Considérations sur l’évolution de l’enseignement et de la profession d’architecte. Le 16 janvier 2019, les inscriptions à la première campagne de qualification pour les aspirants enseignants-chercheurs des 20 écoles nationales supérieures d’architecture étaient closes. Cela représente l’aboutissement d’une réforme qui est à l’étude depuis de nombreuses années et qui transforme le monde de l’enseignement de cette discipline.
Enseignants / chercheurs
Historiquement intégrées aux Beaux-Arts, les écoles d’architecture ont gagné leur autonomie à partir de 1968 avec la création des unités pédagogiques (UP) avant de se transformer en écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA). Initialement calquées donc sur le modèle Beaux-arts elles ont évolué au fil du temps pour devenir aujourd’hui, depuis le décret du 15 février 2018, à l’instar des instituts universitaires et des grandes écoles, des «établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche». Elles sont placées sous la tutelle conjointe du ministère de la Culture et du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Avec la nouvelle approche pédagogique, la séparation entre enseignants praticiens et théoriciens n’existe plus et tous sont réunis sous un même statut d’enseignants-chercheurs. Les premiers sont censés nourrir les seconds et vice-versa afin de renforcer une transversalité entre les disciplines et les savoirs qui permettra aux étudiants d’intégrer une plus vaste capacité d’analyse et de critique.
Les écoles d’architecture renforcent donc leur dimension académique et sollicitent l’ensemble du corps enseignant afin d’aller vers la recherche, qu’elle soit portée par des disciplines plutôt «classiques» et de type universitaires (sciences humaines, sociales, de l’ingénieur, etc.), ou par le projet et la pratique du «faire», ce qui reste peut-être, à ce jour, la piste à explorer la plus spécifique et attendue.
Praticiens / chercheurs
Parallèlement, dans un milieu professionnel noyé dans un océan de normes et de plus en plus pris en tenaille par les enjeux financiers actuels, l’ensemble de la profession est, lui aussi, mobilisé vers la recherche pour faire face aux questions sociétales urgentes.
En juillet 2016 la loi LCAP* instaure le dispositif du ‘Permis de faire’ ou ‘permis d’innover’, première ouverture à la dérogation à certaines règles en vigueur en matière de construction d’équipements publics et de logements sociaux. A titre expérimental et réservé aux maîtres d’ouvrage publics, son application reste assez limitée en permettant de s’affranchir uniquement des normes en matière de sécurité et d’accessibilité, sous réserve d’atteindre des résultats équivalents. En raison de ces restrictions et complexités, presque personne n’en profite.
Le 30 octobre 2018 avec l’ordonnance numéro 2018-937 «visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation», le président de la République acte la concertation qui a été menée depuis sur le thème de l’innovation. L’article premier de ce texte fixe le cadre de ce qu’il est désormais possible de faire : «le maître d’ouvrage des opérations de construction peut, dans certaines conditions définies par la même ordonnance, être autorisé à déroger aux règles de construction applicables dans plusieurs domaines (énumérés à l’art 3 du texte), lorsqu’il apporte la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il a dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant, d’un point de vue technique ou architectural».
L’avancée sur la route de l’innovation est encore ardue. Elle reste soumise à l’obtention de «résultats équivalents» dont la mesure et la validation risquent d’engendrer des renvois de responsabilités (ainsi que des surcoûts) importants entre constructeurs, vérificateurs et assureurs. Mais le désir d’innover, qu’il soit du point de vue technique ou architectural, est bien explicité dans ce texte et reste l’une des conditions indispensables à son application.
Tous architectes / chercheurs donc, enseignants et praticiens confondus, nous sommes tous convoqués pour intégrer la recherche dans nos pratiques par cette récente panoplie de réformes, lois et ordonnances.
Mais chercher quoi, au juste ?
Dans un monde où tout va très vite, caractérisé par une économie tendue et façonné de plus en plus par les intérêts privés, le sens des affaires, la capacité de communication, les réseaux de connaissances, prennent souvent beaucoup plus d’importance que les idées.
La profession d’architecte et la manière dont elle est exercée de nos jours sont sensiblement différentes de celles qu’elles étaient encore il y a quelques années. D’une discipline au carrefour de l’art et la technique, vouée principalement à l’activité du projet et exercée de manière presque artisanale pour une grande partie des professionnels, nous sommes rapidement passés à un système beaucoup plus complexe et articulé. Les compétences se sont multipliées à démesure et une multitude d’intervenants qui gravitent autour de l’acte de bâtir a vu le jour. Une organisation du travail efficace est désormais indispensable et la figure de l’architecte se confond avec celle du manager.
Normes, règles et contraintes de plus en plus draconiennes font qu’aujourd’hui nos bâtiments s’appuient tous sur les mêmes produits industriels et les mêmes outils de fabrications. A l’époque du marché global, l’architecture, comme tout autre produit, est fabriquée dans toute la planète à partir d’éléments standards disponibles sur les mêmes catalogues, tel que Koolhaas nous l’indique lors de la biennale de Venise en 2014.
Les écoles, quant à elles, pour rester en phase avec cette société mutante, se veulent plus performantes, compétitives, dynamiques. Le taux de réussite, les statistiques du temps nécessaire aux anciens élèves pour décrocher un premier poste deviennent des critères de jugement de la qualité de l’enseignement. Il faut aller vite, le cursus LMD donne le tempo avec ses échéances semestrielles bien figées : le temps pour s’attarder et ‘douter’ devient rare.
Le rôle de l’enseignement du projet, qui a toujours été central est en partie questionné. Le nombre des architectes praticiens qui, en parallèle à leur activité professionnelle pratiquent l’enseignement, et à qui les écoles ont toujours largement fait recours pour diriger les ateliers de projet, avec la nouvelle réforme, va progressivement être réduit pendant les années à venir à 30% du corps enseignant contre plus de 50% actuels.
Avec l’arrivée en puissance du numérique, les fabricants de logiciels s’affairent à courtiser les étudiants / futurs clients pour les pousser vers l’utilisation de leurs outils, par le biais d’aides, offres gratuites, versions étudiantes, etc…. Les industriels quant à eux s’appliquent à organiser des concours d’idées pour étudiants ciblés vers l’utilisation (et donc la promotion) de matériaux divers et variés.
Afin de préparer leurs étudiants efficacement à la vie active les écoles s’adaptent donc aux demandes de la profession et des organisations professionnelles en oubliant, parfois, qu’elles ont aussi la possibilité d’être en avance sur celles-ci pour tenter éventuellement de les orienter.
Bienvenue à la recherche donc, dans tous ses états et ses formes. Mais pour quelle finalité ? La toute dernière loi Elan du 23 novembre 2018 est claire à ce sujet. Pour construire plus, mieux et moins cher, les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs sont également annoncés très clairement dans le texte :
– suppression de l’obligation des concours d’architectes pour les bailleurs sociaux et les CROUS** ;
– généralisation de la procédure de conception/réalisation ;
– réduction du champ d’intervention des architectes ;
– réduction du rôle des architectes des Bâtiments de France (ABF).
Bonne recherche à tous !
Paolo Tarabusi
* Loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
** Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS)