Quand il est question d’espace partagé, à part pour les colocations des jeunes, il s’agit le plus souvent d’une pièce d’appoint destinée à devenir chambre ou bureau ou quoi que ce soit d’autre, bref un endroit de passage, indistinct et non appropriable. Qui veut partager un tel espace ? Il s’agit plus rarement d’une salle de bains.
À propos du logement du futur, toute solution, fût-elle radicale, est bonne à prendre, à réfléchir à tout le moins, ce qui est toujours mieux que de s’en remettre au sempiternel plan d’appartement habituel, bien normé, bien partout pareil du nord au sud, pour le bonheur des constructeurs. Les mêmes plans de logements dans les mêmes immeubles des mêmes ZACs, convenons que là ne réside aucune innovation et aucune solution sur la ou les façons de répondre à l’Armageddon climatique qui se dessine. La preuve, prenez un aveugle et changez-le d’appartement de Lille à Montpellier et, d’une ZAC à l’autre, il retrouve son chemin sans difficulté !
Après avoir évoqué la cuisine* – c’est vrai quoi, pourquoi ne pas imaginer un appartement conçu autour d’une grande cuisine et d’un grand séjour ? – considérons aujourd’hui la salle de bains, lieu de l’intimité et de tous les fantasmes depuis au moins Alfred Hitchcock. Y a-t-il cependant moyen d’échapper à la salle de bains exactement pareille pour des millions de Français ? D’échapper à la salle de bains tout court ?
Concernant la salle de bains – bains au pluriel, notez bien – il suffit de remonter dans l’histoire récente pour comprendre à quelle vitesse les mentalités peuvent changer. En une génération, les Français ne se lavent plus pareil. Pourquoi dans les appartements modernes, c’est-à-dire depuis l’eau courante, la baignoire s’est-elle imposée comme un must, même toute petite – la baignoire sabot – avant de devenir en elle-même un signe distinctif de richesse, voire un lieu de vie comme en témoigne le nouveau riche Tony Montana dans Scarface ?
Tout simplement parce qu’avant l’eau courante, les familles qui n’avaient pas oublié l’hygiène faisaient chauffer de l’eau avant de la verser dans un baquet, toute la famille utilisant la même eau chaude. Du baquet à la baignoire, la transition s’est faite sans heurt. Souvenez-vous de ces baignoires en fonte, sur des pieds décorés comme des pattes de griffon et qui trônaient au milieu des salles de bains bourgeoises. De fait, le bain fut d’abord, comme avant, une fois par semaine une sorte de cérémonie jusqu’à ce que, le confort et la facilité aidant, des millions de Français puissent enfin prendre un bain tous les jours.
Pourtant rien n’interdisait dès le début de faire des douches sauf qu’elles étaient réservées à des lieux collectifs, pour les vestiaires des militaires ou sportifs, et n’évoquaient en rien le bien-être ou le confort.
Des premières prises de conscience environnementales – le coût de l’eau sur la facture en vérité – aux changements des comportements dus à la vie urbaine pressée par le temps, la douche en vint peu à peu à être privilégiée. Au point qu’il fallut bientôt l’installer dans toutes ces baignoires entretemps devenues obligatoires et normées bien entendu. Une nouvelle génération, qui n’a le plus souvent jamais pris un bain depuis sa plus tendre enfance, prend donc sa douche dans une baignoire.
La douche a conquis à ce point la société que même dans les appartements les plus huppés qu’il m’arrive de visiter, les habitants mettent désormais en avant leur douche à l’italienne ou suédoise ou que sais-je et n’ont plus de baignoire, trop ringarde et, pour le coup, désormais au centre des préoccupations liées à la consommations et au prix de l’eau.
Bref, en un siècle à peine, nous sommes passés du baquet au lavabo à la baignoire à la douche, du palier haussmannien et des HBM à l’intime, de la salle d’eau à la salle de bains. Mais à l’aune des défis climatiques qu’il convient d’envisager dès aujourd’hui, n’est-il pas temps pour les visionnaires d’envisager la prochaine étape ?
Certes, des raisons plus terre à terre procèdent également de cette révolution culturelle. Dès lors qu’il a fallu dans la salle de bains compter 1,50m de diamètre pour l’aire de rotation d’un fauteuil, ajoutez une baignoire et la salle d’eau était devenue plus grande que la cuisine ! Aujourd’hui, il n’est pas rare dans un immeuble neuf de 40 logements d’en trouver 35 qui n’ont pas de baignoire, son obligation légale ayant opportunément disparu. En effet, dans ces logements devenus si exigus, il n’y a plus qu’une douche qui rentre avec le fauteuil. D’où sans doute en partie ce nouvel engouement pour la douche.
Justement, reprenons notre exemple d’immeuble et ses quarante logements. Supposons que chacun ne dispose chez soi que d’une minuscule salle d’eau, avec une douche de 1,50 m x 1,50 et un lavabo, pour une toilette de chat disons, mais que, en contrepartie, dans ce rez-de-chaussée dans lequel les promoteurs ne savent jamais que faire, les habitants disposent d’un véritable et vaste équipement de bien-être : des douches dotées de tous les derniers gadgets, un sauna, un hammam, une pataugeoire, un bain chaud, un bain froid, une ligne de nage peut-être.
Sans compter de larges toilettes capitonnées à la japonaise, luxe que personne sauf les Japonais ne peuvent s’offrir. Les Japonais justement que la morale occidentale, celle de ceux-là mêmes qui pendant mille ans ont cru que prendre un bain allait les rendre malade, a marqué de l’opprobre leurs bains traditionnels, mixtes en plus ! Les Scandinaves savent déjà partager un sauna, les Anglo-Saxons partagent une buanderie.
Les thermes de Valls de Peter Zumthor sont un monument d’architecture mais, comme pour les anciens bains-douches et les actuelles piscines et autres pôles aquatiques, il faut s’y rendre. Il est compliqué de faire 200 mètres dans la rue en claquettes et en peignoir de bain avec son nécessaire sous le bras pour rejoindre les thermes ou autre équipement public. Mais en bas de son appartement, chez soi, à droite en sortant de l’ascenseur comme à l’hôtel, chacun disposant dans un vaste vestiaire de son propre casier ? Voilà un confort de curiste de proximité, bon pour la santé en plus, à disposition de tout un chacun, à condition d’habiter dans un immeuble cependant.
Pour leur part les promoteurs, on l’a vu, ne seraient pas mécontents, pour le coût de quarante salles de bains (voire plus pour quarante logements dont la moitié en accession), de n’installer que quarante douches riquiqui achetées sur catalogue mais de construire en compensation un équipement quasi thermal, au sens romain, allemand ou scandinave du terme, destiné aux seuls habitants de l’immeuble. Un badge, un code ou une clef et hop, derrière la porte, les mille et une nuits ! Une bonne affaire gagnant-gagnant ?
Combien de temps faudrait-il à une nouvelle génération pour s’y faire ? Surtout si l’eau chaude sert à chauffer l’immeuble en hiver – l’eau de piscine est généralement entre 28 et 29° – et à le rafraîchir en été.
Dans les thermes romains justement, pourquoi les riches et puissants aimaient y négocier les contrats ? Peut-être parce qu’après un bain chaud et froid et un bon massage, en mangeant des raisins, d’aucuns étaient sans doute plus enclins à la diplomatie et au bon voisinage, d’ailleurs tout le monde s’y rendait pareil, du sénateur à l’esclave.
Puisqu’il est à notre époque tant question de convivialité et de vivre ensemble, c’est peut-être le moment pour les promoteurs d’inviter les gens à rencontrer leurs voisins – quand on croise régulièrement ses voisins à moitié nus, on ne peut pas dire qu’on ne les connaît pas – et pour les architectes d’offrir des appartements dotés de thermes d’exception à des résidents ayant acheté ou loué en toute connaissance de cause.
Christophe Leray
*Voir notre article Crise du logement, la cuisine, chaud devant !