINT-PÉE-SUR-NIVELLE / ESPELETTE
Un contre-la-montre dans le Pays basque au pays du piment, hommage aux marins basques. Pendant que les cadors s’expliquent pour le titre, un contre-la-montre pour les suiveurs également. Maintenant qu’ils ont vu l’agence de Patrick Arotcharen, prendre un guide de ses réalisations et se dépêcher d’aller les voir avant le retour à Paris.
ÉTAPE 21 116 KM HOUILLES / PARIS CHAMPS-ÉLYSÉES
Retour à Paris, la ville-musée, en Mondiovision mais en passant par les Yvelines, territoire connu. Alors rien de mieux que la vue d’hélicoptère de l’usine d’Achères, lieu de destination des eaux usées des coureurs et des suiveurs de l’agglomération parisienne. (re)Découvrir à cette occasion le travail de Luc Weizmann dont l’eau, en quantités phénoménales, est la matière première de l’architecture.
Et puis, maintenant que le Tour est fini, pour les suiveurs étrangers, avant de rentrer au pays, avant ou après les Champs Elysées, autant découvrir à Versailles le nouveau pavillon Dufour, signé de l’architecte Dominique Perrault et son associée Gaëlle Lauriot-Prévost. Comme quoi même le patrimoine le plus certifié se prête à une ‘revisitation’ (nous étions à Lourdes il y a quelques jours) contemporaine.
Christophe Leray (dans la caravane)