Courrier du cœur – Pour le moment, je ne peux répondre à la chronique intitulée Aux Abris… Tous coronavirés que par e-mail, distanciation oblige.
Je ne connais pas Christophe Leray et aurais grand plaisir à le rencontrer lorsque la tempête sera passée, si nous sommes présents au banquet des survivants, croisons les doigts ce qui veut dire au minimum restons confinés.
J’ai lu sa chronique avec intérêt et même, je l’avoue, avec un peu de plaisir malgré les circonstances, mais il faut tout de même se garder des plaisirs, car elle a du souffle, est argumentée.
Je l’ai lue avec grande curiosité car elle avait même ébranlé ma femme, architecte, toujours croyante mais non pratiquante, avec qui je suis confiné pour quelque temps encore ; nous redoutions la retraite et nous faisons retraite ensemble maintenant, tout va bien jusqu’à présent…
Mais cette chronique me semble appeler une réponse. Celle-ci se veut absolument bienveillante, destinée à stimuler les réflexions et je ne souhaite en aucun cas affirmer ce que je vais dire et surtout pas avoir le mot de la fin.
Réfléchissons ensemble, si vous le voulez bien.
Les mots de Christophe, s’il me permet, correspondent bien au moment où ils ont été écrits, celui ou les blagues du début (à mi-chemin entre l’humour juif et celui des carabins) cèdent la place à la colère qui, très prochainement, risque de céder elle-même la place à l’agressivité, le rejet et la haine, il faut déjà s’y préparer.
Et ils procèdent d’un raisonnement très partiel, je n’ai pas dit erroné, une variante sur le thème « si ma tante avait des roues, ce serait un autobus ».
Observer les éventuelles erreurs françaises dans la gestion de la crise, il y en a eu évidemment, il y en aura d’autres, s’insurger contre elles est légitime mais insuffisant.
C’est ne pas voir que tous les pays du monde, disons quasiment pour être rigoureux, ont commis des erreurs dans la gestion de la crise, ou sont en train d’en commettre pour ceux qui commencent seulement à se réveiller, se réveillent encore plus tard que nous.
L’événement auxquels tous les pouvoirs, dirigeants et régimes du monde ont été, sont et seront confrontés est sans précédent et ne peut inévitablement conduire qu’à des erreurs initiales puis des réactions tardives.
Il faudra écrire un jour l’histoire de ces erreurs et réactions tardives et j’ai l’intuition qu’elle fera apparaître que chaque pays a eu des attitudes qui lui ressemblaient, qui correspondaient à son histoire, sa géographie, la culture qui va avec, parfois en résulte.
Les erreurs chinoises et la réaction hallucinante de brutalité efficace qui en est peu après résultée correspondent à l’histoire chinoise. Faire taire ceux par qui le scandale arrive, puis mettre en quarantaine, sont des réactions qui s’inscrivent dans la double tradition d’un régime chinois et totalitaire, si je puis me permettre ce quasi-pléonasme. Les barrières entourant Wuhan font écho à la grande Muraille.
La Corée du Sud a réagi comme un pays dont la culture est confucéenne, le groupe avant l’individu, et qui a vécu depuis un siècle sous les occupations et menaces japonaises puis nord-coréennes. Avoir été occupés pendant plusieurs décennies par les Japonais a forgé une culture de résistance collective. Vivre depuis des décennies sous la menace de la Corée du Nord a contribué à la même culture.
On pourrait continuer : l’Italie a évidemment elle aussi commis des erreurs italiennes ! Les mesures de confinement ont porté dans un premier temps la marque d’un pays à l’unité récente, chaque région pour elle-même, et ont ensuite reproduit la division nord sud dans un second temps. Les réactions ultérieures ont également été italiennes : transformation de la passegiata vespérale traditionnelle en une passegiata immobile, ritualisée par des confinés immobilisés dans leurs immeubles.
Les réactions en Espagne ont également été une « espagnolade », avec le recours rapide à l’armée et la recentralisation du pays.
L’Allemagne commet elle aussi des erreurs allemandes d’un pays à l’unité récente où on a quelques bonnes raisons de se méfier de Berlin ! Chaque Land veut n’en faire qu’à sa tête.
Les Pays-Bas font eux aussi des choix qui s’inscrivent dans leur histoire et leur géographie : ils avaient rompu les digues et inondé le pays pour gagner leur indépendance contre l’Espagne au XVIIe siècle, ils font le choix de laisser la maladie se répandre. Erreur ou pas, leurs choix leur ressemblent.
Les Britanniques réagissent comme les insulaires qu’ils aimeraient toujours être, qu’ils avaient encore réussi à être en 1940, alors même que les virus seront pourtant plus efficaces que les V2 allemands. Je laisse chacun prolonger dans la lecture des erreurs et réactions dans d’autres continents.
Bien évidemment, la France a réagi à la française, en langue française, avec la culture française, la petite musique française avec ses couacs bien caractéristiques. L’illusion d’avoir raison, le besoin, toujours naïf de croire être protégé par nos frontières naturelles ou notre Ligne Maginot.
Elle a aussi réagi avec les erreurs dont est capable un pays démocratique ou le pouvoir est affaibli : Georges Mandel, qui a payé cher sa lucidité, notamment, disait que les démocraties préparent les guerres quand elles sont déclarées.
Le gouvernement français a réagi à la française, erreurs françaises comprises, compte tenu de ce qu’est la réalité de la culture française des citoyens, même incultes. Les Français auraient été « déchus de leur culture » s’ils avaient pu accepter d’être confinés dès que trois skieurs britanniques ont été identifiés malades, magnifique ironie, à Contamine.
On ne peut pas plus reprocher aux gouvernants français leurs erreurs – je ne les conteste pas, je n’en ai pas les moyens – qu’on ne peut leur reprocher de s’exprimer en langue française. Les Français parlent aux Français… en culture française.
Les critiques de Christophe sont elles-mêmes profondément françaises, s’en prendre aux rois, certains ont parfois voulu faire plus.
L’Histoire qu’il faudra écrire fera apparaître des réactions et erreurs démocratiques et totalitaires, confucéennes ou non. Je crois même qu’on trouvera un jour des caractéristiques catholiques et protestantes, et ainsi de suite.
Nous allons prochainement observer les tragiques erreurs qui seront commises en Afrique et en Amérique. Je parie qu’elles seront africaines et américaines, et là encore il faudra dire les Afriques, les Amériques.
On peut donc, Christophe, en déduire qu’il est préférable de tenter de survivre au Coronavirus dans un pays totalitaire et de culture confucéenne. Certes. Mais il faut également savoir que dans un tel pays, Chroniques d’Architecture, publiées librement ici, aurait probablement été sanctionnée de plusieurs décennies d’emprisonnement. Les erreurs françaises ont un prix. Elles offrent aussi des libertés.
Critiquer la France est aisé mais sous réserve de voir que nous n’avons pas le monopole des erreurs, chacun les siennes, chacun sa petite musique, hélas.
Le risque serait, sinon, de commencer une interrogation sur le mode : « Quelle est la différence entre un lapin? » De chacun selon ses moyens…
Alain Simon
Conférencier, Alain Simon fait appel à la géopolitique. Il est architecte par alliance.