« Tout le monde a gagné et tous doivent avoir un prix », déclare le Dodo dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carrol. Dans le monde des prix d’architecture, tout le monde ne gagne pas, mais le pays des merveilles n’est jamais loin. Chronique d’Outre-Manche.
Toute commande est une victoire pour un architecte, surtout s’il s’agit de la grande victoire d’un concours d’architecture. Mais la victoire ne doit pas s’arrêter là. Ce bâtiment pourrait remporter un prix – voire plusieurs.
Comme dans d’autres pays, le Royaume-Uni possède un zoo d’associations officielles, d’organisations commerciales, de festivals et de médias qui organisent des prix d’architecture annuels. L’architecture est une industrie qui aime se célébrer. Il y a tellement de prix qu’il est difficile d’en estimer le nombre. Étrangement, les récompenses les plus prestigieuses sont de classe mondiale mais deviennent très locales, tandis que certains des petits nouveaux à peine connus, même dans le quartier, sont récompensés globalement.
Rien ne vaut cependant les récompenses du Royal Institute of British Architects (RIBA) qui décerne des médailles d’or au meilleur architecte international depuis 1848. Mais l’objet ici est de ne considérer que les récompenses pour des bâtiments. En cela, la plus connue de ce côté de la Manche est le prix Stirling du RIBA pour le meilleur bâtiment britannique construit par un membre du RIBA.
Ce prix, initié en 1998, est maintenant télévisé. Le lauréat 2021 était la Kingston University Town House de Grafton Architects, l’agence dirigée par le duo de Dublin qui a organisé la Biennale d’architecture de Venise 2018. Mais il ne s’agit que de l’un des 54 prix nationaux de l’année dernière. Le RIBA a longtemps été accusé d’être « métropolitain » mais seulement 21 des bâtiments primés étaient londoniens. Les « régions » sont de retour !
Après le RIBA, d’autres grandes institutions veulent une part de l’action des récompenses. La Commission royale des Beaux-arts avait un grand pouvoir dans les années 1960 pour tuer une conception architecturale que ses membres n’aimaient pas. Cette année, elle revient avec un nouveau prix de beauté intitulé ‘best of beautiful new architecture’, soit le « meilleur de la nouvelle belle architecture ».
Il n’y a pas de prix pour le nouveau bâtiment le plus moche, mais il y en avait un jusqu’en 2018*. La ‘Carbuncle Cup’ a été votée par les lecteurs de Building Design. Si Paris avait eu une Coupe Carbunkle en 1887, sans aucun doute l’establishment architectural aurait-il voté pour la Tour Eiffel. Le gagnant du prix Carbunkle en 2017 était Nova Victoria, signée PLP Architecture, un immeuble de bureaux près de Victoria Station qui s’élève à 87 mètres comme une collision d’icebergs psychédéliques dans la mer Antarctique. Ce n’est pas le meilleur endroit pour une expression aussi explosive de la forme, mais au moins ce n’est pas juste une autre boîte de verre. Il y avait cette année-là beaucoup de bâtiments pires encore !
Un choix démocratique qui perdure est le vote populaire pour le gâteau architectural cuit chaque année pour la ville en pain d’épice (Gingerbread City) du Musée de l’architecture de Londres. (Oui, j’ai déjà mentionné cet événement fondateur**). Les visiteurs votent via Instagram, et le gagnant de 2021 annoncé en janvier était un barrage rendu à la nature (a re-wilded dam) par Stride Treglown, projet qui de fait ressemblait à du pain d’épice et non à une autre sorte de gâteau.
Il y avait aussi un prix spécial remporté par une maison appelée « Réfugiés bienvenus ». L’architecte Nick Honey de ZCD a expliqué qu’il exprimait l’élévation du niveau de la mer et la migration liée au changement climatique. « L’ouvrage agit comme un centre d’accueil pour les réfugiés et les demandeurs d’asile arrivant à Gingerbread City », dit-il. Quelle était la récompense ? Des cuillères et des fourchettes, peut-être ? Non, il semble que la longue durée d’exposition et les lumières vives aient rendu toute la ville cuite immangeable.
Quelques-uns des différents prix décernés par l’industrie des secteurs de l’immobilier, de la construction et du design sont ouverts aux candidatures internationales. Par exemple, les ‘Surface Design Awards 2022’, qui en sont à leur 15ème édition, ont reçus des candidatures de 24 pays. Cet élargissement du champ est parfois source de vibrantes merveilles, telles que les bureaux luxuriants et courbes de la « Sangini House » construite par Urbanscape Architects à Surat, en Inde.
Un étrange mélange de projets construits au Royaume-Uni ou dans des endroits éloignés et aléatoires a longtemps été une caractéristique des prix décernés par les magazines, car il y a partout des architectes enthousiastes prêts à payer le droit d’entrée. Il y a quelques années, j’ai examiné les candidatures du prix Blueprint et, c’est le cas de le dire, les architectes chinois faisaient un grand bond en avant.
Qui pour leur en vouloir de s’approcher du rêve d’une reconnaissance internationale ? Parmi les récompenses, le formulaire de paiement pour s’inscrire est presque universel – même le RIBA le fait, bien qu’avec des frais basés sur la taille du contrat. Certes il y a le travail administratif et des frais, mais faut-il y voir un écho de « payola », quand les maisons de disques payaient les radios pour diffuser leur dernière sortie ?
Peut-être mais, en tout cas, un bon moment est garanti lors des cérémonies de remise des prix elles-mêmes. L’alcool coule à flots, des comédiens sont embauchés pour faire rire (pas avec leurs blagues mais plutôt avec leur ignorance totale de l’architecture), et une piste de danse aura été réservée dans quelque lieu branché ou chic de Londres. En 2021, le Covid a tué a étouffé ces activités et de nombreux prix ont sauté l’année.
Mais cela n’en a pas empêché d’autres de maintenir le flux de trésorerie des sponsors et des participants pleins d’espoir – ils ont simplement mis en ligne ces événements lucratifs, visions bizarres de scènes vides sur lesquelles les hôtes, les présentateurs et les gagnants rayonnaient dans le ciel, apparaissant sur des écrans tout comme les photos des projets en compétition.
Enfin, qu’en est-il des récompenses physiques elles-mêmes ? Elles peuvent prendre la forme de cristaux, d’objets pointus de style déconstructiviste, de pierres tombales en plexiglas, d’arkitekhtons à la Malevitch, de briques, voire d’un bloc de fromage. Il devrait y avoir un prix du meilleur prix !
En 1865, John Teniel a basé son dessin du dodo qui remet le prix à Alice sur les restes conservés, vieux de deux siècles, d’un spécimen au Musée d’histoire naturelle de l’Université d’Oxford. En 2018, les chercheurs ont découvert que l’oiseau avait reçu une balle dans la nuque. Espérons que ce ne sera pas le sort des organisateurs de prix d’architecture, quel que soit le nombre de prix qu’ils décernent.
Herbert Wright
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**Lire la chronique Enfer ou paradis ? Dans le métaverse, rien de réel, sauf les clones de F.L. Wright