Le 18 décembre dernier, l’ingénieur des Ponts et sociologue Pierre Veltz recevait des mains de Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, le Grand Prix de l’urbanisme 2017. Une récompense prestigieuse pour celui qui a contribué au développement du cluster de Paris-Saclay mais qui ne répondit sans doute jamais à un appel d’offres d’urbanisme. La distinction a de quoi interloquer au regard du nombre croissant d’architectes qui s’improvisent urbanistes. Dans le fond, tous urbanistes ?
Le Grand Prix de l’Urbanisme récompense depuis 1989, tous les ans (excepté de 1994 à 1997) et en fin d’année, un acteur éminent du monde de l’aménagement du territoire. Preuve s’il en fallait de l’importance de la reconnaissance, à chaque fois, un ministre se déplace avec en queue de peloton, nos confrères de la presse nationale quotidienne pour qui, à l’instar de la majorité des citoyens, l’urbanisme est une discipline qui paraît bien obscure, plus encore que l’architecture.
Dans le palmarès des vingt-quatre années récompensées, une majorité de grands noms de l’urbanisme dont l’histoire retiendra peut-être Antoine Grumbach, pour la promotion de 1992, Christian Devillers en 1998 ou Yves Lion en 2007. Tous trois étaient architectes avant d’être urbanistes. A leurs côtés, reconnaissons des noms célèbres de paysagistes comme Alexandre Chemetoff ou Michel Desvigne. De l’architecture à l’urbanisme, il n’y a donc qu’un pas ? Idem du paysage à l’urbanisme ? Curieux pour des sujets si différents. Surtout, comment se fait-il que les instituts d’urbanisme livrent si peu de représentants éligibles qu’il faille à ce point mélanger les serviettes et les torchons ?
Heureusement, pour sauver l’honneur, Jean-Louis Subileau fut de la partie en 2001, comme Francis Cuillier en 2006, Laurent Théry pour la saison 2010 ou encore Ariella Masboungi qui en 2016 était la seconde femme à recevoir la reconnaissance de toute une profession. Pierre Veltz est le septième urbanisme du palmarès. Ce sont aussi les sept lauréats du Grand Prix à ne pas avoir été des maîtres d’œuvre dans leurs nouveaux quartiers. Tous ont en revanche réfléchi au territoire et à la ville, à son aménagement, au fait urbain dans son ensemble mais ils l’ont fait davantage comme des sociologues, voire comme des politologues parfois, ce que certains étaient également.
Si le Grand Prix d’urbanisme récompense moins d’urbanistes que d’architectes ou de paysagistes, reconnaissant par là même la pluralité de la discipline, cela signifie-t-il que tout architecte possède la compétence pour un jour se grimer en urbaniste ?
D’évidence, rien n’est plus différent qu’un urbaniste et un architecte. Si l’un s’adresse aux entités publiques ou politiques locales, le second répond à des maîtres d’ouvrage publics mais aussi privés. Le premier s’attaque à l’horizon sur des temporalités parfois très longues, le second gratte le ciel dans un calendrier bien plus rapide (si tout va bien). L’urbanisme s’apprend sur les bancs de grandes écoles et dans les Institut d’urbanisme, l’architecture s’enseigne dans des écoles d’architecture.
Bref rien à voir entre ces deux mondes que de nombreux points opposent mais qui pourtant se mélangent, se brouillent, et travaillent toujours ensemble.
A un détail près, c’est que l’architecte peut se targuer d’être urbaniste alors que l’urbaniste ne peut quant à lui pas légalement se vanter d’être architecte. Injustice ? En effet, les échelles changent, les enjeux évoluent, les problématiques restent toujours différentes. Au pays des frères Perret, entrepreneurs décrétés architectes, et dans la patrie d’adoption de l’autoproclamé architecte Le Corbusier, les frontières ont toujours été floues. Faut-il faire incomber la responsabilité des ratés des nouveaux quartiers au fait que leurs concepts généraux ont été pensés par les mauvais professionnels (mais pas par de mauvais) ?
Aujourd’hui, de nombreuses agences d’architecture tentent de se glisser dans la brèche de l’urbanisme. La France se construit partout, dans les centres comme dans les champs. Il y a de la place pour tous semble-t-il, surtout avec la reprise économique qui sourde à l’horizon. Sauf que quand des opérations d’architecture, techniques et complexes, permettent aux agences de bien vivre de leur art, l’urbaniste ne peut pas forcément en dire autant. Et les honoraires d’urbaniste, c’est «peanuts» par rapport à ceux d’une opération de logements dans le même quartier, même pas chère payée.
Alors que diable vont-ils tous faire dans cette galère, qui en plus est particulièrement chronophage ?
«L’urbanisme c’est intéressant mais ce n’est pas très lucratif. Nous, on y va parce qu’on sait qu’on pourra espérer glaner un beau projet dans le quartier». Cette phrase, signée d’un architecte bien connu et entendue lors du dernier forum des projets urbains en novembre dernier, pourrait avoir été prononcée par beaucoup de professionnels.
Il y a qu’à demander :
– «Dis SIRI, l’urbaniste X de la Zac Y, a-t-il un projet d’architecture dans le quartier ?»
– «En effet, X vient de gagner l’îlot 4C de la Zac Y. 167 logements pour le promoteur Z».
– «Merci SIRI».
Ca marche aussi avec «Ok Google».
Le métier d’architecte est de plus en plus concurrentiel, l’urbanisme moins, qui représente un moyen plutôt efficace de tirer son épingle du jeu au moment du lancement des consultations, à l’échelle de quartiers comme à celle bien plus large de la ville ou de vastes territoires.
Quelques irréductibles urbanistes pur jus tentent néanmoins de résister à l’envahisseur. Mais ils sont peu nombreux et conservent souvent à toutes fins utiles la casquette d’architecte, sans exercer la profession. La bataille fait aussi rage avec les paysagistes dont seulement quelques grandes agences trustent les réflexions sur les grands territoires.
Les quartiers conçus par les urbanistes sont-ils alors de meilleures qualités que ceux imaginés par des architectes ou par des paysagistes ? Rien n’est moins sûr tant les exemples pullulent de réussites autant que de ratés. Parfois le parc urbain pensé par le paysagiste compense des architectures spectacles, il arrive que des espaces urbains déçoivent mais que les équipements soient judicieusement placés au détour de circulations douces, ou que la mise en valeur du paysage local soit juste l’alibi idéal pour placer ça et là des paquebots de toutes les couleurs… Bref, de Marseille à Lille, de Toulouse à Reims, de Rennes à Saint-Etienne, il n’y a pas de baguette magique.
Un constat cependant. Si l’architecte ne peut pas s’inventer urbaniste et si le paysagiste ne sait pas toujours envisager l’échelle architecturale, mêler les trois compétences qui se complètent ne pourrait-il pas proposer une solution ? Parfois, des urbanistes sont appelés pour faire équipe avec des paysagistes de renom. Pourquoi alors ne pas imaginer des trinômes, chacun dans son domaine de compétence, et ce à toutes les échelles quand le sujet le demande ? Comme le cursus de l’université de Montréal l’impose par exemple ?
Cela permettrait peut-être aux urbanistes de développer le caractère opérationnel dont leur profession a besoin, une compétence utile si le fait urbain ne doit pas seulement se faire dans les bureaux, parfois déconnectés du réel, des EPA, SPL et autres OIN…
Alice Delaleu